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Un roman fort sur le surpassement ; un voyage dépaysant en terre navajo
Sora vient d'apprendre qu'elle doit passer le reste de sa vie à béquilles. Son quotidien se résumera désormais aux cours au lycée et aux séances de kiné. Elle pourrait s'y faire si Kay, la grande soeur qui l'a quasiment élevée, tenait le coup ; mais cette dernière, qui a toujours été la plus forte des deux, est en pleine descente aux enfers. Alors Sora décide de prendre les choses en main et d'enfiler la cape de ces superhéros qu'elle aime tant. Objectif : changer sa vie. Son meilleur atout : l'héritage navajo laissé par sa mère. Un ancien pouvoir de guérison qui pourrait les sauver, elle et sa soeur. Le problème, c'est qu'elles ne sont pas les seules à le chercher... et que leur rival est prêt à les suivre au bout du monde pour parvenir à ses fins.
Quand on fait un tour d’horizon de la littérature pour adolescents et young-adults, on se dit parfois que tous les sujets possibles et inimaginables, même les plus incongrus, ont été traités en long, en large et en travers … Heureusement, certains auteurs sont là pour nous prouver le contraire, non pas en sortant une nouvelle thématique de derrière des fagots, mais plutôt en les combinant et en les mettant en scène d’une manière nouvelle, originale, atypique. Quelques pas de plus est un de ces livres inclassables : certes, il parle de la maladie et du handicap, mais il n’a absolument rien à voir avec les romans de John Green qui ont « lancé cette tendance », certes, c’est un récit fantastique, mais rassurez-vous, point de créatures nocturnes comme on en voit tant ces dernières années. C’est en réalité un livre incomparable, unique en son genre, et ça fait du bien, les histoires qui sortent des sentiers battus – tout en respectant les règles du genre pour ne pas trop dépayser le lecteur. Pas trop, car vous allez le voir, avec ce livre, nous voici parti pour un véritable road-trip américain !
Cela fait déjà un an que la douleur est devenue la meilleure ennemie de Sora : pas un jour, pas une nuit ne passe sans que sa cheville ne la fasse souffrir. Elle est donc condamnée à déambuler jusqu’à la fin de ses jours avec des béquilles, et à choisir entre la souffrance et l’abrutissement chimique des antidouleurs. Heureusement, il y a Kay, sa sœur ainée, sa véritable béquille, celle qui s’occupe d’elle, qui par sa simple présence et ses petits gestes lui redonne de l’énergie et de la combativité. Alors quand Kay se renferme progressivement dans le silence et la terreur, l’esprit et le corps empoisonnés par un mal mystérieux, Sora n’hésite pas une seule seconde : les voici toutes deux en route pour les terres Navajos de leurs ancêtres, sur les traces de leur mère et de leur héritage chamanique. Au bout du chemin, un rituel de guérison, utilisable une seule fois par génération, qui pourrait lui permettre de sauver sa sœur. Mais elles ne sont pas les seules à vouloir bénéficier de ce pouvoir … et c’est une véritable course poursuite qui s’engage.
J’ai acheté ce livre sur un coup de tête, et je l’ai commencé sans savoir à quoi m’attendre : j’avais lu le résumé, avait croisé la couverture sur quelques blogs, mais sans jamais lire les chroniques associées. Je savais qu’il était question de handicap et de culture amérindienne, et cela me suffisait amplement pour avoir atrocement envie de le lire : ce sont deux sujets qui m’interpellent depuis que je suis toute petite, et c’est finalement assez rare de les voir associés ! J’étais vraiment curieuse de savoir ce qu’Agnès Marot nous avait concocté comme mélange, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la recette est parfaite et bien exécutée : c’est vraiment un bon livre, que j’ai pris un grand plaisir à lire (et qui m’a tellement captivée que même mon nouveau traitement, pourtant terriblement assommant, ne m’a pas empêchée de le dévorer en deux jours) ! Alors bien sûr, il y a quelques points sur lesquels je n’ai pas adhérée, quelques éléments qui m’ont un peu chagrinée, mais ils sont loin d’être rédhibitoires, car ils sont plus que contrebalancés par toutes les choses éminemment positives de ce roman !
