"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
1956 : Le professeur Kinsey, auteur du célèbre Rapport sur la sexualité des hommes (1948), et des femmes (1953), meurt prématurément d'une crise cardiaque. Partant d'une récente biographie de Kinsey, Boyle invente le personnage de Milk, l'étudiant innocent, « coincé », encore puceau, qui sera toute sa vie l'assistant du professeur. A travers ses mémoires, le lecteur entre dans le « cercle d'initiés » avec lequel Kinsey a effectué ses recherches. Etaient-ils engagés dans une quête scientifique sérieuse, manipulés par le gourou Kinsey, ou avaient-ils viré à la débauche?
Milk est d'abord envoyé sur les routes avec son professeur, en quête des confessions intimes de fermiers, prostituées, maîtresses de maison, colocataires et autres (leurs positions préférées ? la fréquence de leurs orgasmes ? le nombre de leurs partenaires ? et autres détails embarrassants) ; mais il passe vite de la théorie à la pratique, devenant le partenaire de Kinsey (« Prok » pour les intimes) pour des expériences érotiques en tous genres : échangisme, sodomie, nécrophilie, zoophilie... Prok, savant fou, à la fois austère et débridé, décidé à briser les tabous de sa société et à révéler la bestialité mécanique du sexe, est un personnage à la fois génial et monstrueux. Iris, la femme de Milk, s'efforce de combattre cette influence, car elle désire retrouver un mode de vie plus conforme à ses valeurs...
De scènes de sexe décrites avec une précision clinique en crises conjugales et en relations humaines ambiguës, cette satire de l'Amérique puritaine des années 1940 donne à réfléchir sur les compromis nécessaires à l'ordre social. Les joies de la chair, mais aussi les conséquences de la prétendue « libération sexuelle » sur les âmes faibles tombées à la merci de fanatiques, sont évoquées avec brio et sans moralisme. Avec culot, Boyle s'abstient de prendre parti.
Je ne connaissais pas T.C. Boyle : C’est en regardant « La Grande Librairie » (une fois n’est pas coutume !) que j’en ai entendu parler pour la première fois et le hasard faisant bien les choses, j’ai trouvé ce roman, Le cercle des initiés, à la bibliothèque de mon village deux jours après : Il était là pour moi ! Je ne me souviens pas avoir lu la quatrième de couverture, ou en diagonale, et je dois bien reconnaître que je ne savais pas à quelle sauce j’allais être mangée en découvrant ce bien étrange cercle.
Essayons d’imaginer ce que pouvait être les années 40 aux Etats-Unis, société patriarcale et puritaine sur fond de seconde guerre mondiale et imaginons maintenant à quoi pouvait ressembler une espèce de fou dingue –Docteur Kinsey, professeur émérite de l’université de l’Indiana- qui se prend de passion « scientifique » pour la sexualité des américains de cette époque et qui décide de créer tout un système de données afin d’éditer deux ouvrages : Le rapport sur la sexualité des hommes puis Le comportement sexuel de la femelle humaine.
Et bien le voilà notre cercle des initiés. Ce roman est le défilé d’entrevues, de milliers d’entrevues : Des femmes, des hommes, des étudiants, des enfants, des riches, des pauvres, des blancs, des noirs (etc.) que l’on suit en parallèle de la vie du personnage principal, John Milk, jeune étudiant plutôt bon élève qui s’ennuie dans sa morne vie et de sa rencontre avec ce fameux Docteur Kinsey (Prok pour les intimes). Grâce à lui, Milk va donner un nouveau souffle à son existence en devenant un de ses disciples inconditionnels, jusqu’à en perdre son individualité (totalement ?).
La communauté scientifique avant l’individu.
Parce que là est tout l’intérêt du roman à mon sens : Prok, le « gourou », est une véritable métaphore; métaphore du pouvoir affectif et relationnel sur d’autres individus. Jamais rien de la personnalité du docteur Kinsey n’est vraiment dévoilé : Tout est sous-entendu, en filigrane… Homme autoritaire, voire despotique, à l’aura quasi mystique lui permettant de ramener à sa cause tous ceux qui croisent son chemin ; homme perfectionniste, maniaque, manipulateur, qui donne l’impression d’avoir cadenassé tout ce qui est de l’ordre du sentiment : Ne rien montrer, travailler, travailler avec acharnement, travailler sans relâche.
Et son disciple, John Milk, va en faire les frais : Tiraillé entre ce maître qu’il vénère et ce qu’il voudrait être vraiment, Milk va mettre à mal son libre-arbitre, son être même car, contrairement à Prok, il n’est fait que de sensations, d’instinct, de sentiments !
Autour de ces deux hommes gravite toute une palette de personnages, aussi truculents les uns que les autres, où toujours la question du faux-semblant est présente. Sauf… Lorsqu’il s’agit d’une femme –Iris-, la compagne de John Milk ; et c’est peut-être elle la véritable héroïne de cette histoire : Petit bout de femme déchirée entre son éducation catholique et sa soif d’indépendance et qui va se retrouver « malgré elle » dans le rôle traditionnel de la femme au foyer où tout n’est que solitude et lassitude, avec toujours dans un coin de sa tête ses rêves secrets. Mais c’est elle la plus tolérante, la plus juste, celle qui garde les pieds sur terre, celle qui ne sera pas dépossédée de ses sentiments ni de sa liberté de penser.
Une lecture prenante parce que ce John Milk s’adresse directement au lecteur, quelques années plus tard, sans cacher ses erreurs, ses doutes. Une lecture dérangeante : Mais jusqu’où Milk et Prok vont aller pour obtenir leurs données ? Cet étrange fil rouge entre la science et l’éthique… Une lecture qui questionne : Sommes-nous libres d’agir ? Ne sommes-nous pas tous conditionnés par notre éducation, par la société, par notre environnement ?
Merci La Grande Librairie pour m’avoir fait découvrir un auteur que je ne serais jamais allée chercher de moi-même : Trois semaines après cette lecture, je ne mesure que maintenant l’impact que ce roman a eu sur moi.
(Chronique qui vient de mon blog. Lien : https://unbouquindanslapocheblog.wordpress.com/2016/04/29/le-cercle-des-inities-t-c-boyle/ )
amusant
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