C’est une première : Laura Kasischke fait un pas du côté du récit historique, s’écartant un moment du roman et de la poésie pour raconter une drôle d’histoire vraie dans Eden Springs (ed. Page à Page).
Retournons au début du XXe siècle, quand un curieux jeune homme terriblement charismatique circonvient jeunes femmes comme vieux fermiers, jusqu’à sa propre institutrice, et les convainc de le rejoindre à Benton Harbor, dans le Michigan, pour fonder une communauté. C’est ainsi que Benjamin Purnell devient le gourou d’une secte où tous les disciples, vêtus de blanc, venus de différents points de la planète, mus par la promesse de gagner l’immortalité, s’organisent autour d’un parc d’attraction. C’est Eden Springs, ce parc équipé des meilleurs manèges et de la plus belle ménagerie. Une sorte d’arche de Noé constituée par des disciples globe-trotteurs, qui servira de modèle à la compagnie Disney pour créer Disneyworld.
Tout se passe dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce que le 29 avril 1923, on découvre, dans le cercueil d’une disciple qui a raté le coche de l’immortalité, non pas la femme de 68 ans qui devait s’y trouver, mais une jeune fille de 16 ans, avec des traces bizarres autour du cou. L’enquête commence, scindant le livre en trois parties, composées de chapitres courts. Des extraits d’interrogatoires ou de témoignages les introduisent, comme des versets judiciaires ouvrant sur une narration qui alterne le nous choral et le « elle » introspectif de quatre disciples féminines.
Ecrivain de l’adolescence
Kasischke s’écarte du roman d’imagination mais pas de ses motifs habituels que l’on retrouve avec beaucoup de force dans Eden Springs : les jeunes filles et la zone grise de la sexualité, la question du consentement, l’ambiguïté, cette étrange malaise qu’on n’arrive pas à nommer. Chez Kasischke la menace est dans la vie de tous les jours, sur les trajets familiers, parmi les proches. Elle est dans l’intime et l’urgence, parfois, de devoir échapper au pire.
Dans Eden Springs, les adolescentes deviennent des femmes, puis de vieilles femmes. Elles étaient des jeunes filles subjuguées par la perspective d’un rêve collectif. Qu’est devenu ce rêve chez les femmes âgées qu’elles sont désormais ? Que deviennent nos élans, nos illusions, aussi, et comment rester fidèle à ce que l’on est ? Il y a beaucoup de questions et quelques réponses chez Laura Kasischke. Toutes se prolongent chez le lecteur, dans l’admirable traduction de Céline Leroy, mais aussi dans une postface de Lola Lafon qui poursuit le moment de grâce d’une lecture profonde et nécessaire.
La chronique de Karine Papillaud dans l'émission de CNews "Vive les livres !" est à retrouver ici.
Grand plaisir de retrouver Laura Kasischke ! Je vais l'acheter, la chronique donne envie !
Merci ... Ajouté dans ma liste d'achats :)
Bonjour Le sujet est intéressant. Un livre à lire.
Bonjour, merci pour cette chronique ! Ce roman est certainement fort ! En plus il y a des photos de l'époque! Cette poétesse et romancière américaine est douée pour décrire ambiances et les personnages!
J'adore cette auteure (Esprit d'hiver, Les revenantes, et surtout A moi pour toujours:mon préféré).
J'aimerais bien le lire celui-là, un peu plus ancré dans la réalité, un peu moins roman... toujours froid dans le dos, donc!