Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
« Il y a des familles où l'on transmet le plaisir d'apprendre. D'autres où c'est le pouvoir, la puissance et l'orgueil. Des familles d'argent, des familles de musées, des familles d'églises. Des familles, des croyances, des certitudes et des cultures.
Et puis il y a des familles où l'on apprend à mourir. C'est aussi fort qu'autre chose, le désir de mourir, et cela se transmet très bien.?».
La mère de Mia avait tout pour être heureuse, comme le lui répète, le jour de l'enterrement, une parente qu'elle connaît à peine. Elle s'est pourtant suicidée. Comme elle, dans sa famille riche et respectable, Mia aurait dû connaître une enfance et une adolescence protégées. Pourtant, Mia est une survivante et il lui faudra des années pour mettre des mots sur ce qu'elle a vécu...
L’arme blanche d’un serein désespoir, une soif de mère
Ce premier volet d’un triptyque est une déflagration, par ses multiples sujet que l’on pourrait synthétiser en un mot : maltraitance dans une cage dorée.
Personnellement si cela m’intéresse je lis peu sur le sujet tellement il y a de battage médiatique et un traitement qui ne me convient pas car tout le monde a son opinion et finalement plus qu’une réflexion cela débouche sur un ramassis bon pour la poubelle.
Ici Emma Marsantes et son double Mia accouche d’un texte puissant par le travail sur les mots qui est exceptionnel.
Mia vit dans un milieu bourgeois, un père qui pense avoir le droit de vie ou de mort sur tout ce qui l’entoure, son obsession que son entourage brille et le valorise quand il est en représentation, à la maison c’est un balourd égoïste et indifférent.
La mère Elsa, c’est un fantôme. Lorsqu’elle émerge des limbes c’est pour dénigrer sa fille lui faire mal comme elle a mal elle-même.
Autant dire qu’elle n’a pas d’amour à donner, c’est l’impuissance incarnée, protéger son enfant ne fait pas partie de ses capacités.
Le frère de Mia, son ainé, élevé dans ce modèle croit que tout lui est permis, à l’adolescence sa sœur est en libre-service pour son plaisir. Violeur régulier absout par l’indifférence.
Lorsque Mia arrive à se confier, personne ne la protège, c’est l’omerta. Il ne faut pas faire de vague.
« Murée dans une parole devenue incompréhensible, une parole sans interlocuteur, une parole de haine pure. Minérale. Minimale. La sienne. Elle qui ne peut pas me pardonner de lui avoir dit tout ce qu’elle savait déjà. La mienne. Liquide. Moi, qui ne peux pas lui pardonner de s’être tue, de m’avoir jetée en pâture et sacrifiée, pour ce qu’elle pensait être la paix. »
Elsa va se suicider lorsque Mia aura 20 ans, et ce suicide c’est comme une accusation pour cette jeune femme.
« Vestale et oracle, j’allais garder à vie les marques sur mon cou. »
Ce livre pose les bases d’une reconstruction, comment devenir femme après cela ?
Vous dire que l’auteur sait modeler notre belle langue française pour construire un texte exceptionnel de beauté pour dire l’indicible est faible quand vous découvrirez ce livre.
Il m’a fallu attendre plusieurs jours pour le chroniquer car les mots se bousculaient et mon cœur était trop serré pour faire émerger mon ressenti.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2024/02/17/une-mere-ephemere/
"Ma mère délicieuse, ma mère légère, ma mère fine et agile. Ma mère dans ses petites robes courtes. Ma mère se pend comme une brute épaisse."
C'est un texte déroutant, une écriture poétique par moments narrative qui tente de rendre intelligible la folie appuyée par quelques néologismes. Mia s'efforce de comprendre le suicide de sa mère par un flux mémoriel haché, des fragments d'enfance rapportés sans chronologie pour appuyer le choc traumatique.
