"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Durant l'entre-deux-guerres, Paris devient le port d'attache d'immigrants russes ayant fui la révolution bolchevik. Aristocrates déchus, insurgés en disgrâce, réactionnaires et séditieux, juifs fuyant les pogroms et agents du NKVD finissent par se mêler dans les bastringues de Pigalle.
Au soir du 19 juin 1926, le célèbre anarchiste ukrainien Nestor Makhno, blessé, affaibli et privé de tout, traque Joseph Kessel pour lui faire la peau. Dans Makhno et sa juive, l'écrivain en effet dépeint le révolutionnaire sous les traits d'un monstre assoiffé de sang et accède à la célébrité en lui volant la dernière chose qui lui reste : sa légende ! Bien décidé à confondre son détracteur, Makhno en est venu à concevoir un projet absolument dément : tuer un Juif pour prouver au monde qu'il n'est pas antisémite.
C'est dans ces bas-fonds de Pigalle que Makhno, pistolet en poche, se retrouve nez à nez avec Kessel. Et se voit embarqué à boire, écouter des discours, des chants, dans une folle soirée interlope jusque dans une fumerie d'opium où l'on croise... Cocteau et Malraux.
Dans un combat où bourreaux et victimes échangent parfois leur rôle, ce ne sont plus deux individus qui s'affrontent pour la gloire et contre l'oubli, mais bien la réalité et la littérature qui se jaugent et se défient à travers eux.
Paris pendant l’entre-deux-guerres, dans le monde des réfugiés russes qui fuient la révolution bolchevique, l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno traque Joseph Kessel…
Il faut dire que ce dernier a écrit un roman dans lequel il brise la réputation de Makhno. Dans Makhno et sa juive, il le présente sous les traits d’un meneur d’hommes d’une grande cruauté et d’un antisémite notoire. Celui-ci veut donc venger son honneur par les armes. Mais la rencontre avec Kessel est loin d’être telle qu’il l’avait imaginée.
Sans même l’avoir cherché, il se retrouve en compagnie de Kessel et de ses amis pendant toute une nuit de beuverie, allant de cabarets en fumerie d’opium, à la rencontre de Malraux et de Cocteau. Difficile dans ce cas de mener à bien sa vengeance, et celui qui a semé la terreur sur son passage devient mouton docile à la suite de sa proie. Le lecteur le suit tout au long de cette nuit bien singulière, ponctuée des éléments du passé des principaux protagonistes.
L’auteur utilise les souvenirs des deux hommes pour les replacer au cœur des événements qui agitent l’Europe des années 20. De la révolution russe à la guerre en Ukraine, il évoque les russes blancs réfugiés en Europe, les bolcheviks, ainsi que la diaspora russe qui se retrouvent dans le Paris de l’époque.
Chronique complète en ligne sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2021/11/18/lassassinat-de-joseph-kessel-mikael-hirsch/
Pigalle, lieu où les noctambules retrouvent les russes blancs ou autres, peut-être espions. Les nobles russes sont devenus musiciens de boîtes de nuit, les moins chanceuses, louent leurs charmes et plus si affinité. « La Révolution n’a pas aboli les injustices ou les différences de traitement… mais à Paris, les princes ouvrent désormais la porte des boîtes de nuit. Les dames de la noblesse sont entraîneuses ou marchandes fleurs, tandis que les anarchistes en disgrâce fabriquaient des chaussures à domicile. Seul l’exil avait mis tout le monde à égalité. »
Kessel vient publier « Makhno et sa juive » qui connaît un franc succès. L’auteur y dépeint Makhno comme « unique responsable de tous les pogroms qu’avait connu l’Ukraine dans les années qui suivirent la révolution d’Octobre ». Il n’a même pas pris le temps de vérifier ses sources « Recopiant de larges passages d’un mémoire édité à Berlin par l’ancien colonel blanc Guerassimenko, Kessel, juif né en Argentine, mais d’origine russe, y dépeignait Makhno en monstre assoiffé de sang ». Or ce colonel blanc est une taupe rouge !!
Makhno, fils de paysan russe devenu révolutionnaire chevronné est chassé par les bolcheviques et doit s’exiler à Paris où il se retrouve, grandeur et décadence, ouvrier aux usines Renault à Billancourt. Il a connaissance du texte de Kessel où le révolutionnaire est décrit comme sanguinaire. Vous comprendrez que ce n’est pas du goût de Makhno. Comment cet intello ose-t’il écrire ce tissu de mensonges sur lui, sur sa légende ? Le sanguinaire, ce n’est pas lui, même s’il n’a pas les mains très blanches, il était à la tête de La Maknovchtchina forte de cinquante mille hommes, il était un véritable anarchiste ukrainien, pas un sanguinaire !
Mikaël Hirsch les fait se rencontrer le 19 juin 1926, au Matriochka où Kessel a ses habitudes de fêtard noctambule. L’un est là pour faire la fête, l’autre pour le tuer. « Ce soir de juin 1926, ce n’était pas un procureur que Makhno s’apprêtait à tuer, pas même un juif en réalité, mais seulement un écrivain, un intellectuel prompt à juger et à théoriser ce qui, en réalité ne pouvait relever de la langue. »Commence une soirée de folie où j’ai éclaté de rire en lisant la description de Malraux, débraillé, complètement soûl, faisant la chenille au son des violons
« On ne devrait jamais boire avec les gens qu’on va tuer », et oui, Makhno on ne devrait pas !
