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La chronique #9 du Club des Explorateurs : "Erable" de Saskia de Rothschild

La machine à faire des heureux

La chronique #9 du Club des Explorateurs : "Erable" de Saskia de Rothschild

Lancé en janvier 2015, le Club des Explorateurs permet chaque semaine à deux lecteurs de lire en avant-première un même titre que nous avons sélectionné pour eux et de confronter ainsi leur point de vue.

Cette semaine, Sandrine a choisi Coralie pour partager sa lecture et son avis sur le livre Erable de Saskia de Rothschild (Stock).

 

L'avis de Sandrine

Je me suis plongée avec enthousiasme dans le premier roman à la quatrième de couverture succincte et alléchante : « Marre de la routine ? Confiez votre vie à Jean-Charles Érable. Son métier : contrôleur de hasard. Sa mission : réécrire votre destin ».

Voilà qui promettait un sujet original ! En effet, en personnage principal, Fortuna : une machine sortie de l’esprit d’Érable, qui connait tout de vous et influe sur le hasard afin de donner l’impression que le destin place sur votre route l’amour, le job de vos rêves… Bref, un peu comme la machine de la série « Person of Interest », en beaucoup plus positif !

L’autre personnage, c’est Jean-Charles Érable ! Il présente certaines caractéristiques de l’autisme bien qu’il s’en défende, mais il est surtout mégalo au point d’être persuadé qu’il peut non seulement contrôler le hasard à l’aide de sa machine et faire votre bonheur malgré vous, mais aussi qu’il peut biaiser ladite machine à ses propres fins pendables.

Hélas, mon enthousiasme est retombé et je suis restée sur ma faim. Tout d’abord, je me suis un peu perdue parmi tous les « sujets » de Fortuna, personnages survolés par l’auteur et dont je n’ai pas su apprécier la bonne fortune prétendue. Et puis, à l’idée d’une telle machine et à la lecture du tout premier chapitre qui porte sur la naissance extraordinaire d’Érable, j’avais espéré une histoire beaucoup plus originale, sans forcément une fin avec une bonne morale. Pour autant, si le début enthousiasmant n’a pas, pour moi, tenu sa promesse, le roman à l’écriture fluide et rythmée de courts chapitres fut un agréable moment de lecture.

Sandrine 031

 

L'avis de Coralie

Quand j'ai commencé ce livre, j'ai d'instinct pensé au film « Amélie Poulain » car l'écrivain nous présente le personnage principal Erable en nous racontant des passages de sa vie passée par petites coupures et en employant comme temps de narration l'imparfait. Du coup, on a l'impression d'avoir quelqu'un tout proche de nous qui nous raconte une histoire qui aurait pu commencer par "il était une fois", comme dans les livres d'enfant.

L'utilisation de l'imparfait m'a vraiment marquée car c'est assez rare de lire un livre où plusieurs chapitres sont écrits avec ce temps, il déplace l'histoire dans un passé lointain, il donne un côté un peu lascif au récit qui semble s'étaler dans le temps. On a plus l'habitude de voir cela dans les livres de jeunesse. Mais cela est très utile pour l'histoire car cela concerne toute la partie de présentation du personnage principal et contribue à faire la scission entre cette partie et le moment où débute réellement l'action. A partir de cet instant, l'écrivain a employé un temps plus banal : le passé simple. Cela redonne un coup de peps à l'histoire et supprime l'effet "narrateur". La lecture de l'histoire est facile puisque l'écrivain a privilégié l'emploi de phrases courtes ou de tailles raisonnables, ce que je trouve personnellement très agréable car cela nous évite d'avoir à relire plusieurs fois la même phrase pour en comprendre le sens.

Pour ce qui est de l'histoire en elle-même, elle est basée sur l'utilisation d'une machine autonome appelée Fortuna qui, grâce aux renseignements reçus sur les personnes ciblées, arrive de manière autonome à prévoir des "hasards heureux" qui peuvent changer la vie des gens concernés. Du coup, j'appréhendais un peu la lecture de ce livre, j'avais peur de tomber sur quelque chose qui ressemble à la série TV « Person of Interest » qui est elle aussi basée sur une machine autonome, mais qui elle indique des noms de personnes qui vont potentiellement se faire tuer... la comparaison s'est donc stoppée d'elle-même. J'avais peur également de me retrouver dans un récit de science fiction mais pas du tout. L'histoire finalement paraît tout à fait réaliste : on utilise tous Internet, on a tous une carte bleue, on a tous nos petites habitudes et il serait donc potentiellement très facile pour une personne lambda qui s'y connaît un peu en informatique de collecter des données pour nous espionner et influencer notre futur en nous créant des rencontres, des événements. Cela nous amène même à nous poser des questions sur le fait que finalement peu d'éléments de notre vie privée sont totalement privés puisque tout est informatisé.

Au final, j'ai trouvé l'idée de l'histoire intéressante mais j'aurais aimé qu'il y ait plus de rebondissements, plus de surprises pour me donner envie de lire sans m'arrêter. J'ai trouvé cette lecture assez monotone, que je résumerai en "un homme utilise une machine pour créer des hasards heureux sans être capable de se créer pour lui-même un hasard heureux qui dure". J'ai eu le sentiment que l'écrivain était resté trop factuel par rapport aux différents éléments de l'histoire comme si elle avait posé les éléments les uns après les autres... et point. C'est sûr qu'il est difficile dans une histoire qui parle d'un homme qui n'éprouve aucun sentiment pour autrui d'introduire dans l'histoire du liant entre le personnage et le lecteur, j'en suis bien consciente mais là j'ai trouvé le style un peu trop aseptisé à mon goût.

Et puis, quel dommage de ne pas plus développer la fin du livre. Pourquoi ne pas expliquer comment Erable qui a passé 20 ans de sa vie à fuir sa famille parce qu'il ne la trouvait pas assez à la hauteur, se retrouve finalement à s'occuper de son père qui semble-t-il perd la tête ? J'aurais apprécié plus de détails et ne pas à avoir à imaginer pourquoi : parce qu'il a réalisé sa bêtise ? parce qu'il a pris conscience qu'une surestime de lui-même ne le mènerait nulle part ? parce qu'il est incapable d'aimer réellement quelqu'un et se retrouve seul ? Cela fait trop de non-dits. Je m'attendais presque à avoir un chapitre supplémentaire qui m'aurait expliqué le pourquoi, ce qu'il a ressenti en voyant ses soeurs à l'aéroport, ce que cela lui a fait de réaliser qu'une machine ne peut pas forcer 2 personnes à s'aimer. Bref, il me manque ce petit plus qui fait que quand je referme un livre je me dis : « Oui, ce livre est génial ».

Coralie Routier

 

Merci à Sandrine et Coralie pour ces chroniques passionnantes !

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