"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Les rues tortueuses de Malá Strana, quartier de Prague, résonnent de rumeurs et de fantasmes, de rancunes et de rivalités, d'amours déçues et de destins brisés. On y croise tour à tour un mendiant soi-disant fortuné, un cadavre encore vif, une vieille fille deux fois veuve, des enfants bien décidés à envahir l'Autriche...
Jan Neruda met en scène avec humour la vie et le caractère des habitants de Malá Strana - littéralement, « le petit côté » le quartier de Prague dans lequel il a grandi et vécu. Ses tableaux de Malá Strana sont avant tout des études sociales : plus que les lieux, ce sont leurs habitants qui l'intéressent. Et, pour notre plus grande joie, il prend un malin plaisir à les croquer de sa plume brillante et pleine d'autodérision. Leur portrait n'est guère flatteur : les personnages qui peuplent ces contes sont le plus souvent mesquins, âpres au gain, préoccupés uniquement de leurs petits intérêts, prompts à médire les uns des autres, pleins d'une méchanceté toute à leur mesure, à la fois enflée et étriquée.
Avec cette série de portraits, le satiriste qu'est Jan Neruda a une riche matière pour exercer son talent. En quelques lignes à peine, il dresse des portraits savoureux et pleins d'esprit. Chacun de ces contes regorge de perles que le satiriste a semées avec malice, avec une prédilection marquée pour l'humour noir.
Il arrive cependant que l'ironie douce-amère du satiriste laisse place à une autodérision attendrie. La peinture sociale se fait alors plus discrète, elle s'efface devant les souvenirs lyriques et intimes : ce n'est plus le petit peuple de Malá Strana que Neruda met en scène, mais son enfance passée à courir et jouer dans les rues de ce quartier. Le satiriste est sans doute féroce avec ses personnages, mais derrière le mordant de ses traits pointe la nostalgie de son enfance et son amour pour le quartier qui l'a vu naître et grandir.
A sa mort, Malá Strana a fait de lui son écrivain fétiche et une ancienne rue fut rebaptisée en son nom.
Malgré sa mesquinerie, le petit peuple de Malá Strana a aussi ses grandeurs.
Les contes de Malá Strana, écrits par le journaliste et écrivain tchèque Jan Neruda en 1877, sont un classique de la littérature de Bohême. Edité en 2021 par les éditions Gingko dans la collection « Petite bibliothèque slave », le présent recueil regroupe onze nouvelles, deux plus longues ayant été gardées pour une édition ultérieure, qui se déroulent à Prague sur la rive gauche de la Vltava (ou Moldau), connue sous le nom de Mala Strana (« Petit côté »).
Quiconque a déjà visité la capitale tchèque connaît Malá Strana. En venant de la Vieille Ville, après avoir traversé le Pont Charles, c’est le quartier pitoresque que tous les touristes visitent, en se rendant notamment au Château. « Victime » du succès touristique de la ville aux cent clochers, ses rues sont bondées mais il suffit de prendre une rue adjacente pour retrouver le calme et la magie des lieux. Malá Strana était autrefois un quartier commerçant, peuplé majoritairement d’Allemands ; il est le lieu de naissance de Jan Neruda (1834 – 1891). Il y est né dans une maison que l’on peut encore voir aujourd’hui (« Aux deux soleils »), dans une rue qui a depuis pris le nom de l’auteur (« rue Nerudova »), et dans laquelle il a passé quasiment toute son existence. Auteur de feuilletons, poèmes, drames…, Jan Neruda est un auteur majeur de son pays ; il fut proche du mouvement de Renaissance tchèque qui marqua l’histoire de son pays au XIXème siècle.
Les textes ici présentés sont narrés par Neruda lui-même, à hauteur de l’enfant qu’il était dans les années 40 du XIXème siècle. Leur tonalité alterne entre ironie, humour, tendresse. A les lire, nul doute que Neruda maîtrise l’art de la nouvelle. Il suffit de quelques lignes pour que le lecteur soit plongé dans les histoires ; les descriptions y sont très fines, notamment pour les personnages principaux des nouvelles mais aussi des lieux qui les entourent :
Je veux écrire une histoire triste, mais dont la joyeuse initiale sera pour moi le visage de monsieur Vojtíšek. C’était un visage éclatant de santé, rouge vif comme le rôti dominical arrosé de beurre frais. Et le samedi, car monsieur Vojtíšek ne se rasait que le dimanche, quand sa barbe blanche qui poussait dru sur son menton arrondi fleurissait comme une épaisse crème fouetté, je le trouvais encore plus beau. Ses cheveux aussi me plaisaient. Il n’en avait pas beaucoup : ils prenaient naissance à la hauteur des temps, au bord de la calvitie, ils grisonnaient déjà, ayant perdu leur reflet d’argent, et commençaient à virer au jaune, mais ils étaient comme de la soie, flottant au vent, et si doux autour de sa tête.
C’est toute une ambiance qui est restituée dans ce recueil ! On y rencontre un docteur, un mendiant, un commerçant, des jeunes gens… Neruda réussit à nous immerger dans son univers, mais malgré les 150 ans qui nous séparent de la publication, elles conservent une certaine actualité car elle y traite de sujets universels : l’amour, la vengeance, les rêves de la jeunesse, la tromperie, le temps qui passe… Citons entre autres « Monsieur Ryšánek et Monsieur Schlegel », l’histoire de deux habitués d’un café pragois qui partagent toujours le même banc, mais ne se supportent pas – ou encore « Ecrit cette année-là à la Toussaint », sur une dame qui va fleurir deux tombes avec un rituel particulier.
Je le disais : il y a de l’humour, de l’ironie, mais aussi de la délicatesse et l’auteur suggère parfois plus qu’il ne révèle.
Une excellente lecture et une très belle découverte.
https://etsionbouquinait.com/2023/03/05/jan-neruda-les-contes-de-mala-strana/
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