Ses totems littéraires sont Proust, Balzac ou Philip Roth. Alessandro Piperno n’a pas à rougir sous l’ombre portée de ces géants, tant il apparaît comme l’un des écrivains italiens les plus puissamment littéraires de l’époque. Récompensé en 2012 par le Goncourt italien, la Strega, pour Inséparables, Piperno voit son œuvre traduite en France dès son premier roman, Avec les pires intentions, en 2006. Suivi de près par l’éditrice Liana Levi qui a eu, comme souvent, une intuition géniale en publiant cet inconnu il y a dix ans, il vient de sortir son nouveau roman, Là où l'histoire se termine, dans l’impressionnante traduction de Fanchita Gonzalez Batlle).
Les explorateurs de la rentrée de lecteurs.comont lu le livre cet été et ont eu, forcément, envie de poser leurs questions à l’écrivain. D’une nature plutôt discrète et goûtant peu l’exposition médiatique, il a eu l’immense gentillesse de répondre avec ampleur aux questions d’Emilie-Fleur PILLET et Amandine Cirez.
Matteo est le pilier de votre roman, celui que les autres personnages aimeraient détester, celui qui incarne l'histoire familiale. Cette incarnation si forte, cette influence familiale profonde, est-elle particuliere à la culture italienne?
Plus les années passent et plus j'ai de difficulté à m'exprimer par catégories et par généralisations. Je n'aime pas la critique sociologique des journaux ou des universitaires. J'aime les romans parce que lorsqu'ils valent quelque chose ils rendent compte de détails spécifiques et de cas individuels. Je ne crois pas qu'un personnage représente davantage que ce qu'il n'est. C'est pourquoi je ne suis pas en mesure de donner une réponse exhaustive à cette question. J'ignore si l'influence de la famille est une caractéristique typique de la culture italienne. Je pense en outre que les généalogies, les chromosomes, les traits héréditaires sont une matière romanesque incandescente, et ce n'est pas un hasard si elle nous intéresse, moi et beaucoup de mes collègues d'aujourd'hui et d'hier et probablement de demain. En vieillissant vous vous rendez compte que l'espace de manœuvre dont vous disposez par rapport à l'influence de votre père et de votre mère est bien plus limité que vous n'êtes disposé à l'admettre.
Pourquoi avoir souhaité relier votre roman a un évènement final si contemporain (via un attentat)?
C'est un pur hasard. D'ordinaire je n'aime pas l'actualité. J'ai imaginé ce final bien avant que la chronique le rende vraisemblable. Disons qu'il s'agit d'une vieille obsession qui remonte à des vacances d'été il y a des années en Israël. Je devais avoir treize ans, la première Intifada venait tout juste d'éclater. Dans ce pays étrange j'ai eu pour la première fois l'intuition que l'histoire avec un “ h ” minuscule met très peu de temps à se transformer en Histoire avec un “ h ” majuscule. Et vice-versa.
Vous semblez souvent mettre en mouvement dans vos romans des personnages de la petite bourgeoisie et des personnages juifs. Là où l'histoire se termine ne déroge pas à la règle. Qu'est ce qui vous inspire dans ce type de personnages ? Pourquoi eux plutôt que d'autres ?
Je crois que tous les milieux se valent. Pour des raisons strictement biographiques je connais bien la bourgeoisie juive (et pas seulement juive) qui vit, prospère et souffre dans ma ville. D'une certaine façon, j'en fais partie. Comme je le disais, mon espace de manœuvre et très limité, mais je crois que cela vaut également pour de meilleurs écrivains que moi. Le monde de Faulkner, pour prendre un exemple illustre, est circonscrit à deux comtés du sud des États Unis. L'idée que les personnages de tous mes romans puissent se retrouver le samedi soir pour dîner dans la même pizzeria du centre m'apporte une euphorie balzacienne.
Sans rien dévoiler aux futurs lecteurs, pourquoi avoir choisi un final aussi inattendu que tragique ?
La ligne de partage qui sépare la tragédie de la comédie a été tracée arbitrairement par quelques critiques littéraires passionnés de catégories. La vie (tout comme la littérature) est plus nuancée et plus complexe. Nous vivons tous plongés dans une comédie des erreurs prête à se transformer en tragédie. L'idée me plaisait de le montrer dans une œuvre romanesque. De tous les romans que j'ai écrits celui-ci est celui dont le début est le plus léger et le final le plus sombre. L'expérience me paraissait intéressante. Un court-circuit savoureux et fructueux.
Propos recueillis par Karine Papillaud, avec les questions d’Emilie et Amandine
et grâce à l’immense gentillesse de la traductrice, Fanchita Gonzalez Batlle.