Découvertes littéraires, auteurs à suivre et lectures indispensables
Charles Ntchorere n'est pas le fruit de mon imagination. C'est un héros bien réel. Né à Libreville, il a combattu en tant que tirailleur sénégalais lors de la Première guerre mondiale qu'il achève en sergent. Il parvient au grade de capitaine avant la seconde. Cet « indigène », comme l'on disait alors dans l'armée, et ailleurs, a reçu de nombreuses décorations pour sa bravoure.
Son histoire s'achève le 7 juin dans le village d'Airaines en 1940, près d'Amiens. Après quelques jours de combat, ses hommes, une unité « mixte », et lui doivent se rendre, débordés par la blitzkrieg et l'avancée des troupes de 7e division blindée de Rommel. Les troupes du capitaine sont restées là, un sacrifice volontaire, pour couvrir la retraite du reste de leur régiment.
La Wehrmacht, à son habitude, trie les prisonniers : les simples soldats d'un côté, les officiers de l'autre.
Le capitaine Ntchorere, lui, considéré comme un animal par les nazis, sera froidement exécuté d'une balle derrière la tête.
S'achève l'Histoire, commence la mienne.
Et si ?
Et si un officier allemand, prussien de grande famille, tout en rigueur militaire, avait saisi une chance de parler avec lui ? Et si les deux hommes avaient pu échanger sur les concepts d'humanité, d'honneur, de nation, de combat, d'amour, de vie ?
Et si l'ignorance et la barbarie avaient reculé, ne fut-ce qu'un instant ?
Et si, au coeur de l'horreur des combats, dans la poussière grise, deux guerriers avaient pu s'entendre ?
Je ne refais pas l'histoire. Elle est tragique. Je l'interroge puis je l'imagine.
Qu'aurait-il eu à se dire ces deux hommes ?
Et si ?...
Découvertes littéraires, auteurs à suivre et lectures indispensables
Sombre récit, éclat des mots.
Charles N’Tchoréré était né à Libreville en 1896. Homme engagé, il a combattu pendant la Première Guerre mondiale au sein des tirailleurs sénégalais où il termina sergent. Avant de repartir sur le front pour la Deuxième Guerre mondiale il est devenu officier en tant que capitaine. Exemplaire, il va lutter, en Picardie, avec une poignée d’hommes sous ses ordres mais pour éviter leur trépas il finit par se rendre en tentant un dialogue avec les forces ennemies. En vain. Il sera abattu d’un coup de pistolet dans la nuque par la Wehrmacht qui trie les prisonniers selon la couleur de leur peau… D’ailleurs quelques jours plus tard le capitaine guadeloupéen Moïse Bébel , est assassiné par l’armée allemande dans les mêmes conditions. Le capitaine N’Tchoréré aura eu un courage exemplaire, une bravoure admirable et ce roman de Jean-Marie Quéméner est un vibrant hommage rendu à cet homme et à tous ces « indigènes » qui ont versé leur sueur, leur sang pour la France.
Avec des si on changerait la face de l’humanité. Le grand reporter a imaginé un dialogue entre le prisonnier et son bourreau, un officier prussien issu de la noblesse. Une interrogation de l’histoire, un élan fraternel dans l’atrocité.
Débutent les échanges verbaux entre Charles N’Tchoréré et Karl von Dönhoff alors que ce dernier pointe son arme sur son ennemi. Tout sépare les deux hommes mais ils sont tous les deux d’une grande érudition et la vulgarité – contrairement à beaucoup – n’est pas leur terrain de chasse. Peu à peu, malgré leurs différences, malgré la guerre, malgré les préjugés du Prussien sur un Africain, malgré l’imminence du coup de feu qui va partir, les deux officiers vont se rapprocher par la magie d’un dialogue, par le pouvoir des mots, par leur érudition commune, évoquant la Première Guerre mondiale, puisant leurs réflexions dans la littérature allemande et universelle – dont Homère –, philosophant sur la vacuité des guerres.
Un roman bouleversant, et c’est un euphémisme, qui tisse, dans une élégance inouïe, un fil incroyablement humain dans l’inhumaine tragédie des guerres et qui montre que c’est dans les moments les plus éprouvants, les plus dramatiques que les âmes se révèlent véritablement. Et que les mots, le dialogue, peuvent avoir un pouvoir redoutable face à la vésanie destructrice. A cet échange qui sera hélas vain, on ne peut que mettre en parallèle celui immortalisé par Joseph Kessel dans « Les mains du miracle » entre Felix Kersten et Heinrich Himmler et qui permettra, là, de sauver des milliers de vies.
Le destin croisé de ces deux hommes met en évidence l’absurdité des guerres, jours de guerre qui depuis longtemps dominent les jours de paix, l’industriel Iwan Bloch, nommé avait calculé que sur une période de 3357 ans il y avait eu seulement 227 années de paix contre 3130 années de guerre.
Autre mise en lumière, et non des moindres, celle du trop occulté Charles N’Tchoréré et par extension rendre hommage à tous ses confrères tirailleurs qui ont versé leur sang pour une terre qui n’était pas la leur. Ces combattants qui ont vaillamment lutté pour un drapeau auquel rien ne les rattachait et qui ont souvent vécu dans l’humiliation de n’être que de la chair à canon – cela dit comme pour moult soldats quelles que soient leurs origines – et d’être considérés comme des sous-hommes voire des espèces simiesques… Ils ont aidé à libérer la France des griffes d’un pays ennemi alors qu’eux-mêmes avaient été envahis. N’Tchoréré faisait partie des engagés volontaires et Jean-Marie Quéméner lui donne toutes ses lettres de noblesse dans son récit. Beaucoup d’autres avaient été incorporés sous la contrainte. Mais il en ressort que tous – selon les témoignages recueillis par des reporters dont celui de Julien Masson – avaient tissé des liens très forts avec le peuple Français, beaucoup moins avec les autorités.
« Sombre éclat » est un roman lumineux plongé au plus profond des ténèbres parce qu’il fait jaillir une progression verbale qui montre qu’en dépit du conflit, de leurs différences, les deux officiers s’avèrent être des humains et que leur vision de l’humanité n’est pas tant la mort que la vie. Jean-Marie Quéméner en imaginant cette histoire dans l’Histoire suit le chemin des Joseph Kessel, Romain Gary, Henry de Monfreid…et plus récemment des Patrice Franceschi, Arnaud de la Grange, Olivier Weber…
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