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Ce numéro, entièrement consacré à Lévi-Strauss, s'ouvre sur un entretien avec Ph. Descola, qui occupe actuellement sa chaire au Collège de France. Tout en répondant à des questions diverses, il explique sa fidélité fondamentale à l'héritage structuraliste de Lévi-Strauss - à sa méthode plutôt qu"à l'ensemble de ses positions philosophiques. Mais surtout, il nous invite à un nouvel effort d'excentration, afin d'accéder à la compréhension de modèles ontologiques qui se sont développés à l'extérieur de notre culture, ou dans notre tradition, et qui ont conféré aux non-humains (appellation qui déborde ce que nous nommons nature) un statut de pensée très éloigné de celui que leur attribue notre dualisme.
Dans « La condition symbolique », P. Maniglier conteste le bien-fondé du reproche souvent adressé à l'anthropologique symbolique : son déni de la politique, et sa réduction des violences sociales à des contraintes grammaticales. Il montre au contraire que c'est pour la même raison que l'homme est un animal symbolique et un animal politique. Si tout système symbolique implique un espace fini de possibilités déterminées différentiellement, leur systématicité suppose une possibilité surnuméraire qui ne peut être actualisée que par un « acte ». Que le sujet ne soit pas maître de ses signes, cela ne signifie pas que la liberté soit illusoire, mais qu'elle est réelle, car inhérente à ces réalités singulières que sont les signes, et aux opérations qui les font advenir : liberté objective, consistant à faire advenir les possibilités du monde plutôt qu'à y réaliser ses idéaux, mais liberté finie, celle d'un déplacement d'une limitation des possibles à une autre. Ainsi l'anthropologie apparaît pour ce qu'elle n'a jamais cessé d'être : une science morale.
Dans « Lévi-Strauss et le dépassement du modèle linguistique », J. Benoist remet en question la thèse courante selon laquelle le structuralisme serait avant tout une doctrine du sens. Il revient aux textes fondateurs de l'auteur pour établir que, dans la perspective structuraliste, le sens est bien plutôt ce qui doit faire l'objet d'une réduction, et être dévoilé comme fondé dans des processus dépourvus de signification. Commençant par retenir du point de vue saussurien l'idée que le sens résulte de la combinaison ordonnée d'éléments dépourvus de signification, Lévi-Strauss en vient à soutenir que même les éléments pourvus de sens, dans leurs modes de combinaison, peuvent et doivent se comporter comme ces éléments de bases dépourvus de sens.
Enfin, G. Salmon part de la pensée symbolique, définie par Lévi-Strauss comme science du concret, pour en élucider la distinction avec la pensée scientifique : alors que les sciences construisent leurs taxinomies en sélectionnant un nombre restreint de critères homogènes, mythes et classifications symboliques articulent par homologie des niveaux taxinomiques non-congruents. D'où les « incongruités de la pensée symbolique » : glissements et courts-circuits analogues aux mécanismes des traits d'esprit mis en évidence par Freud, ainsi qu'aux procédés propres à l'art de la mémoire - dont l'analyse jette une lumière nouvelle sur l'activité synthétique propre à la pensée symbolique.
D. P.
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