"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un éleveur de chevaux aime raconter des histoires à ses deux fils.
Un jour, une tempête les force à abandonner leurs travaux autour d'un étang. Un poulain y perd la vie, plusieurs de leurs chevaux sont embourbés.
Brubeck, le cadet, est chargé de se rendre auprès de l'intendant militaire Peck, leur plus grand acheteur. Au bout de huit jours, inquiet de ne pas voir revenir son jeune frère, Anton part à sa recherche, fait de mauvaises rencontres, se retrouve ivre dans une maison close.
Et le voilà enrôlé dans l'armée, à la veille d'une guerre dont il ignore tout. Grâce à son talent de conteur, hérité de son père, et à l'amitié de Spinoz, il tient le coup et apaise le coeur des soldats. Jusqu'à ce qu'il raconte l'histoire du « labyrinthe du fou»!
L'auteur de Candide ne désavouerait certes pas cet envoûtant conte métaphysique contemporain.
«Le père était un homme limpide. Paisible. Il n’imposait jamais ses émotions, sauf lorsqu’il racontait des histoires, et il nous en racontait beaucoup. Chaque soir. Il y avait celle du dentiste pour éléphants, celle du fou qui conseillait un général, celle du mur sur la rivière, celle du pirate qui cherchait l’espoir, celle du mangeur de pierre.
Alors on voyait son visage s’animer des peurs, des joies, des larmes et des espoirs qu’il racontait, mais on comprenait en le regardant qu’il les jouait. Une seule d’entre elles faisait naître en lui une émotion incontrôlée : celle de sa rencontre avec notre mère.» Ainsi commence ce contendans lequel la folie des hommes va entraîner l’éclatement d’une famille. Quand à la tempête succède la guerre et la colère.
Au fil des pages, quelques indices nous laissent imaginer que nous sommes quelque part en Europe centrale au début du siècle dernier.
Le drame va se jouer un soir de tempête. Alors que tous trois travaillent à assainir un plan d’eau, le temps devient exécrable et va entraîner la mort d’un poulain et l’embourbement des chevaux. Même en unissant leurs efforts, ils ne pourront tous les sauver. Il faut prévenir l’intendant militaire Peck qu’ils ne pourront honorer leur livraison. Brubeck, le plus jeune fils, est chargé de cette mission. Mais après une semaine, il n’est toujours pas de retour. Le père confie alors à Anton, son aîné, le soin de retrouver son frère.
Mais sa bonne volonté et sa candeur devront très vite s’incliner face au piège qui lui est tendu. Lorsqu’on l’invite, il pense que c’est pour l’aider : «Bois, gamin. Bois à la santé de la mère Tapedur, et à celle de ton frère. Je ne voulais pas le froisser, aussi ai-je bu. Ce n’était pas très bon, cela piquait fort. Je dus faire une grimace, car il éclata d’un rire énorme. Décidément tous les hommes rigolaient fort dans cette ville, et je ne comprenais toujours pas pourquoi. J’avais à peine fini mon verre que l’adjudant Illy m’en servit un autre.» Très vite ivre, on le fait signer son enrôlement.
Et voilà comment le bruit et la fureur entrent dans cette famille et la font exploser. «Nous ne savions rien des haines éternelles et des victimes expiatoires, nous flottions avec les autres dans cette colère lancée sur la ville. Et la vague s’est abattue sur le quartier de nos existences.»
Ludovic Roubaudi, un peu comme Jean-Claude Grumberg avec «La plus précieuse des marchandises», choisit le conte pour nous dire la folie des hommes. Pour dire la haine face à la beauté, la duplicité face à l’innocence, la cruauté face à l’amour. Mais il parvient toutefois, et ce n’est pas là le moindre de ses tours de force, à conserver cette lueur d’espoir qui fait que le pire n’est jamais sûr.
Au sein de ces troupes qui ne savent pas vraiment pour quoi elle se battent, Anton veut encore croire à la fraternité, veut encore espérer en un monde meilleur. Même réduit à de la chair à canon, il nous dit qu’un autre monde existe.
Face à l’antisémitisme, aux discours belliqueux, aux cris de haine, les belles histoires de son père, puis les siennes, ont aussi le pouvoir d’ouvrir les esprits. Et s’il avait la clé pour sortir du «labyrinthe du fou»?
Merci à Ludovic Roubaudi de nous offrir ce conte profond servi par une plume délicate.
