"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
"La honte" c'est le récit autobiographique d'Annie Ernaux qui choisit un événement décisif dans sa vie : celui où elle porte un regard critique sur sa condition sociale et qu'elle réalise que son monde n'est pas celui de tout à chacun.
Ce récit condensé couvre donc l'année de ses 12 ans alors qu'elle est scolarisée dans un établissement privé et est amenée à côtoyer des enfants qui n'appartiennent pas à la classe ouvrière.
Choc des rencontres qui va la pousser à ressentir un sentiment pour l'instant inconnu d'elle: la honte.
L’autrice nous raconte à brûle-pourpoint une scène d’une violente dispute entre son père et sa mère lorsqu’elle avait 12 ans. Son père aurait été en passe de tuer sa mère, aux yeux de Annie Ernaux, petite fille.
Cette scène lui est resté en mémoire depuis de très longues années et pour elle, le raconter comme ça la fait s’interroger sur ce qu’elle pense de cette scène, non pas en tant qu’adulte à notre époque, mais en tant que petite fille, dans une époque révolue.
Alors, elle se met à énumérer le contexte le contexte de l’époque pour essayer de comprendre ce qu’elle a pu ressentir : elle fait des recherches sur le contexte de l’époque (la manière de s’habiller de l’époque, les faits divers qui donnent souvent une idée de la manière de vivre de l’époque au-delà des faits en eux-mêmes, sa vie au lycée, l’environnement familial,…
On dit souvent qu’un enfant jusqu’à un certain âge met ses parents sur un piédestal, que ce sont les plus forts, et que ce qu’ils disent est à la limite parole d’évangile.
A quel âge avons-nous commencé à remettre en cause leur parole ? A quel âge nous nous sommes rendu compte que ce qu’on considère comme « normal » au sein de notre famille, peut être en décalage avec la vie d’autres familles ?
Il s’agit du deuxième roman que je lis de cette autrice. J’ai été en week-end dans une maison que nous avons louée et dans cette maison, il y avait ce roman. Je l’ai lu pendant ce séjour, en le savourant. Malgré le peu de nombre de pages, j’ai mis plus de 5 jours à le terminer. Comme le dernier roman « la place », j’ai mis du temps à entre réellement dans le roman, en partie parce que nous entrons dans le monde de l’autrice, si particulier. A priori, sa bibliographie est en grande partie constituée de ses propres mémoires et sur sa famille. Entrer dans ce monde est toujours particulier, parce que montrer la vie de famille induit nécessairement montrer les petits travers de chacun, et c’est ce qui me semble le plus gênant.
Malgré tout, j’ai beaucoup apprécié cette lecture car se remémorer le passé pour comprendre ce que l’on a pu ressentir à ce moment-là me paraît crucial avec du recul. Si on ne remet pas le contexte dans un évènement passé, on a d’autres perspectives qui peuvent se révéler fausses. Par exemple, après la période « metoo », en tant que femmes, on peut se retourner vers le passé et se dire que ce que l’on a vécu, et parfois oublié, ce n’était en fait pas normal. Ce n’est qu’un exemple qui n’est pas abordé dans le roman.
J’ai adoré ce livre. Je compte bien continuer à découvrir cette autrice.
Honte : Déshonneur - Humiliant- Sentiment pénible d’infériorité ou d’humiliation devant autrui.
Voici le maître mot depuis l’âge de 12 ans d’Annie Ernaux avec ses origines.
Yvetot : petite ville où elle se sent étriquée
Ses parents : petits commerçants qui font bonne figure devant « les clients » mais dont les origines prolétaires reviennent avec naturel.
Un de mes livres préférés d’Annie Ernaux. Elle sait tellement bien écrire ce qui nous entoure : « Écrire est une chose publique »
Parfois un livre a le don de vous emmener loin en vous par sa première phrase. C'est le cas pour celui-ci, avec sa phrase coup de poing : "Mon père a voulu tuer ma mère un dimanche de juin, au début de l'après-midi."
C'est le cas pour de nombreux livres que je n'aurais sans doute jamais lus si je n'avais osé lire les premières lignes ou seulement la première phrase : "Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.", "Fils unique, j'ai longtemps eu un frère."
De cette première phase qui par son mystère vous emmène au plus loin du livre sans jamais le lâcher, par son sortilège jeté au lecteur dès le départ. De ces premières phrases grâce auxquelles on ne passe pas à côté de ces "petits" livres, parfois les plus discrets dans la bibliographie d'un auteur, mais qui ramènent à hauteur d'humanité des scènes traumatisantes de l'enfance. Merci à ces premières phrases.
Cela commence un dimanche de juin 1952, le 15 exactement, à midi : « Mon père a voulu tuer ma mère. » C’est l’année du renouvellement de sa communion. Elle a 12 ans et s’en souvient encore. Les photos, peu nombreuses, alimentent ses souvenirs comme la liste des objets datant de cette année. Des cartes postales, un album, une petite trousse, la partition d’une chanson "Voyage à Cuba", un missel… et son père qui disait : « tu vas me faire gagner malheur ». Elle se rend aux Archives de Rouen pour consulter "Paris-Normandie" de 1952, le journal de ses parents et redécouvre ce qui faisait l’actualité « Je connaissais la plupart des événements évoqués, la guerre d’Indochine, de Corée, les émeutes d’Orléansville, le plan Pinay mais je ne les aurais pas situés spécialement en 52… »
Elle passe ensuite à sa ville d’Y., une ville qu’elle ne peut nommer « le lieu d’origine sans nom où, quand j’y retourne, je suis aussitôt saisie par une torpeur qui m’ôte toute pensée, presque tout souvenir précis, comme s’il allait m’engloutir de nouveau. » Cela ne l’empêche pas de détailler la topographie de cette ville : rues, quartiers pour arriver « chez nous », l’épicerie-mercerie-café. Elle recense les expressions et les gestes du quotidien, se souvient « Tous les soirs de la semaine, à 7 h 20, La famille Duraton » et ajoute « Ici, rien ne se pense, tout s’accomplit. »
Elle nous livre un tableau détaillé, très complet de la société qui l’a vue grandir, décrit la politesse et la conduite à tenir pour une fille de commerçants, n’oubliant pas de confier ses sentiments. L’école privée catholique tient une grande place avec cette religion omniprésente, le mot laïc étant synonyme vague de mauvais. Sa mère est très assidue alors que son père fait le minimum.
Mêlée aux filles de l’école privée, petit à petit, elle a de plus en plus honte du métier de ses parents : « comme d’une conséquence inscrite dans le métier de mes parents, leurs difficultés d’argent, leur passé d’ouvriers, notre façon d’être. Dans la scène du dimanche de juin. La honte est devenue un mode de vie pour moi. »
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
J'ai vraiment aimé ce livre !!! La honte ressentie à l'encontre de sa condition par celui qui en est sorti par la grâce même de ceux qui y sont restés.
J'aime définitivement l'écriture de Mme Ernaux. En racontant sa vie, elle décrit ces sentiments que l'on ose à peine s'avouer à soi-même.
En adhérence avec les "armoires vides" du même auteur, je n'ai pu m'empêcher de faire un lien avec le livre "les demeurées" de Jeanne Benameur.
Un sentiment désespérant paradoxalement rassurant.
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