"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Très tenté par ce roman et à la fois sur la réserve tant je ne suis pas attiré par le monde médical, je me suis fait totalement prendre et, heureusement qu'il est court, parce que je n'ai pas pu le lâcher. Tout d'abord et avant tout, j'ai beaucoup aimé l'écriture de Jessica Knossow, sèche, directe. Phrases courtes ou phrases longues très ponctuées, style rapide qui va au plus court : "Les urgences de la Pitié. Pleines. Pléonasme. Ici, la grande salle des urgences, on l'appelle la "Cour des miracles". A cause du monde, à cause du bruit. Mais les miracles, à l'hôpital, je n'en ai jamais vu. Ni ici ni ailleurs. Tous jouaient leur peau, tous voulaient survivre. Les patients à la maladie, les soignants à la nuit." (p.25) On est avec elle dans l'urgence, dans les journées à rallonge, les lieux parfois sordides, et elle nous y aide même avec un plan annoté de sa main (l'organigramme du service de chirurgie viscérale est drôle, dans l'image et dans la description)
Les lieux et l'état de l'hôpital en général sont au centre du livre : l'autrice parle des services qui perdent de l'argent, car les opérations ne sont pas rentables dixit M. Chiffre qui mène un audit. Le mot d'ordre est l'argent : travailler mieux pour moins cher. Optimiser, comme si la santé avait un prix... "Le pire, c'est que bientôt, on va trier les patients : rentable, pas rentable..." (p.94) fait-elle dire à l'un des médecins. Et l'hôpital prend l'eau, soignants et soignés s'y noient. Et l'on a bien vu comment la crise COVID a exacerbé les difficultés et les manques de moyens. La santé est devenu un bien comme un autre.
Et puis il y a Emmanuelle, qui sacrifie tout à son ambition, qui veut absolument réussir, être reconnue de ses pairs. R. est celui qui le lui permettra. Une jeune femme forte qui doit s'imposer. Elle doute, elle a peur même lors de ses premières consultations "Pourtant j'avais la théorie avec moi, je connaissais par cœur les indications chirurgicales, les risques de complications, j'avais la tête pleine d'organigrammes, de diagrammes, de cases, de listes, de tableaux, de flèches, mais ces connaissances ne parvenaient pas à m'apaiser -et pour cause : les patients ne rentraient dans aucune case." (p.78)
Ce très beau roman, très équilibré, se lit d'une traite. Il m'a bluffé de bout en bout par sa concision et sa précision, j'allais écrire chirurgicale, son rythme. Il décrit les conditions de travail du personnel médical et donc d'accueil des patients, la dégradation d'icelles pour cause de rentabilité exigée en haut lieu et un très beau portrait de femme. Bref, un excellent roman pour lequel ma recension est sans doute un peu confuse tant j'ai l'impression de n'avoir dit que la moitié de ce que j'avais à en dire.
Ophélie semble avoir tout pour elle : un époux attentionné, trois beaux enfants en bonne santé, un poste de médecin dans un service de cancérologie d’un grand hôpital parisien. Pourtant, depuis qu’elle a repris son activité professionnelle après la naissance du petit dernier, rien ne va plus. Alors qu’elle jongle jusqu’à l’épuisement entre ses rôles de mère, d’épouse et de médecin, tout semble lui échapper, comme si, malgré tous ses efforts, elle ne parvenait plus qu’à tout faire à moitié. La frustration, puis la colère et la rancune, l’investissent peu à peu, la précipitant vers le drame.
Toutes les femmes partagées entre leur vie familiale et leur activité professionnelle se reconnaîtront dans les tiraillements vécus par Ophélie. Même en s’investissant corps et âme pour répondre à l’ensemble de ses obligations, la jeune femme ne peut rivaliser, sur leur terrain de prédilection, ni avec les mères au foyer, ni avec ses collègues masculins investis dans leur seule carrière. Cette réalité rattrape soudain la jeune femme, dans un sentiment mêlé de culpabilité et d’injustice d’autant plus lourd, que personne autour d’elle ne semble réaliser la hauteur de ses exploits quotidiens, les trouve même tout à fait naturels sans penser à y prendre la moindre part, et qu’au final, elle se fait damer le pion sur tous les tableaux, familial, professionnel et personnel.
De son écriture fluide et directe, l’auteur réussit à nous faire toucher du doigt la frustration croissante d’Ophélie, son épuisement et sa révolte face à l’éternel déséquilibre qui plombe le rôle des femmes, puisqu’elles seules, le plus souvent, ont à gérer simultanément toutes les sphères de l’existence. La brièveté du récit ne lui permet toutefois pas de creuser suffisamment ses personnages, notamment la relation d’Ophélie à ses parents et l’impact de la mort de sa sœur, laissant le soin au lecteur de faire lui-même la relation avec une issue qui pourrait paraître d'autant plus exagérément tragique que la tension dramatique n’était pas jusqu’ici la priorité narrative.
Ce premier roman s’avère une lecture agréable, peut-être un peu expéditive dans son ensemble et excessive quant à son dénouement, mais en tous les cas une illustration parlante de ce qui transforme les femmes d’aujourd’hui en jongleuses du quotidien.
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