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Rome, août 1958. En marge du tournage d'une espagnolade oubliable, Ava Gardner invente la «dolce vita» avant que Federico Fellini n'en fasse un des premiers grands films de la modernité. Par une nuit très arrosée, elle entraîne son chef opérateur, Peppino Rotunno, dans une séance photos inspirée des grands nus de l'histoire de l'art. A peu près un siècle plus tôt, Courbet, lui, invente autre chose... Sur la fabrique des images et des souvenirs, de la mémoire et des icônes, des symboles et des secrets, leurs promesses et leurs trahisons, Thierry Froger orchestre un roman-tourbillon, enquête et rêverie, entreprise de dilapidation d'un héritage au sens propre comme figuré. Un geste romanesque enchanteur, d'une élégance et d'une richesse rares.
De l’origine à la fin du monde
Ce qui rend le nouveau roman de Thierry Froger aussi passionnant, c’est le savoureux mélange des genres qu’il nous propose, entre biographie romancée d’Ava Gardner, enquête menée comme un thriller et besoin pour le narrateur de retrouver l’affection et la considération de sa fille.
Et si le roman de Thierry Froger était plus proche de la réalité que les biographies – officielles ou non – d’Ava Gardner? En refermant ce délicieux roman, je ne suis pas loin de répondre par l’affirmative, parce que la magie de l’écriture nous fait prendre place aux côtés de la belle brune dans ses déambulations romaines, partager ses coups de folie et, à l’image du narrateur, nous rendre tous un peu amoureux.
Nous sommes à Rome en 1958. La MGM a choisi de quitter ses studios pour tourner La Maja nue dans une réalisation d’Henry Koster. Il s’agit du dernier film dû par l’actrice au studio et qui ne laissera pas de souvenir impérissable dans la carrière de l’actrice. Dans ses Mémoires, Ava écrira du reste que «La Maja nue, meilleur titre que bon film, n’a pas été ma contribution la plus mémorable à l’art du cinéma. Il s’agit d’une biographie assez insipide du grand peintre espagnol Francisco Goya. Je jouais la duchesse d'Albe, le modèle favori de Goya». Avant d’ajouter que ce film lui a permis de faire la connaissance de Giuseppe Rotunno «dont les couleurs superbes illuminent le film de bout en bout».
Thierry Froger imagine alors que, lassée de partager ses nuits avec Anthony Franciosa – qui interprétait le rôle de Goya – Ava décide une escapade avec le chef opérateur. Poursuivis par les paparazzis, leur virée nocturne va se terminer au petit matin par un petit jeu: Rotunno est chargé de reproduire quelques grandes toiles de nus célèbres, de «de rejouer la peinture en photographie». Tâche peu aisée pour les problèmes de cadrage qu’elle posait, mais ô combien stimulante pour «les attraits qu’elle proposait à ses yeux d’homme.» Voici donc les rouleaux de pellicule imprégnés des mises en scène de La Maja desnuda de Goya, de La Vénus d’Urbino du Titien, de La Vénus au miroir de Vélasquez et de … La naissance du monde de Gustave Courbet!
Si l’alcool a désinhibé le photographe et son modèle, tous deux se rendent vite compte au réveil combien ces clichés sont explosifs. Ava fait promettre à Rotunno de les détruire, ce qu’il fera après avoir réalisé un tirage qu’il confiera à son modèle et avoir oublié un négatif dans sa chambre noire.
Jacques Pierre, le narrateur, délaisse alors ses travaux d’historien pour enquêter sur le sort des quatre clichés produits cette nuit-là. Il va alors nous entraîner d’un bout à l’autre de la planète, «de la MGM à Hughes, de Sinatra à Hoover, d’Hemingway à Castro» et constater «avec inquiétude le pouvoir vénéneux de ces images» car les convoitises qu’elles suscitent vont jusqu’à laisser quelques cadavres ici et là. Un thriller haletant qui va se doubler d’un rapprochement inattendu avec sa fille Rose. Car sa progéniture, qui vit à Rome avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle, accepte de l’aider dans sa quête. L’occasion aussi de constater que les errances du cœur ne sont pas réservées aux stars d’Hollywood.
