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L'exercice muséographique auquel le Musée des Beaux-arts de Rouen s'est appliqué cet automne afin de conclure (ou d'engager) le parcours de ses collections permanentes est singulier. Peu de musées dans le monde peuvent y prétendre et l'on n'aurait pu l'imaginer si la ville n'avait été le berceau d'une famille exceptionnelle, une fratrie, issue d'un milieu bourgeois éclairé, brillamment engagée dès le début du vingtième siècle dans l'aventure de l'art moderne occidental.
Sans doute n'aurait-elle pu se développer ainsi hors d'un territoire privilégié sur le plan artistique depuis plusieurs siècles et en particulier grâce à ses conditions climatiques, et sans doute économiques. Elles en firent une terre particulièrement féconde pour les peintres au temps de l'Impressionnisme. Un contexte social si nanti qu'il s'avéra favorable aux profondes remises en cause d'une révolution artistique aux conséquences sans précédents.
On pourrait sans doute consacrer une étude sociologique fine à ce phénomène qui conjugue, à la veille d'un immense traumatisme européen et bientôt mondial, le basculement de la société industrielle du dix neuvième siècle au triomphe d'une modernité mécanisée qui bouleverse l'idée même de civilisation pour introduire à une culture de l'information virtuelle universelle.
Ce qui frappe dans ce cas, auquel on pourrait évidemment opposer l'existence des nombreux foyers artistiques internationaux qui s'enfièvrent au même moment, c'est la simplicité de sa dimension familiale, son contexte traditionnel, les liens profonds et durables qui unissent frères et soeurs à leurs parents et amis, un tissu d'intuitions communes, aiguisées et partagées dans le mouvement des idées de l'époque. Ce sont aussi les hasards d'une conjoncture qui, à partir du rayonnement de Paris, les place, grâce au discernement des américains de Paris, et à l'originalité de leurs propres ambitions, sur un réseau et des trajectoires internationales dont les effets apparaissent aujourd'hui quasiment illimités.
Comme en un passage de relais, cette effervescence fraternelle se transmet entre l'aîné, Jacques Villon, et le cadet, Marcel Duchamp, le destin ayant brutalement interrompu la trajectoire si vive de Raymond Duchamp-Villon. L'échappée de Marcel, extraordinaire d'élégance un brin cynique et d'une intelligence lucide incontournable, s'est nourrie des spéculations croisées de leur solidarité intellectuelle première et il se trouva, en fin de vie, tout à la fois vainqueur, sans qu'il y eut jamais combat, tant fut constante leur considération réciproque, et « chef de famille », ultime témoin et garant de sa génération.
Les collections réunies au Musée des Beaux-arts de Rouen ont été rassemblées grâce à la ténacité de plusieurs générations de conservateurs. Elles n'auraient pu être constituées sans la générosité des divers rameaux de la famille Duchamp qui ont ainsi perçu l'extraordinaire signification, en ce lieu, de cette équipe fondatrice. Le Musée national d'art moderne qui bénéficia également de cet admirable soutien n'a pas cessé de soutenir ces efforts, comme son statut national l'y engage. Il reste que les Etats-Unis sont, à Philadelphie, à New York, à Yale ou ailleurs, la terre d'élection des oeuvres majeures de cette famille, grâce à ses premiers collectionneurs et complices qui furent aussi les « patrons » incontestés de l'art moderne du vingtième siècle.
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