"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Aucun résumé n'est disponible pour cet ouvrage actuellement...
« Jeux de mémoire » paru en 2010 était un livre composé de trois recueils publiés auparavant en néerlandais en 2005 et remaniés pour ne former qu’un livre qui racontait les souvenirs d’enfance d’Erik de Graaf et en particulier des vacances qu’il passait chez ses grands-parents. C’est à nouveau sa famille qui est à la source d’« Eclats » : l’auteur s’appuie sur les souvenirs de guerre de son oncle et de son grand-père ainsi que le souligne le cahier en fin d’album « le vécu derrière la fiction » qui présente des fac-similés de lettres, de documents d’état-civil , des photos de famille et des objets du quotidien.
« Eclats » a connu sa première publication en langue française chez la Pastèque en 2013 et a été réuni avec le deuxième volet du diptyque en 2020 chez les éditions Dupuis dans une nouvelle maquette où les couvertures se répondent et se complètent telles les deux pièces d’un puzzle pour en former une troisième, très jolie, qui marque à la fois les retrouvailles du couple d’amoureux et souligne qui est le personnage principal de chacun des tomes.
Samedi 4 mai 1946, voici maintenant un an que la guerre est terminée en Hollande et six ans que Christian repose dans le cimetière où vient se recueillir son ami Victor. Ce dernier se remémore leurs derniers jours ensemble en mai 1940 alors que Christian ne rêvait que d’en découdre et de continuer le combat, après ce qu’il considérait comme une trahison de Willemine et la famille royale, persuadé qu’un sabotage des canons avaient eu lieu précipitant une honteuse capitulation de son pays. En sortant du cimetière, il croise Esther. Ils étaient pratiquement fiancés avant-guerre ; c’est d’ailleurs Christian qui les avait présentés l’un à l’autre. A son retour du front, Victor l’avait cherchée ; on lui avait dit qu’elle avait fui les persécutions car elle était juive. Il la croyait morte et ne pensait jamais la revoir ! Elle lui demande alors de lui raconter sa vie depuis le moment où tous leurs projets ont volé en « éclats » et de lui dire comment et pourquoi leur ami est mort.
Jeux de mémoires
Ce premier tome, comme le rappelle la couverture dans laquelle son visage apparaît en gros plan, s’intéresse donc davantage au personnage de Victor puisqu’il va raconter son histoire à son amie à la demande de celle-ci. On va avoir le récit en couleurs durant lequel Victor sera pratiquement « interviewé » par Esther qui oriente ses souvenirs par ses remarques et ses questions en 1946 et des flashbacks de deux ordres : les premiers sur la guerre sont couleur sépia comme des clichés d’époque et ceux plus anciens sur l’avant-guerre sont en noir et blanc. Ces codes chromatiques donnent une lisibilité au va et vient entre passé et présent et celle-ci se trouve même accentuée par l’inclusion de dates à chaque début de séquence présentées sous la forme de feuille d’une éphéméride.
Vies brisées
Erik de Graaf signe donc un livre « témoignage » sur l’invasion des Pays-Bas par l’Allemagne nazie et sur leur amère défaite lors de la blitzkrieg. On a l’impression, grâce au mode de la conversation, qu’il se confie directement à nous et l’on perçoit alors ses regrets d’une capitulation trop rapide, sa douleur devant la perte d’êtres chers, sa nostalgie du passé heureux et la difficulté d’abandonner ses rêves personnels. Il est question très allusivement de son entrée dans la résistance mais ce sera sans doute abordé davantage dans le deuxième volume. Dans celui-ci, Esther juge très sévèrement la non -rébellion de jeunes soldats qui n’ont rien pu faire contre « les Boches », puis ont fui ou se sont cachés. Ces réactions - qui trouveront également leurs explications dans le deuxième volume - pourraient être celles du lecteur frustré d’héroïsme … Or, il me semble que c’est justement une version anti-hollywoodienne que veut donner de Graff ici, et que les propos d’Esther soulignent finalement combien des jeunes gens ordinaires étaient plongés dans une situation qui ne l’était pas.
Le parti-pris de la sobriété
Le dessin très épuré contribue à cette volonté de ne pas glorifier ni faire « d’esbrouffe », il est très 1950, tenant de la ligne claire et du style atome qu’admire le dessinateur, et possède un côté rétro. Comme le monologue intérieur du début très succinct, les dialogues sont très lapidaires, et il n’y a pas de récitatifs hormis des notations temporelles. Toute la palette des sentiments est transcrite par les expressions des yeux et des bouches des personnages mis en valeur grâce aux cadrages resserrés. Le fait qu’il y ait une certaine réticence à exprimer le vécu montre de façon très efficace que les « cicatrices » (titre du second volume) sont loin d’être refermées. Cette pudeur permet aussi au lecteur d’essayer de combler les blancs et le rend actif tout en dotant le propos d’une sorte d’universalité.
C’est un livre intéressant parce qu’il aborde un sujet peu traité : l’occupation allemande en Hollande. Ici ce sont de anonymes, pas des héros, qui sont mis en scène. Le traitement de l’histoire avec de brèves allusions à l’Histoire et un va et vient permanent entre les époques pourra en décontenancer plus d’un tout comme les redites et la lenteur du rythme ; mais c’est emblématique des mots qui se cherchent, de souvenirs qu’on a voulu enfouir qui remontent à la surface, de jeux de [la] mémoire aussi et d’une certaine pudeur. Ce récit tout en sobriété n’en est finalement que plus émouvant.
Je remercie Erik de Graaf, les éditions Dupuis et Netgalley de m’avoir offert la possibilité de le lire.
#Eclats#NetgalleyFrance
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !