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Le deuxième roman d'André Bucher est un long blues, dont les notes mélancoliques et poignantes trouvent écho dans la nature grandiose qu'il décrit si bien. C'est au bout du monde, dans la cour d'une ferme isolée au coeur de la montagne, qu'échouent les deux repris de justice qui vont tuer la mère de Tristan, sous ses yeux, le jour de ses six ans. Dès cet instant, les mécanismes habituels de la relation avec le monde seront détraqués pour lui comme pour son père.
Des années plus tard, le cauchemar va le rattraper : pour prendre la défense de ceux qu'il aime et aussi pour conjurer la culpabilité de n'avoir rien pu pour sauver sa mère, il tuera à son tour deux individus qui s'étaient introduits dans la nouvelle ferme.
Condamné avec circonstances atténuantes, il sort de prison à dix-neuf ans : son récit est alors une tentative de dénouer les fils emmêlés de son histoire.
Confession d'un enfant solitaire qui trouve dans les mots qu'il ne comprend pas toujours exactement, mais qu'il fait vivre dans ses rêveries, les raisons de continuer, le récit revient sur la douleur du deuil, sur le tête-à-tête avec un père terrassé et maladroit, et aussi, non sans ironie, sur les personnages que les institutions dépêchent auprès de l'enfant traumatisé : le " docteur de l'esprit " avec son noeud papillon, " le docteur des généralités " et surtout la maîtresse d'école, apparaissent comme des adultes sans doute bienveillants mais bien plus difficiles à comprendre que le merle et la corneille apprivoisés dont il a fait ses meilleurs amis.
L'horizon s'éclaire quand le père de Tristan revient d'une virée à Paris avec Maryse, " qui vient des hommes et du froid " et que, à l'instigation de la jeune femme, cette famille de guingois tente un nouveau départ en ouvrant, au sommet du Col de l'Homme mort, dans l'aride et grandiose paysage des Alpes-de-Haute-Provence, une ferme auberge, le Cabaret des oiseaux. Tristan grandit, entre le collège à Sisteron et les travaux de la ferme, et trouve en Germain, le vieux berger alsacien installé là un père de substitution, qui lui parle du monde et de l'amour, et surtout l'initie à la musique, à ce blues qui va rythmer toute son adolescence.
Mais c'est réellement sa relation avec Maryse, sa " mère belle " et son initiatrice, qui va illuminer sa vie. C'est pour elle surtout qu'il va agir, lui l'enfant retardé, " arrêté ", pour qui le temps est resté suspendu : au moment où débarquent dans la cour du Cabaret des oiseaux les hommes qui entendent la ramener avec eux, la rendre à son passé, Tristan décroche le fusil qu'il a appris à manier en secret...
Après Le pays qui vient de loin, roman plutôt masculin sur la transmission et la filiation, André Bucher écrit magnifiquement, avec pudeur et justesse, le roman d'apprentissage d'un garçon orphelin sauvé par trois figures féminines : celle de l'institutrice, celle de Maryse et celle de Blanche, sa " mère première ", pour qui il a voulu apprendre à écrire, pour qui il confie à la rivière un long poème nostalgique, son blues à lui, et qui plane sur le roman comme une figure protectrice et tutélaire, partie prenante d'une nature complice et bruissante.
Difficile de juger un roman sans pouvoir comparer. Lorsque j'étais enseignante, j'apportais beaucoup de soin à cet exercice et procédais en plusieurs étapes. Différentes lectures de chaque copie étaient nécessaires pour établir une échelle de notation. Je sais bien que dans ce cas précis, c'est différent et qu'aucun ouvrage ne traite du même sujet. Pour autant, la lecture de celui-ci me laisse à penser que les notes déjà attribuées sont trop élevées par rapport à celle que je souhaiterais lui donner.
Vous comprendrez que la lecture du "Cabaret des oiseaux" m'a enchantée, emportée, élevée. J'avais l'impression, à chaque mot, de ressentir un immense bonheur, quelque chose de très fort en même temps qu'une grande paix. Je ne lisais pas, j'entendais une musique légère et en même temps envoûtante, une harmonie parfaite, une suite de mots légers, tendres, superbement choisis, magnifiquement mis en scène. J'aime par-dessus tout la facilité avec laquelle l'auteur se joue d'eux et les reconstruit à la manière des enfants et les expressions pleines de saveurs "on va inviter la lumière", "la boîte aux assiettes qui tournent"… et la description parfaite de la nature qui, plus qu'une toile de fond se révèle un personnage à part entière.
Ses personnages, André BUCHER les entoure d'une tendresse infinie, il les aime, c'est évident malgré une certaine âpreté ressentie au premier abord. Chacun d'eux, écorché par la vie, essaie de survivre, d'être heureux au contact des autres. Tristan, d'abord, qui après avoir vu sa mère se faire tuer sous ses yeux, perpétuera un crime à son tour pour défendre Maryse, sa seconde mère, mais aussi bientôt son amoureuse. Il se reconstruit, petit à petit grâce à cette femme et à son grand ami Germain, homme de la terre et des bois.
Ce roman a été un pur enchantement et comme le dit l'auteur "Parfois, les mots ne suffisent pas".
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