Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
Dans « Le petit bassin de Taipei » de Jane Jian, Taipei est la ville où l'on se perd mais où choisit toujours de demeurer. « La rue Longquan », de Lin Yao-teh (chef de file de la « littérature urbaine » à Taiwan) nous plonge dans le Taipei nocturne avec ses ruelles sombres et ses bandes de voyous. Avec « Le mémorial de TCK » de Lo Yi-chin, auteur d'origine continentale, la ville est ce théâtre gigantesque dans lequel chaque acteur doit sagement jouer son rôle au risque d'être banni de son histoire. Dans « Histoire de toilettes » Wu Ming-yi explore Taipei à travers les histoires et les légendes de l'ancien marché de Chunghwa, qui imprègnent jusqu'à ses toilettes publiques. Dans « Cette averse lugubre », Walis Nokan, auteur aborigène Atayal, dévoile la violence et la discrimination dont peuvent être victimes les populations minoritaires dans la capitale. « Videoman », Chang Wan-k'ang dresse un portrait tendre et critique de la jeunesse de Taipei. Dans « Retour de nuit », un récit se déroulant entre Taipei et Paris, Chou Tan-ying évoque la solitude et la nostalgie que l'on peut éprouver dans les grandes métropoles. Cette anthologie est complétée par une nouvelle inédite de Chi Ta-wei, auteur du roman de science-fiction Membrane publié dans la collection « Taiwan Fiction » en 2015 (ce roman sera repris chez Le Livre de Poche en 2017).
Ces nouvelles sont entremêlées de petites escapades littéraires et gourmandes dans les restaurants et les marchés de nuit de Taipei signées par le spécialiste du genre : Shu Kuo-chih.
Taipei est la capitale de Taïwan. Plusieurs écrivains contemporains écrivent sur cette ville devenue métropole. Jane Jian, Shu Kuo-chih, Lin Yao-teh, Walis Nokan, Lo Yi-chin, Wu Ming-yi, Chi Ta-wei, Chang Wan-k'ang, Chou Tan-ying. Chacun apporte sa vision de la ville et ses personnages souvent venus de lieux assez éloignés de Taipei.
C'est donc une grande diversité de points de vue, certains très réalistes voire même autobiographiques telle la première nouvelle, d'autres plus oniriques, même s'ils partent d'un point de départ on ne peut plus terre-à-terre, raconter la ville. Les légendes chinoises, les histoires de la ville, les apports des habitants venus des quatre coins du pays, parfois de populations très anciennes et ayant presque disparues, absorbées dans la ville et plus globalement dans le pays. Chaque nouvelle est une histoire particulière qui apporte un lot d'informations mais aussi des ressentis de cette métropole, son côté village ou petite ville de province avec son marché, ses rues étroites, ses échoppes... A propos d'échoppes entre les nouvelles se glissent des pages écrites par Shu Kuo-chih sur ses escapades gourmandes dans la ville. Ce sont de petites boutiques où le cuisinier cuit sur place et à la demande des nouilles, de la soupe, du curry, ...un véritable guide des bons endroits pour qui veut visiter la ville de Taipei. Si l'on m'offre le voyage, j'emporte ce livre pour savoir où manger bien... avis aux voyagistes susceptibles de m'offrir le voyage (tout frais payés, il va sans dire...)
C'est donc sans sortir une nouvelle particulière de ce recueil que je fais ma chronique ; une plongée totale dans la métropole dans laquelle se côtoient des gens très différents qui en font sa richesse, même si certains sont harcelés du fait de leurs origines ou si d'autres sont obligés d'accepter des jobs dégradants pour survivre. Les écrivains choisis ne nous épargnent pas les difficultés mais magnifient néanmoins cette ville fascinante. Mon article ne serait pas complet si je ne citais pas les traducteurs, dans l'ordre d'apparition : Wu Ching-ji Soldani, Coraline Jortay (pour toutes les chroniques culinaires), Marie Laureillard, Marie-Paule Chamayou, Lise Pouchelon, Gwennaêl Gaffric (qui signe aussi l'excellente préface qui permet d'en savoir plus sur Taipei et sur les écrivains du recueil), Olivier Bialais, Damien Ligot, Mélie Chen. Beau travail de la maison L'Asiathèque.
