« La petite monte les trois marches de pierre du bureau de la quincaillerie. »
Poignant, « Fille perdue » est une page arrachée du cahier des désespérances. Ce roman social, engagé, lève le voile sur un XIXème siècle encerclé par les aprioris, les conventions. Les femmes dans ces années...
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« La petite monte les trois marches de pierre du bureau de la quincaillerie. »
Poignant, « Fille perdue » est une page arrachée du cahier des désespérances. Ce roman social, engagé, lève le voile sur un XIXème siècle encerclé par les aprioris, les conventions. Les femmes dans ces années austères avaient par obligation la posture du silence, les désirs renfloués, le corps effacé. Ne jamais frôler des yeux l’annonce d’une gestuelle déplacée dans cette époque muselière. Mais voilà Anicette (prénom de l’enfant) ressent les prémices d’un printemps en son corps. Elle est vue, montrée du doigt, dénoncée à son père. L’enfance vole en éclat. Anicette est la seule fille dans une fratrie masculine. La quincaillerie familiale est gérée d’une main de fer par son père. Gâtée, heureuse, choyée, Anicette est jusqu’alors bercée par ses peintures, ses dessins, les loisirs d’une fillette épanouie. La famille est aisée, mais la parole des femmes est enfouie sous terre. Mutisme.
« Dans la maison Bru, toutes les voix ont changé. -Ainsi soit-il. Une voiture te conduira demain à l’institution des sœurs. Adieu. »
Son arrière-grand-mère, pour le dernier soir lui implore un ultime dessin. L’enfant ressent l’ombre à venir subrepticement. Le dessin est exutoire, cendres retenues par une arrière-grand-mère avant-gardiste et brillante. Aimante et féministe, le mystère caché dans cette maisonnée pétrie de faux-semblants.
« Et il y a la terrifiante découverte, ceux qui aimaient haïssent. Ceux qui aiment mènent à l’échafaud. Elle avait lu ça dans les livres d’histoire. Des familles soudain déchirées. Fauchées par on ne sait quoi. Par la faute de l’un. La poupée et la vicieuse. »
Anicette et les écritures, la lecture, la peinture, bandeau sur sa mémoire. La voici dans l’antre des Sœurs, vingt fillettes auprès d’elle. La rigueur, la froideur, le spartiate, l’abolition de la libre-pensée, son corps en arrêt de vie. Elle va se lier avec Vinciane. Affronter les affres, l’institution muraille.
« Jure-moi de ne pas m’abandonner. -Je te l’ai juré déjà, Vinciane. -Quoi que tu découvres, jures-moi. »
Vinciane, sa fidèle, cache aussi un lourd secret. Comment ces deux enfants grandissantes peuvent-elles se métamorphoser ? Devenir des femmes, lorsque les aspirations sont reflouées, boue sale devenue. Les religiosités, les mesquines croyances et les tabous trop prégnants effacent tout espoir. « Fille perdue » est un témoignage. Superbement écrit par Adeline Yzac, son olympien apaise les drames. Ces femmes mutilées dans leur chair, le corps caché, linge sale. Anicette est un symbole. Lisez ce grand livre qui rend hommage aux femmes meurtrissures. Mémoriel, douloureux car véridique. La morale bien-pensante, la science aux abois, les femmes au fronton de la parole brisée en mille morceaux. « Fille perdue » est une urgence de lecture. Publié par les majeures Éditions La Manufacture des livres.