"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Qui est vraiment Norman Jail ? Quand Clara pousse la porte de sa maison du bord de mer, au printemps de l'an 2000, elle veut comprendre pourquoi ce mystérieux écrivain est resté l'homme d'un seul roman, Qui se souviendra de nous?, paru l'année de ses vingt ans en pleine Occupation. Étudiante en littérature, la jeune femme découvre peu à peu que derrière le pseudonyme de Norman Jail se cache un maître de l'illusion dévoré par la rage d'écrire, auteur de nombreux manuscrits inédits sous les noms d'Alkin Shapirov, de José Manuel Ortega ou de Jean-François Purcell. Norman Jail ne dit pas forcément la vérité. Le secret de cet homme fascinant est à rechercher dans les plis de la fiction. Trois jours avec Norman Jail est un roman brillant, jubilatoire, en même temps qu'une réflexion passionnante sur la force et la magie de l'écriture.
Quand on commence un billet, une chronique ou un avis, appelez cela comme vous voulez, on se retrouve, comme l'écrivain, confronté à la page blanche, à la recherche des premiers mots à partager pour tenter de donner envie à d'autres lecteurs de découvrir à leur tour notre dernière lecture, notre dernier coup de coeur.
Et pour ce livre à l'écriture sublime, c'est d'autant plus difficile.
« Un jour j'ai réalisé que le mot 'Écrire' contenait toutes le lettres du mot 'Crier'. Un homme qui écrit est un homme qui crie. »
"Trois jours avec Norman Jail" nous raconte l'histoire d'une rencontre. Un quasi tête à tête entre une jeune étudiante en littérature, et un écrivain, Norman Jail, l'homme d'un seul roman. Une rencontre qui ferait rêver plus d'un lecteur, moi la première.
Partager, échanger, s'interroger, tenter de tout découvrir sur ce mystérieux auteur. S'immerger dans sa vie, déterrer les secrets, tenter de comprendre pourquoi d'autres livres n'ont pas suivi le premier...
« le reste de sa vie, Norman Jail l'avait passé à noircir des milliers de pages, n'en publiant aucune. Son oeuvre était un monument aux mots. »
« Je ne suis pas un buveur, je suis un buvard. »
À travers ces conversations, l'histoire s'installe, entre réel et imaginaire, et Éric Fottorino nous balade dans un récit brillant, où se révèle également une analyse profonde de l'auteur face au processus d'écriture. Une véritable passion pour les mots.
« Un livre est un essaim de mots parfaitement alignés, sans hésitations ni repentirs. Les traces de lutte à mort ont disparu : les violences, les accrocs, la rage, l'abattement, l'à-quoi-bon. Tout ce qui fait un livre à l'état brut, ses impasses, ses sorties de route, ses doutes à n'en plus finir. »
Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises, l'histoire de cet homme est édifiante. En approchant de la fin, on s'aperçoit une fois encore que les écrivains sont de grands manipulateurs, qu'ils transforment la vérité au gré de leurs envies, et nous lecteurs, envoûtés par ces agencements de belles phrases, nous y tombons à pieds joints.
« Il avait beaucoup parlé, j'avais beaucoup écouté. »
« C'était sans doute cela, un écrivain, un être pour qui plus rien ne compte, excepté ce qu'il était. »
Un récit remarquable, une plume que j'ai pris plaisir à retrouver, après l'avoir découverte avec "Chevrotine", son précédent et magnifique roman (noir).
Je vous invite à savourer ce roman, avec à portée de mains carnet et stylo, car si comme moi vous aimez les belles phrases, ici elles foisonnent, pour notre plus grand plaisir de lecteurs amoureux de belle littérature.
Gros coup de coeur.