Taipei, Histoires au coin de la rue est une anthologie de nouvelles très intéressante que je suis ravie d’avoir lue !
Ce livre est un bouillon de culture. Dès la première nouvelle, c’est une ode à l’écriture qui se profile.
Le recueil se compose de nouvelles qui ont toutes pour point commun le contexte taiwanais (de Taipei, plus précisément) de manière plus ou moins prégnante selon les plumes. Dans la préface, l’histoire de Taipei nous est narrée ainsi qu’un développement pour chaque nouvelle sur son contexte et son auteur. C’est très intéressant !
Le recueil a une originalité : entre chaque nouvelle, une chronique culinaire fait son apparition sous nos yeux d’abord étonnés. Quand j’avais lu la chronique de Que lire ?, je dois avouer qu’ensuite j’appréhendais un peu le fait qu’il y ait ces fameuses chroniques ponctuant le recueil. Je me suis dit que c’était un peu loufoque. Et bien, une fois le nez plongé dans le livre, je me suis rendu compte que ça ne dérangeait pas du tout la lecture, bien au contraire ! Ces interludes gastronomiques se marient à merveille avec tout l’univers de l’anthologie Ça nous fait voyager, on s’imagine manger son bol de nouilles au bœuf halal ou le curry de chez Wuyün, on se surprend à rêver. C’est une brillante idée à mon sens (qui donne faim) !
Concernant les nouvelles en elles-mêmes, j’ai été complètement séduite. Il y a des nouvelles sombres comme « La rue de Lungch’üan » de Lin Yao-teh qui m’a beaucoup marquée par sa violence et sa chute. Il y a des nouvelles qui mettent aussi tous les sens en éveil, pour le meilleur comme pour le pire. Je pense notamment à « Une histoire de toilettes » de Wu Ming-Yi qui est très originale ! On trouve aussi dans ce recueil des nouvelles émouvantes comme « La carte d’identité d’un inconnu » qui m’a particulièrement touchée. Les passages à la première personne entre parenthèses de cette nouvelle sont très doux, et pourtant le dénouement est tragique. Et puis il y a des nouvelles desquelles ressort une modernité déconcertante. Je ne m’attendais pas du tout à autant de fraîcheur, de jeunesse, comme dans « Videoman » que j’ai adoré.
De manière générale, ce sont des nouvelles très puissantes dans leurs messages, leur naturel ou leurs ambiguïtés. Je ne suis pas adepte de recueils de nouvelles en général, mais j’ai été agréablement surprise et conquise de surcroît. Cela m’a fait penser à ma découverte du recueil de nouvelles d’Anjana Appachana, Mes seuls dieux qui m’avait bouleversée. Il faut croire que ce sont simplement les recueils de nouvelles françaises qui me déplaisent !
Un point extrêmement positif concernant Taipei, Histoires au coin de la rue pour finir : Ca m’a donné envie de lire d’autres livres en découvrant des auteurs taiwanais dont je n’avais jamais entendu parler. Par exemple, j’ai découvert Wu Ming-Yi avec ce recueil et il a écrit Le magicien sur la passerelle que je vais lire de manière imminente. Ou encore, j’ai découvert Chi Ta-Wei et le fait qu’il a écrit Membrane, un roman qui me tente énormément et que je compte lire prochainement en raison de ses thèmes qui m’inspirent et me plaisent (SF, homosexualité, question du genre).
En définitive, Taipei, Histoires au coin de la rue est un recueil de nouvelles très prenant. Chaque histoire a son propre univers bien que toutes se rejoignent sur le thème central qu’est Taipei. Je ne saurais que conseiller cette lecture dépaysante et originale. Je suis pour ma part ravie d’avoir pu sortir des sentiers battus de la littérature générale avec ce recueil !
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