"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'aventure vécue de 1940 à 1945 par les membres de l'équipe d'Uriage _ quelques dizaines d'hommes et de femmes _ et partagée ou côtoyée par quelques centaines d'amis et collaborateurs a, depuis l'origine, suscité la curiosité, soulevé des interrogations et des controverses. Il y a d'abord l'apparence mystérieuse, un peu ésotérique, de cette étrange communauté de moines-soldats pédagogues animant un camp scout qui devient laboratoire idéologique et foyer de rébellion, inspiré par une mystique qui se prétend révolutionnaire.Mais c'est surtout l'ambiguïté de leur position idéologique et politique qui a provoqué, pendant la guerre comme après la Libération, les appréciations les plus contradictoires: institution officielle de Vichy (et fournissant au régime un alibi, pensent certains), l'Ecole a été aussi un foyer d'opposition à la collaboration (et donc une antichambre de la Résistance, pensent les autres); liée pour une part à une tradition aristocratique, prônant les valeurs d'élite et de hiérarchie plus que d'émancipation et de droits de l'individu, elle a voulu être l'instrument d'une action révolutionnaire capable de rivaliser avec le communisme en le " dépassant ". Les uns jugent contradictoire, hésitante ou naïve une attitude d'ensemble qui pour d'autres, à commencer par les acteurs, incarne équilibre, honnêteté et profondeur.L'échec apparent de l'Ecole des cadres d'Uriage dissimule la fécondité de ce laboratoire d'innovations où l'on a sans doute peu inventé mais beaucoup étudié et emprunté, en associant des précédents et des expériences hétérogènes. Ainsi, la méthode d'éducation constituait une synthèse de la tradition universitaire et d'expériences militantes menées dans les universités populaires ou les Equipes sociales; les officiers qui dirigeaient en 1940 " une école des chefs " dans un esprit d'obéissance aux ordres du Maréchal en ont fait une incarnation, sinon une vitrine du projet personnaliste, si bien qu'on ne peut faire l'histoire du mouvement " Esprit " ou des non-conformistes des années trente ans faire une place à cette réalisation; quant à l'humanisme révolutionnaire qu'on a recherché et esquissé à Uriage, il a réussi pendant un temps à déborder les anciens clivages entre croyants et athées, bourgeois et peuple, droite et gauche.Bernard Comte est maître de conférences d'histoire à l'Institut d'études politiques de Lyon.
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