"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« A 50 ans, tu crois qu'on vivra encore de belles choses ? » Dix années après leur première nuit à Rome, Marie n'a pas réussi à honorer son second rendez-vous avec Raphaël. Cette nuit en Italie aura été à mille lieues de ce qu'elle imaginait...Et puis, peut-être certaines promesses sont-elles trop difficiles à tenir...?Aux premières lueurs du jour, Marie quitte la vieille ville pour regagner l'aéroport... Elle ne sait pas encore que Raphaël va tout tenter pour inverser le cours des choses. Malgré l'âge, malgré le temps des deuils et des renoncements, et la vie qui complique tout...C'est l'histoire d'un homme qui court après une femme quand tous les signes lui disent de renoncer. C'est une promesse qui ne veut pas s'éteindre. C'est un amour de jeunesse qui refuse de grandir.
Au moment où il achevait le deuxième tome d’ « Une nuit à Rome », en 2013, Jim ne pensait pas à un deuxième cycle car « dans sa tête l’histoire [était]bouclée ». Puis, il approcha des 50 ans et, comme à la fin du premier diptyque les héros se donnaient rendez-vous dix ans plus tard, il se mit à écrire la suite. Une suite beaucoup moins romantique et plus mélancolique dont le premier tome parut en 2018. En voici l’épilogue édité aux éditions Bamboo dans la collection « Grand Angle » sorti le 10 juin 2020. Tempus fugit ….et la mort s’invite.
L’invitation
« On s’était dit rendez-vous dans dix ans » disait la chanson . Et c’est avec cette idée en tête que Raphaël, redevenu célibataire au tome 3, choisit d’organiser une grande fête pour ses 50 ans. Dans la lettre qu’il joint au carton d’invitation, il écrit à Marie : « on s’est promis qu’on se reverrait le jour de nos cinquante ans … Bien sûr je sais qu’on ne pourra pas revivre ce qu’on a vécu de la même façon, ces moments-là ne se volent qu’une seule fois …. Alors je t’invite. Un ami me prête un grand appartement à Rome, pas très loin du Trastevere, et j’ai envie de fêter ça avec les gens qui comptent. J’aimerais vraiment que tu sois là. Je veux te présenter aux gens que j’aime et que tu entres dans ma vie. Par cette invitation, j’ai bien conscience de prendre le risque de casser quelque chose, un peu de la magie entre nous … ». Or, la magie, il semble bien l’avoir cassée Raphaël ! Marie, hésitante, l’a finalement rejoint à Rome ; mais, à son arrivée à l’appartement, elle apprend par sa demi-sœur le décès de leur mère malade. Elle part donc précipitamment avant même d’avoir revu son amant qui, dépité, lui envoie un texto assassin et couche avec une autre fille. Au matin, réalisant son erreur, Raphaël se précipite à la poursuite de son amour de jeunesse pour s’excuser. Il retrouve Marie, comme on l’avait laissée à la fin du livre III, coincée à l’aéroport de Ciampino à cause d’un mouvement social. Elle ne veut plus avoir affaire à lui et doit repartir à Sète au plus vite pour soutenir ses proches. Elle appelle, par dépit, la seule personne qu’elle connaît à Rome : Alexandre, l’ami français du tome 1, qui accourt à sa rescousse. Mais Raphaël ne se décourage pas pour autant et s’incruste dans la voiture de l’expatrié…
Avant même le début du second cycle, Jim faisait réapparaître ses personnages fétiches dans « Les Beaux moments » (2016)un recueil de nouvelles en bande dessinées : dans le premier récit, Marie était présentée comme énigmatique : elle faisait des photos de charme et se dévoilait pour mieux se cacher ; dans l’autre Raphaël, devenu père de deux petites filles, croisait sans le savoir son premier amour dans les rues de Paris. Les héros vieillissent donc en même temps que leur créateur et que les lecteurs, un peu comme dans la trilogie de Klapisch : « l’Auberge espagnole », les Poupées russes et Casse-tête chinois ». On remarquera d’ailleurs que, comme chez le cinéaste, Jim narre une histoire d’amour certes mais également l’évolution d’une bande de potes. Le cadre est contemporain, le langage très actuel et la voix off dans laquelle Raphaël s’adresse à lui-même reprend le procédé cinématographique adopté (on entendait la voix de Romain Duris en fil rouge) mais de manière originale. En effet, comme dans le Nouveau Roman, Jim emploie la deuxième personne ce qui a pour effet d’inclure le lecteur et de lui donner l’impression que le narrateur s’adresse à lui.
