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Paru en 1922 dans la revue Contemporânea, "Le Banquier anarchiste", seule oeuvre de fiction publiée de son vivant, a connu un destin étrange. Mentionnée avec condescendance par les « spécialistes » ès Pessoa quand ils daignaient la citer, ce n'est que tout récemment qu'on a commencé à la lire.
Avec ses « faiblesses de construction » et son évident « amateurisme », ce dialogue paradoxal, à la fois logique et absurde, conformiste et subversif, d'une naïveté assez lucide ou, si l'on préfère, d'une lucidité assez naïve, n'a rien perdu de son pouvoir de provocation.
Ecrit en 1922, ce petit texte est la seule fiction parue du vivant de son auteur Fernando Pessoa (1888/1935). En à peine quatre-vingt-dix pages, ce "banquier, grand commerçant et accapareur notable" tente de convaincre son ami qu'il est un anarchiste convaincu, quasiment le seul anarchiste en théorie et en pratique, alors que les autres ne le sont qu'en théorie. Mais revenons au tout début de cet ouvrage, délicieux, une formule que je trouve épatante : "La conversation qui s'était alanguie peu à peu, gisait entre nous, morte. J'essayai de la ranimer, au hasard, en faisant appel à la première idée qui me passa par la tête." (p.7) La suite est le raisonnement jusqu'auboutiste, provocant et absurde du banquier. Le résumer ici serait faire injure à Pessoa mais aussi injustice aux futurs lecteurs pour qui la surprise serait moindre.
Le banquier alors jeune homme veut s'affranchir de ce qu'il appelle les "fictions sociales", c'est-à-dire ces chemins tout tracés selon que l'on naît riche ou pauvre, comte ou roturier, homme ou femme, ... Son raisonnement intellectuel d'abord intéressant et purement théorique qui part de la définition suivante de l'anarchisme : "la révolte contre toutes les conventions, toutes les formules sociales, le désir et l'effort de les abolir entièrement..." (p.18) le mènera vers des décisions étonnantes pour un anarchiste. Le refus de toute contrainte et tyrannie sociales le poussera à des questionnements et des réponses aux antipodes de ce que l'on s'attend à avoir dans un discours anar.
Si ce raisonnement peut faire sourire par ses excès, ses outrances, il fait également réfléchir aux discours auxquels nous sommes malheureusement habitués, ceux vides ou dénués de sens de certains politiciens. Je pourrais sourire et me servir de ce texte pour argumenter dans des diners entre amis, car dans ces moments-là je trouve qu'il est drôle de défendre une opinion qui n'est pas forcément la mienne juste pour énerver les copains et boire un coup ensuite. Mais à y regarder de plus près, le texte de Pessoa malgré ses énormités et ses contradictions est plus qu'un amusement de fin de soirée tant il fait appel à des comportements de nos jours ancrés dans les mœurs. Finalement, on frissonne de tant de cynisme, et pourtant ce n'est qu'une fiction... que la réalité, presque un siècle plus tard a rattrapé.
Fernando Pessoa, amoureux des paradoxes et des oxymores, nous livre ici, une nouvelle bien incongrue de par le discoure et de la dialectique que tient ce fameux banquier, aux arguments certes très personnels mais imparables. Ou comment faire du socialisme libertaire, un libéralisme individualiste, c'est un livre stupéfiant de bout en bout.
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