Clara, vingt-trois ans, étudiante en lettres, prépare un mémoire. Elle a obtenu un rendez-vous avec Norman Jail, un vieil homme qui n’a publié qu’un livre alors qu’il avait vingt et un ans et qui ensuite a passé toute sa vie à écrire sans jamais rien envoyer à un éditeur. Clara est intriguée par cet homme qui reçoit peu. Elle a préparé ses questions sur les affres de la création littéraire et les pose une à une, écoutant religieusement les réponses du grand homme. Et lui, il parle, parle, (s’écoute parler ?), revient sur ses mots, se contredit, se corrige, a le sens de la formule et le goût des jeux de mots. Il a été « employé aux écritures » dans une grande compagnie maritime. Comme il le précise : il n’a fait qu’écrire mais « cela n’a jamais été son métier ». Pourtant, il a écrit un chef-d’œuvre, mais on le lui a volé. Alors qu’il était jeune, une femme est partie avec Les foulures lentes sous le bras, livre dans lequel, selon lui, il avait « atteint une sorte de perfection ». Finalement, toute sa vie, il a été à la recherche de ce livre disparu, rédigeant des centaines de carnets sans jamais les montrer et accumulant les versions du chapitre un sans être capable de passer au second.
Seule Dahlia, une chatte noire, semble pouvoir approcher l’écrivain, qui- égoïsme ou don de soi ?- fait passer l’écriture avant tout.
Clara relance la conversation : un écrivain n’est-il pas forcément déçu par ce qu’il écrit ? Un roman est beau tant qu’il n’est pas écrit, précise Norman mais, dès que l’on veut coucher les mots sur le papier, ils deviennent « clopin-clopant, déjà usés, lessivés, fatigués, jamais là où il faudrait quand il faudrait. La vie est dure avec les mots. » Le romancier avoue : « J’ai épousé l’écriture, on s’est beaucoup trompés. »
La jeune femme s’entête, elle veut percer le mystère de cette écriture : d’où lui vient cette force, ce besoin impérieux, intime, de noircir des feuillets ? Il faut remonter à l’enfance : « J’écris les mots qu’on ne m’a pas dits. Je me raconte les histoires qu’on ne m’a pas racontées. » L’écriture remplit un vide, un creux, un trou. Elle compense l’absence, elle est père et mère : « Je nais de mon encre. » L’entretien se poursuit alors autour d’un repas et d’une balade en bord de mer. Il revient alors sur cette écriture née d’un manque, d’une souffrance : « J’ai rempli des pages avec mes mots parce que la vie ne me remplissait pas ».
Que cache cet homme qui souffre et qui murmure : « Je ne suis pas certain d’aimer écrire ; comme je ne suis pas certain d’aimer respirer. » ? Dans l’un et l’autre cas, il n’a pas le choix. Il faut. Ecrire, explique-t-il, ce n’est pas que souffrir, c’est surtout être souffrant : « L’écriture vient du désastre…Le bonheur se passe de mots. »
Clara va-t-elle percer le mystère de cet homme qu’elle interroge, qui semble se prêter au jeu, qui la regarde d’un air étrange parfois ? Dans quelle prison celui qui s’est inventé un nom - jail - s’est-il enfermé ? Pourquoi cet ours solitaire au cœur lourd lui a-t-il ouvert sa porte ? A elle, Clara, celle qui l’écoute, le regarde, baisse les yeux parfois. Dit-il la vérité ? A-t-elle conscience d’écouter des mensonges ou le pense-t-elle sincère mais jusqu’où ? Réinvente-t-il l’histoire, son histoire et celle des autres ?
J’ai beaucoup aimé ce livre d’Eric Fottorino, à la fois essai sur la création littéraire, roman à suspense et poème qui nous tient en haleine jusqu’au bout, au cœur des êtres et de leurs secrets.
Un très beau texte, sensible, mélancolique, qui dit la passion des mots et les tourments qu’ils infligent, qui laisse entendre la voix de l’homme qui tente de se réécrire et qui pour cela crie, celui qui s’est rendu compte un jour : « que le mot écrire contenait toutes les lettres du mot crier et qui conclut que « sa vie a été un cri parfait. »
Un crime parfait ? Non, un cri parfait…
http://lireaulit.blogspot.fr/
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