Nous sommes dans les années 60, une famille bourgeoise, Neuilly, manteau de lynx et résidence secondaire. Le patriarcat à son apogée, une mère soumise, une grand-mère lobotomisée, les cours de danse, d'équitation, un père centralien qui veut faire de Mia une "pouliche de reproduction des arrondissements chics".
"Mon père décide, mon père exige, mon père paie. Il m'élabore. Il me tient. J'avance sans broncher."
Mia ne parle pas, Mia ne dit pas, elle n'a pas les mots pour s'exprimer dans cette famille où rien n'est formulé. Le premier abus, a-t-il réellement eu lieu ?
Ce qui n'est pas nommé n'existe pas*
Lorsqu'elle se décide à parler des viols qu'elle subit ce n'est une surprise pour personne, les femmes de la famille "savait", mais ont décidé de protéger le frère de la colère du père.
Peut-on se souvenir des éléments traumatiques ? Il y a les viols, il y a les violences verbales, mais ce texte est aussi un témoignage de la difficulté à écrire la folie. La folie d'une famille dysfonctionnelle, d'une mère, rongée par la mélancolie, d'un père qui n'hésite pas à mettre en danger la famille, d'un frère violent puis incestueux.
"Comment survit-on ? On ne survit pas. On attend."
* parfait écho au passage d'Amélie Nothomb dans Psychopompe à propos de son viol lorsque sa mère actualise celui-ci par ses mots "Pauvre petite". Les seuls prononcés à ce sujet.
Bien que née dans un milieu socialement très favorisé, Mia n' a connu qu 'une vie fracturée depuis l'enfance par des des traumatismes liés à son entourage : une mère folle qui a fini par se suicider, un père tyrannique, un frère pervers . Tout cela au sein d' une famille qui pratique l'omerta sur ses propres failles. Puis une vie d'adulte à l'avenant ….. tantôt proie, tantôt prédatrice .
La cinquantaine venue , à défaut de se reconstruire, Mia tente de mettre des mots sur son vécu , de comprendre son histoire . Mais tout cela est si loin, parfois si flou, indistinct ! Ce dont elle est sûre, c'est que cela a eu lieu et que cela l'a détruite.
Son récit à la première personne n'a rien de chronologique, ne se présente pas comme celui de souvenirs d'enfance structurés . C'est plutôt comme des fragments d'une vie explosée, qui reviennent, et l'envahissent .
Une écriture à l'image de la narratrice : éclatée, comme les pièces de son puzzle intime. Des phrases sèches, simplement juxtaposées, parfois réduites à un seul mot.
En seulement 128 pages, Emma Marsantes offre au lecteur une véritable expérience de lecture . Un ouvrage mini mais à la puissance émotionnelle maxi .
Des sentiments mêlés animent la narratrice, lors des obsèques de sa mère, qui s’est donné la mort, elle qui « avait tout pour être heureuse ». Rancune, compassion, regrets, il est difficile d’exprimer ce qui se traduit pas une douleur infinie. D’autant que ce deuil d’une mère trop vite partie, s’assortit d’un lourd secret, que la famille entière connaît mais enfouit derrière un mur de silence glaçant, qui accentue l’impression d‘être coupable alors qu’on est la victime.
Le sujet est grave, dramatique, et terriblement dérangeant. Ce sont les mots de la narratrice, mettant à jour ces épisodes éprouvants de sa vie d’enfant puis de jeune adulte, qui permettront d’exorciser l’indicible, en surfant sur l’expression poétique.
C’est un travail de mémoire, instrument fragile de notre construction :
« Je ne sais, plus ce qui s’est passé mais je sais que cela s’est passé.
Dans le seul fait que je ne puisse pas me souvenir tient la véracité de mon récit. Cela a existé par ce que je ne m’en souviens plus ».
La reconstruction et l’espoir se fondent sur le pouvoir du langage, sublimé par l’art de s’approprier les mots pour les dompter et les contraindre à reformuler une passé qui ne s'apaisera que s’il est exhumé.
96 pages Verdier 15 septembre 2022
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