"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Camille et Lise Dutilleul sont deux sœurs. L'une est prof tandis que l'autre bosse dans la finance. Elles vivent encore sous le même toit, dans la maison où elles ont grandi ... Sous le même toit mais dans deux espaces bien distincts. Car entre elles, le fossé est énorme. Jusqu'au jour où elles reçoivent le même courrier recommandé....
Une maison scindée en deux, chacune son espace de vie où évoluer, sans se croiser, sans avoir à se parler, ou le moins possible. Isabelle Sivan joue sur cette symétrie et ces différences pour brosser le portrait d'une relation stoppée nette par l'incompréhension, par la distance. Comment maintenir ce lien familial mis à mal par des chemins de vie différents ?
Bruno Duhamel (vu notamment dans "Jamais" en 2 tomes) parvient à mettre en images de façon formelle, souvent sans mots, cette opposition entre Lise et Camille. Le lecteur est observateur de cette scission, il constate même si toutes les explications ne nous sont pas données. Une figure de style intéressante que ces cases coupées en deux, qui, sans être fondamentalement dynamiques, n'en sont pas moins essentielles à la narration de l'album.
Au-delà du récit familial bien mené, cet album se distingue par un travail graphique original. Une sympathique découverte !
Quel vieux ronchon, cet Abel ! Mais on l’aime bien quand même.
Abel vit seul dans sa petite ferme où il élève quelques vaches et des chèvres. Paysan, il l’a été par défaut lorsqu’il a dû reprendre la petite exploitation familiale. Son truc à Abel, c’est de voyager. Son obsession, c’est d’imaginer ces voyages lointains qu’il espère bien réaliser un jour. En attendant, il s’évade à travers les guides touristiques. Au village, on se moque d’Abel et de sa marotte. Pourtant, malgré son sale caractère, il nous émeut, ce vieux grognon qui perd ses moyens lorsqu’il achète un bout de saucisson à la jolie charcutière.
Tout en gris et blanc, les dessins sont superbes et les paysages saisissants. Juste quelques taches de couleur lorsqu’on se faufile dans les rêves d’Abel.
La vie à la campagne est très bien croquée, c’est rude et sans concessions. Le temps s’écoule lentement au rythme des saisons. On a de la peine pour le vieil homme qui a des rêves trop vastes pour son coin de campagne.
C’est sobre, avec peu de dialogues, mais l’histoire fonctionne à merveille et on n’a qu’une envie, c’est de s’embarquer avec Abel pour un curieux voyage.
Ce n'est pas seulement le climat qui est étouffant à Dankala, ce petit pays d'Afrique noire où la France continue d'envoyer ses militaires malgré la décolonisation. L'atmosphère entretenue par le petit groupe d'expatriés français y est également irrespirable. Ces notables s'y ennuient sans grâce, s'épient et glosent sans fin sur les attitudes des uns et des autres, confits dans l'égoïsme et la condescendance des ressortissants de pays riches. Le meurtre horrible d'un jeune militaire français y est traité sur le même plan que l'alcoolisme de l'épouse du consul, comme un moyen de lutter contre l'ennui en faisant circuler les plus folles rumeurs, quitte à en inventer certaines. Cette insensibilité au sort des autres demeure, même lorsque les morts se multiplient. Si Jean Richemont, le consul, s'y intéresse quelque peu, c'est uniquement parce qu'il est certain d'y trouver matière à l'écriture d'un roman qui le placera dans la lignée de Claudel ou Chateaubriand. Seul Achille, le mendiant qui contemple imperturbablement ce mesquin théâtre des apparences et des vanités, semble distinguer les forces qui agissent souterrainement et qui font peser des menaces latentes sur ce microcosme dérisoire.
L'écriture d'Isabelle Sivan exprime magistralement ce climat poisseux et l'ennui désabusé de ces personnages qui errent au bord d'un volcan. La vacuité de leur existence, leur apparente absence de conscience ne suscitent guère d'empathie, ni de sympathie. La manière dont ils sont figurés les apparente à des types, à des rôles désincarnés, dont la véritable intériorité échappe au lecteur. Tout se passe comme si le seul vrai personnage du roman était Dankala, que la description toute en sensorialité, mêlant poésie et réalisme, rend charnel, comme si l'on pouvait en percevoir et en comprendre les mystères et les vibrations.
C'est, pour moi, un roman tout en contrastes. Noirceur de la mort qui plane et lumière obsédante du soleil. Aveuglement des expatriés et conscience aiguë d'Achille. Richesse et pauvreté. Europe et Afrique. Le rythme de la narration et l'écriture épousent ces oppositions sans en donner toutes les clés. Si je n'ai pas toujours été emportée par l'intrigue, j'ai été subjuguée par la force évocatrice de cette écriture souple et précise qui donne à la fiction les couleurs du réel. Indubitablement, une auteure à suivre !
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