La première chose, et sans doute la plus belle et la plus importante à mes yeux, c’est l’amour qui unit Sora et Kay. Elles feraient tout l’une pour l’autre. Elles se sacrifieraient l’une pour l’autre. Et c’est d’ailleurs, finalement, la grande tension de ce récit : une seule pourra être guérie, et les deux sont bien décidées à sauver l’autre. Car Sora, au terme de ce long road-trip aux accents de quête initiatique, en a désormais la certitude : autant elle pourra vivre avec la douleur, autant elle ne pourra pas survivre sans sa sœur. Hors de question pour elle de guérir sa cheville si cela signifie abandonner sa sœur aux mains de Coyote, figure maléfique des mythes amérindiens. Mais Sora sait aussi que Kay ne la laissera pas faire … Jusqu’au dernier moment, on se demande si la jeune fille parviendra à sauver son ainée malgré elle. Kay veille si farouchement sur sa cadette que cela semble inimaginable qu’elle la laisse se « sacrifier » pour elle … A mes yeux, la relation entre les deux sœurs est vraiment LE pilier de ce roman, c’est ce qui lui donne toute son âme, toute sa force. On le sent, tant qu’elles sont ensembles, tant qu’elles se soutiennent mutuellement, rien ne pourra leur arriver, elles sont indestructibles et imbattables. C’est fort, c’est pur, c’est beau.
Mais de nombreux obstacles se dressent sur leur chemin vers le rituel navajo qu’elles souhaitent mettre en œuvre. Il y a l’obstacle « visible » : le Coyote et ses sbires, lancés à leurs trousses pour les obliger à leur dévoiler le secret du hozho. Il y a Marc, malade, qui veut les forcer à le guérir. Entre eux et les deux jeunes filles, c’est le jeu du chat et de la souris, du loup et de l’agneau : c’est à celui qui sera le plus rapide, le plus malin, le plus fort. Sora et Kay se savent poursuivies, traquées, et elles passent leur temps à tenter de fuir ces redoutables adversaires. C’est là que ça pèche un peu je trouve : on retrouve un peu trop régulièrement le schéma « les filles rusent et parviennent à les semer, elles font ensuite preuve d’imprudence en se croyant tirées d’affaire, les méchants reviennent, et retour à la case départ ». Les deux premières fois, ça allait, mais je trouve que ça manquait un petit peu de diversité questions rebondissements … et ça manquait donc également de suspense ! Il y a, bien sûr, eu quelques fois où j’ai poussé une petite exclamation de surprise et de frayeur mêlées, car je ne m’attendais pas du tout à ce retournement, mais la plupart du temps, j’ai trouvé ça un peu trop répétitif …
Cependant, les plus grands obstacles sont intérieurs. Ceux du corps, du cœur et de l’âme. Bien sûr, il y a en premier lieu le handicap de Sora : difficile d’échapper à ses poursuivants quand on se déplace avec des béquilles, et que le moindre mouvement de la cheville fait éclater un feu d’artifice de souffrance. L’autrice évoque ici avec beaucoup de justesse la question du handicap, du handicap invisible plus précisément : à travers la fameuse théorie des cuillères (j’aimerai beaucoup que mon père la comprenne aussi vite que Kay), à travers quelques scènes de la vie quotidienne (l’affreuse dame du bus), à travers aussi l’évocation rapide des luttes administratives (vous savez, quand vous tentez de remplir une demande d’aide financière à la Sécu, mais qu’aucune petite case ne correspond à votre profil) … Mais il y a également les peurs, les doutes, les souvenirs qu’on tente d’enfouir profondément. Avec ce road-trip désespéré, les deux sœurs ne tentent pas uniquement d’échapper à Coyote, ne cherchent pas uniquement à réaliser ce fameux rituel, mais bien plus à renouer avec leur héritage, avec leur identité. Derrière cette course-poursuite se cache un voyage initiatique, sur les terres de leurs ancêtres, sur les terres de leur mère. Chaque mésaventure, chaque déception, chaque incertitude, vient nourrir leur progression intérieure. Une sorte de réconciliation avec le passé pour mieux appréhender l’avenir …
En bref, vous l’aurez bien compris, c’est vraiment un très beau livre que nous offre Agnès Marot ! Pour tout avouer, s’il n’y avait pas eu ce problème de répétition des péripéties, et le côté un peu « embrouillé » de la construction en double temporalité (l’autrice nous racontant en parallèle ce qui s’est passé « avant le départ » et ce qui se passe pendant le voyage), j’aurai sans aucun doute crié au coup de cœur ! A cause de ces menus soucis, Quelques pas de plus n’aura été « que » une excellente lecture, portée par une plume chargée en émotions, qui évoque avec beaucoup de délicatesse la thématique du handicap, et qui nous fait voyager sur les terres des navajos. C’est un roman tout simplement captivant, qui se dévore d’une traite, qui vous happe : combien de fois n’ai-je pas senti mon cœur s’affoler tandis que Marc et ses compagnons s’approchaient ? combien de fois n’ai-je pas senti les larmes couler sur mes joues face à une scène particulièrement émouvante ? et combien de fois n’ai-je pas ri de soulagement quand les deux sœurs se sortaient d’une situation délicate ? Bref, c’est une histoire qu’on ne lit pas uniquement, on la vie par procuration !
https://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2020/02/quelques-pas-de-plus-agnes-marot.html
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