Avec maestria l’auteur nous fait découvrir quelques épisodes fort intéressants de l’histoire de l’art, notamment la genèse de la toile la plus célèbre de Gustave Courbet, avant de raconter la vie rêvée d’Ava – je suis persuadé que vous adorerez l’épisode de sa rencontre avec Marylin Monroe – sans oublier de nous éclairer sur les motivations de cet enquêteur passionné qui deviendra «une sorte de spécialiste d’Ava Gardner, de sa vie et de ses légendes».
C’est enlevé, drôle, documenté et follement exaltant. Il n’y a effectivement «pas de plus belle quête que celle du chasseur sans proie, traquant l’ombre d’un doute, si ridiculement suspendue soit-elle aux petites lèvres d’Ava Gardner et aux forêts obscures comme des images.»
Les Nuis d'Ava est le second roman de Thierry Froger, publié en cette rentrée littéraire 2018. Je n'avais pas lu Sauve qui peut (la révolution), récompensé du prix Envoyé par la poste, déjà publié par les éditions Actes Sud, pour la rentrée littéraire 2016. L'écrivain est un artiste multiple, a fait les beaux arts, enseigne les arts plastiques, a publié un recueil de poèmes en 2013. Il fait la couverture du numéro de septembre du Matricule des anges. J'avais lu le roman avant d'en lire diverses chroniques plutôt toutes enthousiastes grâce à l'une des attachées de presse de la maison d'édition qui me l'avait envoyé, ce dont je la remercie.
Dans ce deuxième livre de l'auteur, nous suivons trois histoires enchevêtrées. Thierry Froger reprend visiblement une figure de son précédent roman, Jacques Pierre, un historien et il en fait cette fois-ci son narrateur. Ceci, je l'ai appris en lisant son entretien dans la revue littéraire mentionné plus haut. Notre narrateur va enquêter sur des photographies qu'Ava Gardner aurait faites avec Giuseppe Rotunno, célèbre chef opérateur qui a travaillé pour Visconti sur Le Guépard notamment et Fellini. On retrouve d'ailleurs dans le cours du roman une comparaison entre les deux réalisateurs. Ces photographies ont été disséminées dans le monde. Le roman qui porte beaucoup sur l'image de manière générale à travers divers arts est aussi un roman qui recompose la vie de l'actrice hollywoodienne, en insistant sur son côté sulfureux. Il mêle éléments réels comme la mention de certains films dans lesquels elle a joué avec éléments fantasmés, notamment sur une relation lesbienne qu'elle aurait eu avec une autre actrice célèbre, Marilyn Monroe. Parmi les personnages présents dans le livre, nous retrouvons Fidel Castro, Ernest Hemingway, Howard Hughes, Frank Sinatra, Sam Giancana, etc. Cela donne souvent lieu à des récits très prenants et à des scènes marquantes du roman, notamment de rencontres. La vie de notre narrateur nous est contée également, notamment ses relations avec son ex femme, ses premiers émois d'adolescents, sa passion pour la photographie, sa relation avec sa fille Rose qui va l'aider dans sa quête. Nous retrouvons également comme autre figure du roman Gustave Courbet, avant qu'il peigne L'Origine du monde en particulier. La narration mêle différentes temporalités et nous pouvons avoir dans une même phrase mention de Ava, Courbet et d’éléments liés à notre narrateur. J'ai trouvé la construction narrative, l'architecture du roman magistrale. C'est un livre absolument fascinant et cela m'a donné envie de découvrir son premier roman. Thierry Froger semble ne pas en avoir terminé avec l'écriture et les projets littéraires, ce dont je me réjouis.
Comme vous avez pu le comprendre, ce livre fut un vrai coup de cœur et j'en recommande la lecture aux passionnés d'Histoire et de cinéma notamment ou même à ceux qui s'intéressent aux pouvoirs des images, à la fascination qu'elles peuvent exercer : photographies, toiles de maître, etc.
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