Où sont passés les grands jours ?
Comme chez Klapisch également, le héros se présente comme un anti-héros : de nombreux lecteurs avaient, semble-t-il, été déçus par un tome 3 jugé bavard et décousu dont les protagonistes étaient des ados attardés pathétiques qui ne pensaient qu’à boire et faire la fête pour refuser de se voir vieillir. En témoignait par exemple le faire-part d’un goût douteux envoyé par Raphaël à ses amis : « Raphaël a la douleur de vous convier aux obsèques de sa folle jeunesse ». Or, le tome 4 va reprendre et approfondir tous les éléments en apparence disparates du précédent pour en montrer la profondeur sous l’apparente superficialité et mettre l’accent sur le temps qui passe.
Jim utilise fort à propos les décors et les avancées technologiques pour le souligner : on revient sur les mêmes lieux que dans le premier cycle mais ils ont changé. Ainsi, l’hôtel de leurs retrouvailles torrides a été racheté par un grand groupe : il n’a plus son cachet ancien et est comme standardisé, un peu clinquant, et une clef magnétique ouvre désormais la chambre ; la ville éternelle est, elle-même, défigurée par les échafaudages et surtout les personnages ont vieilli.
Le bédéiste travaille d’après photos comme il le confiait dans « Les Dessous d’une nuit à Rome » (2014) et il s’est inspiré pour ses deux protagonistes d’un de ses amis, le chanteur St Rémy, et de sa propre femme Delphine qui prête ses traits à Marie. Il a donc pu les vieillir de façon très crédible en observant la réalité. Même la belle héroïne se retrouve ainsi avec des cernes sous les yeux et de petites rides aux commissures des lèvres ; la couverture de l’édition de luxe souligne encore davantage le passage du temps en striant de blanc, grâce au ruissellement de l’eau, ses cheveux. De même, la scène en apparence superflue, dans laquelle Arnaud, le copain de toujours, fait son jogging (p.20) permet de montrer son essoufflement et donc sa perte de vitalité. Enfin, lorsque la bande d’amis se promenait dans Rome, au tome 3, le même Arnaud grappillait un prospectus pour l’ouverture d’un bar « de jeunes » dans lequel ils se retrouvent tous au tome 4 avec l’impression de ne pas être à leur place en prenant ainsi brutalement conscience de leur « has beenitude ».
Mais le vieillissement n’est pas la seule ombre au tableau : on notera dans ce deuxième cycle l’omniprésence de la mort. Le prologue du tome 3 met, de façon déceptive, en avant le malaise cardiaque du héros et Marie perd sa mère à la fin de cet album. On assiste, dans le dernier opus, à une crémation et à une dispersion de cendres et ceci se retrouve même sur la couverture de l’édition classique : on y découvre à côté des amants enlacés une urne funéraire qui trône comme dans une vanité du XVII e et semble murmurer au lecteur : « memento mori » ! La mort s’invite donc in fine et amène les héros à se questionner sur leur vie.