https://urlz.fr/cKzl
Majestueux, ce récit est une voix qui conte. Tendez l’oreille ! Subrepticement, le charme opère. Les boucles des mots sont des bruissements. Les sons des myriades qui s’élèvent à perte de ciel. L’incipit : « Le père était un homme limpide. » enclenche une veillée au coin du feu où les vies vont s’enlacer et pourvoir aux destinées en grandeur. Le père conte l’histoire de vie d’Anton qui, à son tour sera le narrateur de sa vie. Le réel est en osmose avec l’imaginaire qui change de camp. Le brillant compose ce récit. Nous ne sommes jamais perdus dans les champs littéraires. Poupées gigognes qui vont s’emboîter les unes dans les autres avec brio. L’écoute est sereine. L’écriture aérienne, solaire, précise, renforce le moment d’une lecture qui monte crescendo. Miroir d’un cheminement de vie. Anton est abandonné par ses parents bien trop pauvres et affamés pour garder auprès d’eux ce petit oisillon. Il va être recueilli par M. Panchewiak, un peintre qui modèle des pianos de noir, d’essences et de sens. « -Sais-tu pourquoi le noir de la nuit est si profond ? -Non maître. -Parce que Dieu a peint l’obscurité sur la douceur de la nuit. » Persévérant, attentif à l’enfant, ce maître d’apprentissage est un sage. Il va transmettre à Anton les couleurs de l’hédonisme. Un art qui fusionne en profondeur et dont le lisse est fraternité et la beauté cette loyauté d’un travail qui glorifie. Anton va s’émanciper jusqu’au jour où. On aime le pouvoir des pages qui tournent avec lenteur et délectation. On est sensible à l’ambiance riche de philosophie. Les enfants se touchent. Anton et l’enfant qui écoute son père. Anton resurgit en clarté sur les pages rendant ce récit vivifiant, plausible. L’heure du conte est dépassée. Nous pénétrons dans le grave, dans ce réel qui change la donne. Anton est maintenant adulte. Son propre fils devient le narrateur, le flambeau en main, il conte à son tour. Nous ne sommes pas dans un récit- chorale. Le subtil est signifiant. Ce dernier a un frère Brubeck. Le père (Anton) élève des chevaux et les revend à M. Peck l’intendant militaire. Des chevaux glorieux, dressés en amour mais à la destinée fragilisée par les affres des guerres. La vie est rude, l’orage gronde. Le vrai et l’apocalyptique. Que va-t-il se passer ? Brubeck doit partir. Prévenir l’intendant Peck d’un aléa dû à l’orage. Les chevaux sont fragilisés, ils doivent être soignés avant la vente. Il ne reviendra pas. Où est-il ? Là on sent un signe de l’auteur envers les embrigadements des jeunes du XXIème siècle encerclés dans l’horreur Djihadiste. A-t-il fugué ce temps de labeur, de rude ? Vers quelles contrées est-il en train de forger sa destinée ? Anton part à sa recherche. Il ne reviendra pas. Et là… et là « Nostra Requiem » prend un envol époustouflant. L’histoire enfle, gonfle, palpitante, empreinte de cette oralité qui délivre un alphabet d’honneur. Deux frères, en dualité, en cornélienne posture, Brubeck le violent. Le frère doublé d’un ami Spinoz vont s’affronter. Deux camps emblématiques, deux contraires avec au centre le pur Spinoz. Que va-t-il se passer ? Piégés dans les bourrasques intérieures, dévorantes, l’histoire devient une spirale. Parabolique, la teneur se teinte de fantastique. Nous sommes dans le point de la folie qui mène au paroxysme de l’horreur. Les dires de l’auteur Ludovic Roubaudi, et ce brillant qui construit « Nostra Requiem » sont voués au culte. On en bouge plus. Nous pénétrons dans le trou noir. Les oralités deviennent paraboliques. L’action métaphysique. « Nostra Requiem » est un récit serré comme un café fort. Il est d’une puissance telle qu’il emporte tout sur son passage. Intuitif, « Le labyrinthe du fou » signe la fin. Sans la nommer juste dire que ce récit retient la nuit. On ne s’échappe pas de « Nostra Requiem » C’est un grand livre puissant. Un fleuve au fort courant. Eclaireur, il lance des signaux à notre contemporanéité. Majeur.
Il y a le père qui raconte son histoire surprenante à ses deux fils, entre deux récits imaginaires, car c’est un conteur né. Et puis il y a le fils, Anton, que l’armée enrôle de force en l’an de grâce 19 et qui part dans une guerre dont il ne connaît rien. Et ce sont les horreurs de cette guerre qui vont révéler, tel son père, le conteur qui est en lui, capable par ses mots de rassurer ses frères d’armes le soir à la veillée et de raviver l’espoir et le courage perdus en leur donnant « de quoi se souvenir des belles choses ».
C’est beau, émouvant et cela redonne leur dimension humaine à ces soldats, utilisés comme de la chair à canon par leurs officiers supérieurs. Et lorsque l’Homme devenu machine se met à rêver, alors la face du monde change et chacun se prend à imaginer qu’il a le choix entre mourir en marchant au pas ou abandonner ses convictions et survivre.
Ces contes que raconte Anton, c’est à nous, lecteurs, que Ludovic ROUBAUDI les raconte et il nous entraîne dans des rêves poétiques, nous rappelant que les histoires transmises entre générations ont pour rôle de parler de ce qui se cache au fond de nous, même si ce n’est pas toujours bénéfique de le dévoiler.
On peut prendre ce roman comme on le lit et écouter simplement le récit de ces contes envoûtants, ou chercher la morale de ces courtes fables qui nous amène à réfléchir sur les travers de l’âme humaine et sur nous-mêmes.
C’est vraiment original et très joliment écrit. Un roman à découvrir.
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