Ce sera ma première lecture marquante de l'année. Cinq étoiles pour un étourdissant roman trempé à l'ultra-noir.
Bernadette et Yves, un couple de tueurs en série qui sévit en camping-car, lui tuant pour assouvir la pulsion de sa compagne et « sublimer » leur amour tout en sentant qu’ils sont...
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Ce sera ma première lecture marquante de l'année. Cinq étoiles pour un étourdissant roman trempé à l'ultra-noir.
Bernadette et Yves, un couple de tueurs en série qui sévit en camping-car, lui tuant pour assouvir la pulsion de sa compagne et « sublimer » leur amour tout en sentant qu’ils sont peut-être arrivés à la fin de ce parcours mortifère. Anna, une gamine un peu simplette, très étrange aux sens olfactifs surdeveloppés lui permettant de sentir « le courant profond et obscur des choses », livrée à elle-même. Chloé, rescapée d’un terrible accident de voiture qui a décimé sa famille, désormais vivant en marge de la société, au contact d’une inquiétante communauté de villageois autarciques dirigée par un sachem-chamane et une guérisseuse taciturne.
Antoine Chainas rebat les cartes classiques du roman noir pour construire une intrigue dont il est impossible d'anticiper la direction tant l'auteur nous entraîne vers des collisions aussi inattendues qu’inéluctables. Chacun dans leur arc narratif, ses personnages principaux claudiquent avant de se télescoper au carrefour d’un destin cruel qui trace la trajectoire de chacun et ordonne le chaos de ces vies fracassées. J’ai rarement lu un roman à la construction aussi parfaite, sans faux-plat ; le scénario incube lentement, virevoltant d’un personnage à l’autre avec Anna comme catalyseur des collisions.
Son précédent roman, Empire des chimères, m’avait déjà impressionnée par son style. Une nouvelle fois, je suis estomaquée par la puissance et la beauté de son écriture, immersive, organique, semant des rhizomes de mots qui résonnent dans l’instant ou au diapason d’un autre, plus tard. Des phrases nous cueillent, comme celle-ci : « S'il avait pu étirer ses lèvres qui pour l'heure n'existaient plus qu'à l'état de rature écarlate et noir, il aurait souri. Et s'il avait eu la totalité de ses incisives, il aurait montré les dents. »
La lecture est intense. Antoine Chainas remue ce qu’il y a de plus sombre dans la nature humaine. Certaines scènes paroxystiques, notamment sur la genèse du parcours criminel de Bernadette et Yves et la nature irréversible de leur premier crime – celui qui les entraîne sur une pente monstrueuse - sont à la limite du soutenable. En fait, le lecteur est plongé dans un monde parallèle qui alterne passages qui l’hypnotisent autant qu’ils le terrifient, empreint d’horreur profane, le perturbent jusqu’au malaise tout autant qu’il l’émerveillent.
Si le roman vibre de quelque chose de très contemporain ( et politique ) dans sa vision de la société ultra-libérale des années 1980, sa densité et sa richesse nait de la dimension mythologique du récit. A Bois-aux-renards, point de non retour hors civilisation où se carambolent tous les personnages, tout se confond ( animal et humain, légendes et réalité ), un lieu primitif et païen hanté par une mythologie sauvage. Chaque élément du décor est rattaché à un conte : la Fourche du Pendu, la tour en ruine, le puits désaffecté, la forêt à la présence omniprésente. Hommes éphémères et nature immuable s’y décomposent pour renaître en symbiose dans ce lieu magique qui dévoile les choses oubliées.
Epoustouflant de maitrise, de cohérence et d’originalité. Chef d’oeuvre de roman noir, assurément.
Bonne future lecture !
Merci @Cannetille pour cette belle description! Et hop dans ma pile à lire !