De beaux moments
C’est grâce à ce nouveau thème que le deuxième cycle se différencie vraiment du premier : il ne s’agit ni d’une reprise ni de l’album de trop (comme avait pu le laisser croire le tome 3) mais d’un approfondissement. On passe en effet du vaudeville à la comédie douce-amère en abandonnant l’unité de lieu de temps et d’action pour un étalement plus long dans l’espace et le temps au tome 4. Ceci s’accompagne d’un travail sur la psychologie des personnages. Une fois encore, des petits riens en apparence insignifiants acquièrent une grande importance : au tome 3 la mère de Raphaël l’appelle plusieurs fois mais il ne décroche pas ; lors de la fête, sa bande se permet même des commentaires insultants et graveleux à propos de cette dernière. Or, dans le tome 4 l’un des planches le plus émouvantes qui constitue une pause narrative, est celle où sortant de la crémation Raphaël l’appelle pour lui dire qu’il l’aime. C’est un « beau moment » que capture l’auteur ; il le met en valeur en décrivant également l’effet produit sur sa destinataire. Cette pause participe cependant à l’économie du récit en montrant l’évolution de son personnage qui grandit enfin …
De même, Marie , stéréotype de la femme fatale toxique (Raphaël se patchait même contre elle au tome 1 !) et énigmatique comme son portrait peint par son jeune amant, se voit davantage ancrée dans le réel. On comprend son attitude fuyante grâce à un traumatisme d’enfance, on a accès à son intériorité grâce à la transcription de certains de ses cauchemars dans une superbe succession de pages muettes mais également parce qu’elle se voit aussi dotée d’une voix off au tome 4. Elle s’incarne même réellement puisqu’on la voit non plus dans une attitude hiératique ou aguichante mais dans une pose triviale que normalement on évite en bande dessinée (aux toilettes découvrant qu’elle a ses règles). Là non plus ce n’est pas gratuit … Tout prend sens dans le récit par rapport à la finitude. Les deux héros deviennent dans ce dernier opus profondément humains, réellement attachants, et suscitent tous deux l’intérêt du lecteur. D’ailleurs c’est sur ce tome final qu’il apparaissent pour la première fois réunis en couverture, heureux et apaisés…
Jim fait souvent référence dans la tétralogie à des morceaux de musique emblématiques de l’époque, réalisant comme une bande-son de son histoire ; il compose aussi, finalement, son récit comme une partition. On retrouve dans le deuxième cycle des lieux du premier : les coupoles du Sacré Cœur entraperçues par le velux de l’appartement de Marie font ainsi échos à celles des églises romaines ornant la couverture du tome 2 ; les pièces de puzzle semées dans le prologue du tome 3 s’explicitent et se déploient dans le 4 ; l’excipit reprend le titre même de la série et enfin l’ensemble des tomes est lié par les couleurs récurrentes de Delphine qui crée une sorte de bichromie de couleurs complémentaires alliant les cieux bleus aux tons orangés et sensuels des bâtiments de Rome, de Sète ou de la capitale. L’auteur, comme un musicien, pratique également le contrepoint voire la dissonance. Il choisit une fin en forme de pirouette et pourtant tellement cohérente : ironique comme la vie …. Ce qui évite au récit de tomber dans une bluette irréaliste à la Marc Lévy !
« Voilà, c’est fini » … on a retrouvé avec plaisir les deux héros d’ « Une nuit à Rome » et replongé dans leurs aventures. Ce deuxième cycle plus grave a permis de donner davantage de profondeur à l’histoire et aux personnages. La passion des vingt ans se mue petit à petit en autre chose... Pas de nostalgie cependant : car la jeunesse n’y est pas forcément présentée comme une panacée ! La série nous incite à profiter des « beaux moments » et à ne pas nous demander sans cesse « où sont passés les grands jours » ! La couverture de l’édition classique du dernier tome est construite en écho à celle du tome 1 et les personnages forment par leur attitude semblables et inversées comme les deux parties d’une parenthèse. Et c’est bien une parenthèse que vivent les lecteurs le temps de leur lecture : un voyage qui les emmène à Rome mais aussi dans leur passé en les interrogeant en même temps sur leur devenir …. Une nuit à Rome est une série très écrite et aboutie qui nous accompagne longtemps et qu’on quitte sur un espoir à défaut d’une promesse : celui qu’un jour Jim se décide à narrer, dans un préquel, les « tendres années » de ses deux héros …
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !