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Phryné, courtisane grecque du IVe siècle avant J.-C. célèbre pour sa beauté, aura par deux fois fait tableau : une première fois, en servant de modèle à l'Aphrodite de Cnide de Praxitèle et à l'Aphrodite Anadyomène d'Apelle, chefs-d'oeuvre disparus qui ne vont cesser de hanter la longue mémoire de l'art occidental ; une seconde fois, en laissant son avocat découvrir sa nudité (ou en se dévêtant elle-même) devant les juges qui allaient la condamner pour son impiété, «tableau» ou «spectacle» où les rhéteurs ont pu voir aussi bien un comble qu'une limite de l'action oratoire. Cette topique de la beauté représentée et montrée croise le verbal et le visuel, et là réside sans doute l'explication de la singulière fortune qu'a connue la figure de Phryné jusqu'au seuil de l'époque contemporaine. Sous ces deux destins, plastique et judiciaire, le légendaire phrynéen exemplifie la structure du «tableau vivant», comme l'a bien compris le XIXe siècle, qui a pratiquement inventé ce genre. Genre composite, le tableau vivant s'inscrit au croisement des arts du spectacle, des divertissements de société et des arts visuels (peinture, sculpture, et même photographie). Genre ambigu, il joue sur les sortilèges de l'illusion (la figure s'anime, le corps se fige), sur les limites de la représentation (le corps vit, mais reste muet) et sur les paradoxes de la présentation : exposé, s'exposant, le corps en appelle à un geste qui découvre pour montrer et dont l'efficace n'a d'égale que celle du geste qui ne montre qu'en couvrant. Par delà les effets particuliers liés à une pratique historiquement circonscrite, ce livre veut relancer la réflexion sur l'effet «tableau» du corps dans l'histoire et la théorie de l'art et dans la théorie rhétorique de l'éloquence. A l'une on demandera comment s'articulent la perception esthétique du corps faisant tableau, l'idéalisation artistique du modèle et la composante libidinale qui intervient dans la perception de ses représentations figurées. A l'autre, ce qu'il en est de la soumission du discours à la force de la vue, de sa démission devant un spectacle muet, de son relayage par un geste qui «embraye» directement sur la chose même. La sémiotique, la linguistique, la pragmatique, éclairées par le recours à la «métapsychologie» freudienne, ne sont parties prenantes à cette enquête que dans la mesure où elles peuvent concourir à une anthropologie culturelle du verbal et du visuel. Ainsi, plus qu'à une histoire des rapports entre la rhétorique et les arts visuels, c'est bien à une réflexion sur la puissance du rhétorique que ce livre souhaite inviter.
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