Le livre va au-delà de la nuit de délire. Mikaël Hirsch pose la question de la dangerosité du livre, de la supériorité de la littérature sur l’action, de l’écrit qui reste sur l’oral qui disparaît, les mots peuvent tuer... et, en extrapolant, le danger de l’instruction « L’idéal qu’il avait incarné devait continuer à vivre » sous forme de mythe, mais un écrivain qui se prétendait pourtant homme d’action venait lâchement de s’attaquer à lui à l’aide de la seule arme qu’il ne maîtrisait pas : les mots », surtout en français, langue qu’il ne maîtrise pas du tout.
« Il en voulait à ceux qui maniaient la fourberie linguistique. Il jalousait les écrivains pour leur capacité à convaincre et les maudissait tout à la fois pour les abus auxquels ils se livraient sans retenue. Le prestige qui leur était accordé, particulièrement dans cette nation française qui se targuait d’avoir produit Saint-Simon et Flaubert, confinait invariablement à l’abus de pouvoir. »
Mikaël Hirsch sait me faire voyager dans le temps. Avec Libertalia, j'ai suivi la statue de la Liberté aux USA, Notre Dame des vents m’a conduite aux îles Kerguelen, avec les hommes, au coeur d’une création littéraire et...toujours avec le même plaisir.
Définitivement, j’aime le style de l’auteur. Les voyages, la quête identitaire, la fuite en avant sont encore présentes dans L’assassinat de Joseph Kessel, livre à la fois passionnant, fort bien écrit et mené, intrigant qui pousse à en savoir plus sur Makhno dont j’ignorais tout
J'adore l'ironie de la photo de couverture dont j'ai trouvé la traduction en début du livre "A bas ! l'alcool est l'ennemi de la révolution culturelle"... Quand je lis l'état d'ébriété de kessel lors de cette fameuse journée....
Éclairant, érudit et passionnant « L’assassinat de Joseph Kessel » est une mise en abîme implacable. Il remet d’équerre la vérité. Le ton est donné dès la première page,
« Kessel avait rencontré un vif succès en publiant une nouvelle intitulée « Makhno et sa juive ». Recopiant de larges passages d’un mémoire édité à Berlin par l’ancien colonel blanc Guerassimenko, Kessel, juif né en Argentine, mais d’origine russe, y dépeignait Makhno en monstre assoiffé de sang.
Décrit comme un anarchiste révolutionnaire, ukrainien, communiste libertaire, avide de sang et responsable de tous les pogroms. Mais voilà, Nestor Makhno fuit la Russie, s’installe en France à Paris. Il travaille et va régler ses comptes avec Joseph Kessel.
« Les Blancs et les Rouges, Kessel et Barbusse s’alliaient comme la carpe et le lapin non pour abattre un homme, qui était déjà à terre, mais pour souiller définitivement la seule chose qui lui restait encore, sa légende. »
Le récit est précis, magnifique de par son sérieux et sa volonté d’honneur. Makhno a de nouveau les ailes brisées. Cette nouvelle de Kessel est plus puissante que les armes. Destructrice elle foudroie Nestor Makhno. Son aura écartelée entre les lignes de « Makhno et sa juive ». Il cherche à se venger. Le hasard fait bien les choses. Kessel et lui-même fréquentent les bas-fonds de Paris. Il va le revoir et enclencher une filature, un pistolet caché dans sa poche.
« N’ayant qu’un très faible langage littéraire – il n’avait lu qu’un peu des Frères Karamazov à Boutyrka -, l’anarchiste avait un don infaillible pour repérer les exaltés, les faussaires pathologiques et les mythomanes en tout genre, bref, les écrivains. »
« Il en faudrait tout de même plus pour me surprendre, déclara soudain Kessel avec un air de défi. J’ai fait le tour du monde à vingt ans.
« L’assassinat de Joseph Kessel » rend hommage à Nestor Makhno. La réputation de ce combattant noircie par la plume de Joseph Kessel. Faut-il que la littérature soit fatale, lâche et faussée pour arriver à ses fins ? Abolir l’emblème même d’un homme, victime d’un écrivain qui s’est imaginé en justicier. La guerre froide des mots assassins. Cette nouvelle est une balle en plein front pour Nestor Makhno. Ce récit a plusieurs degrés de lecture. Il est d’un niveau intellectuel de haute voltige. Les historiens, les inconditionnels de Kessel, les combattants pour la justice, les idoles de Nestor Makhno, le lecteur lambda, tous vont trouvez ici, un texte de renom certifié. Le doigt pointé là où ça fait mal, son éveil à l’exactitude et sa droiture.
« La parodie du plagiat, calomnie et diffamation n’aura pas lieu. C’eût été le procès de la littérature elle-même ».
Makhno : « Il avait des faux-airs du personnage de vagabond immortalisé par Charlie Chaplin. »
Ce récit-essai est original de par le thème porteur et une écriture aérienne. C’est une conférence à ciel ouvert et un ouvrage pour tous les étudiants en littérature. Apprendre à toujours se méfier comme le disait Prosper Mérimée. Publié par les majeures Éditions Serge Safran éditeur.
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