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Né à la fin du XIXe siècle dans une Pologne faisant partie de l'Empire russe, Zusman Segalowicz commence à écrire et à publier en yiddish dès l'âge de 20 ans. Enrôlé dans l'armée russe en 1916, il se retrouve en Russie pendant les deux révolutions de 1917, celle de février et celle d'octobre. De retour en Pologne en 1920, il entamera une carrière d'homme de lettres et de journaliste, puis, pendant la Deuxième Guerre mondiale, émigrera en Israël où il mourra en 1949.
Dans ses souvenirs pris sur le vif, Segalowicz décrit de façon à la fois concrète et lyrique des scènes auxquelles il assiste à Moscou, Petrograd, Kiev ou en Crimée, sans aucune considération politique : ce sont des instantanés, des détails cocasses ou tragiques, sur les bouleversements que la Russie connaît pendant la guerre de 14 puis pendant la prise du pouvoir par les bolcheviks. Les manifestations, les palabres, les bains de sang, la vie quotidienne dans un immeuble de Moscou où les gens se barricadent pendant les combats de rues, un noble contraint de déblayer la neige des rues, les palais occupés par des anarchistes ou affectés à des ex-forçats malades, l'exode des juifs fuyant les pogroms, tout cela est décrit par un observateur sensible à la souffrance des hommes, mais aussi à la poésie de la nature et à l'incongruité de la vie.
Automne 1915, le monde est plongé dans la guerre. « Des millions d’enfants obéissants venus des villes et des campagnes se jettent leur uns sur les autres dans des batailles, munis d’effroyables armes mortelles. Une folie universelle extraordinaire s’est concrétisée dans le sang, la mort er le feu »
Printemps 1917
« Durant le mois de mai qui a suivi la révolution russe de février, la liberté était déjà devenue pour nous une chose tout à fait banale. » Pourtant, la guerre fait rage et les soldats ne veulent plus faire la guerre. ‘La liberté, c’est la liberté ! Nous ne voulons plus pourrir dans les tranchées ». « C’est ainsi que nos soldats sont restés allongés sur l’herbe pendant des semaines entières, à moitié nus, à moitié sauvages, et aussi passifs que des moutons repus. »
Le narrateur se promène dans les rues, parmi les moscovites qui manifestaient leur joie. « Je m’étais rué hors de chez moi en qualité de simple spectateur, ce que je suis d’ailleurs demeuré jusqu’à la fin ».La révolution est joyeuse. « Au-dessus des fenêtres, des portes et des immeubles, partout, on voyait flotter des drapeaux rouges. »
C’est la liesse, la joie, les gens parlent dans les rues, débattent, rient. « Les jeunes comme les vieux. Les seigneurs comme les paysans. Les citoyens comme les soldats. Tous débitaient leurs grandes et leurs petites vérités, les exposant à tout le monde et à chacun en particulier. On s’exprimait alors à voix haute. Avec ferveur, avec foi. ». Sous la statue de Pouchkine, se formaient des attroupements, ça discutait, pérorait, mais Pouchkine lui-même se taisait « Pouchkine, le génie russe, se taisait. Comme s’il pressentait le terrible bouleversement qui devait fatalement survenir. » Oui les moscovites ont manifesté « Au départ, avec enthousiasme et avec joie. Ensuite, avec irritation et avec colère. Et pour finir, dans le sang et avec sauvagerie. »
Zusman Segalowicz raconte les faits, me fait vivre cette atmosphère joyeuse, cet espoir d’une vie meilleure, d’un équilibre entre les riches et les pauvres.
Pourtant, la violence prend le pas, vient le temps des lynchages. « Dormez en paix ! Les bolcheviks sont simplement occupés à chasser les anarchistes des hôtels particuliers qu’ils avaient réquisitionnés pour leur propre compte ». Les bolcheviks ne vont quand même pas réquisitionnés de basses masures !
L’auteur parcourt une partie de la Russie, Ukraine, Crimée, Biélorussie et partout le même spectacle. Ainsi en Ukraine, terre fertile « Que de sang n’a-t-elle pas absorbé à présent ? Et dans quel but ? Comme si nous manquions de coquelicots rouges ! »
L’auteur est désespéré de toutes ces morts, tous ces crimes « Dès lors que l’homme se comporte en assassin au moment même où il parvient à réaliser son idéal et qu’il s’en réjouit, comme se comportera-t-il dans le feu du combat ou s’il est pris de fureur ? »
J’ai aimé ce petit livre que j’ai découvert sur le site de Goran. Zusman Segalowicz parle de ces épisodes avec un certain détachement. Ni pour, ni contre, même s’il donne son sentiment sur les crimes au nom de la liberté. Un livre de grande qualité, empreint de poésie ; superbe écriture qui fait passer les exactions d’une Révolution commencée dans la joie et se termine par la mort.
« J’ai l’âme recouverte d’une chape de plomb, ce qui est bien pire que si j’avais les bras et les jambes enchaînés comme un forçat. C’est l’instinct de vie lui-même qui s’étiole ;
Il faudrait que resplendissent un millier de soleils à la fois pour que nos yeux puissent retrouver la joie, pour que notre âme soit soulagée de la pesante mélancolie qui l’accable.
Et le ciel est tellement lourd. »
Coup de coeur
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