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Charivari à Bucarest

Couverture du livre « Charivari à Bucarest » de Sylvain Audet-Gainar aux éditions Robert Laffont
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  • Une enquête en plein cœur de la capitale roumaine ? Un peu de légèreté me tentait bien d’autant que les problématiques du pays laissent justement peu de place au rire, les anciens traumatismes sont loin d’avoir été effacés alors que de nouvelles menaces apparaissent dans l’horizon roumain, les...
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    Une enquête en plein cœur de la capitale roumaine ? Un peu de légèreté me tentait bien d’autant que les problématiques du pays laissent justement peu de place au rire, les anciens traumatismes sont loin d’avoir été effacés alors que de nouvelles menaces apparaissent dans l’horizon roumain, les mêmes que l’on retrouve un peu partout en Europe et qui nous vient de l’Europe orientale.


    C’est le troisième tome d’une trilogie certes, mais cela ne pose aucun problème à la lecture : les allusions aux tomes précédents sont rares, et le cas échéant, elles sont expliquées. Vasile est frappé d’un AVC à l’enterrement de son ami Constantin, héros de la Révolution de 1989, alors qu’il est sur le point d’être arrêter : il a le bon goût d’avoir une fille, Iulia, un gendre et trois petits enfants. Ce même gendre, Arthur Weber, voit des accusations lui tomber sur le coin du nez, alors que son beau-père est accusé de trafic de faux tableaux. Ce serait tristement simple si les choses en restaient tout bonnement là pour Arthur. Sa femme quitte momentanément le foyer pour un voyage de quelques jours, son vieil ami Tudor débarque pour lui confier ses quatre enfants. Voilà Arthur embourbé dans une première forme de joyeuse cacophonie, composée des personnalités extraverties, et foncièrement opposées des sept enfants sous sa garde, d’une part, d’accusations infondées qui sortent du chapeau d’une commissaire bornée et désagréable, d’autre part. Arthur est ainsi contrait de se plonger dans le passé de son beau-père, intrinsèquement corrélé au passé sombre du pays et toutes les noirceurs que le gouvernement voudrait bien garder archivées dans l’oubli.

    Les chapitres alternent entre discours narratifs et reproductions fictives de comptes-rendus, de notes, de discours, de rapports des années 1960, à la typographie désuète adéquate, d’agents de la Securitate : car en effet, cette intrigue de faux tableaux trouve ses sources aux générations précédentes. Des « déclarations », ou pour être francs des « délations, des aveux, de trahisons envers le parti, d’activités illégales, des tentatives de remise en cause et de déstabilisation du régime, tout début de forme de critique. Des témoignages qui montrent comment les culpabilités sont montées de toute pièce, comment sur la base d’un simple soupçon infondé, les choses prennent une tournure dramatique, les destins sont définitivement scellés. Ce que l’enquête de notre Arthur dévoile, à travers le destin du couple Dumitru, Gheorghe et Cornelia, ayant eu pour seule descendance, leur fils Felix, génie de la peinture, victime d’un système déviant. Ces chapitres-là, fondés sur la circonspection, la lourdeur même, la rigidité et la solennité du ton qui sied à des rapports de délateurs débordants de zèle, des discours politiques, des rapports de la Securitate, forme un contraste avec le ton léger et badin de notre narrateur décidément bien malchanceux qu’est notre Arthur franco-roumain.

    Outre le côté policier qui s’appuie sur le contexte dictatorial et autoritariste de la Roumanie, ce qui caractérise ce roman, c’est l’énergie incroyable avec laquelle l’auteur mène son récit : on sent l’homme survolté, l’esprit bouillonnant qui caractérise le tempo sans vraie pause et un dynamisme presque communicatif. Un James Bond même, dans ses péripéties les plus invraisemblables et sportives, n’aurait pas cette énergie là. Car, malgré (ou à cause peut-être ?) de la gravité du contexte historique, l’auteur fait preuve d’un humour sans borne, très vivifiant, qui a le don de nous secouer les puces. Si le héros n’y va pas de main morte pour dézinguer, au moyen d’une plume assassine, ses différents interlocuteurs, ou plutôt l’anti-héros, Arthur, qui n’hésite jamais à se moquer de lui-même, d’autant qu’il se retrouve volontiers dans les situations les plus épiques. Tourner tout à la dérision est un choix, qui n’enlève rien aux crimes commis par la Securitate et ses sbires, mais fait de ce roman, ni tout à fait historique, ni tout à fait policier, un roman inclassable, et dont on ne peut qu’aimer et approuver l’enthousiasme !

    On continue dans l’iconoclaste, ce roman qui se déroule dans un langage très franchement québécois – des quelques romans d’auteurs parlant un Français québécois, celui-ci est de loin le plus caractérisé – qui fait de lui une œuvre mixte entre le Canada, la France et la Roumanie. Je dois bien dire que c’est assez unique en son genre, et témoigne, j’imagine de la culture et de la pluriculturalité de Sylvain Audet-Găinar. Ce qui est intéressant dans ce roman, c’est qu’il fait un pont entre les affres de la Roumanie passée, la dictature soutenue par l’omnipotence et omniprésence de la Securitate, et les problématiques actuelles, le retour en force, ici aussi, de l’intégrisme et de la xénophobie. Avec un soupçon d’ingérence russe puisqu’à l’évidence, ils se sont immiscés de partout.

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