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Le 7 février 1497, le moine Savonarole fait édifier à Florence un immense bûcher, dans lequel sont jetés oeuvres d'art et accessoires frivoles ; le même jour, Josquin Des Prés compose un lamento à la mémoire du maître de chapelle Johannes Ockeghem. Là où l'un décompose, l'autre propose ; d'un côté les flammes rageuses de la destruction, de l'autre l'eau vive de la déploration.
Partant de ces deux conceptions opposées de la vanité humaine, Sous d'autres formes nous reviendrons déroule un fil, celui qui va de la reconnaissance d'un vide en nous à notre rapport ambigu face à la mort. Qu'il s'agisse des ensevelis de Pompéi, de l'enfant pétrifié de Sens, des amphithéâtres d'anatomie, des peintures de vanités flamandes, du film La Momie de Karl Freund, ou bien d'événements intimes comme la mort du père, Claro s'interroge - et interroge la poésie - sur le lien qu'entretient l'écriture avec le célèbre adage memento mori- qu'il conviendrait de traduire ainsi : n'oublie pas de mourir.
Dérivé de la phrase d'ouverture du Livre de l'Ecclésiaste de l'Ancien Testament, Vanitas vanitatum et omnia vanitas (Vanité des vanités, et tout est vanité), souvent associé à la locution Memento mori (Souviens-toi que tu vas mourir), le terme vanité nous rappelle l’éphémère condition de l’existence. Parfois prétexte à de sévères positions moralisatrices dont on peut trouver un paroxysme dans le bûcher des vanités du moine Savonarole au XVe siècle, le thème a aussi de tout temps obsédé la création artistique, en particulier la littérature.
Nous entraînant, entre fascination et répulsion, des corps pétrifiés de Pompéi aux stupéfiants lithopédions - ces fœtus extra-utérins calcifiés dans le ventre maternel faute d’un terme possible à la grossesse - , des théâtres anatomiques aux peintures de vanités flamandes, enfin du film d’épouvante La Momie de Karl Freund à l’inconcevable mort de son père, Claro s’en empare à son tour, dans une exploration de notre rapport à la mort et de son influence sur l’écriture, en particulier la poésie.
De cette méditation résulte une mélopée en quatre longs couplets, se concluant chacun par leur « précipité », soit une suite obsédante de mots clés qui semblent le fruit d’une écriture automatique. Scandée sur un rythme poétique où les strophes déferlent en une vaste respiration, la prose s’écoule telle une rivière en une phrase unique, sans majuscule initiale ni point final, créant sa propre ponctuation comme pour mieux simuler cet infini passage de la vie dont chaque homme n’est qu’un maillon. Et comme il réinvente - à point on ne peut plus nommé - le jeu surréaliste du cadavre exquis en mêlant à sa logorrhée les vers d’innombrables de ses prédécesseurs, sa propre voix semble se fondre dans la clameur déploratoire de tous ces poètes depuis longtemps retournés à la poussière, avant que d’autres ne viennent à l’infini prendre le relais.
Indéniable et géniale prouesse littéraire, cet ouvrage bluffant que l’on se plaît à imaginer déclamé sur une scène de théâtre - en compatissant volontiers pour la mémoire du récitant -, nécessite aussi quelque effort côté lecture. Très peu conventionnel, parfois même assez hermétique, il pourra séduire autant que rebuter, mais n'en restera pas moins une expérience littéraire de qualité.
Ce livre si puissant tord les tripes triture les mots broie les chairs
Les mots fondent bouche, deviennent des ovnis vaniteux, la langue réinventée reprise étendue élastique sur les bords flous des corps. Inconstante la mort regarde le trou la face baignée de larmes elle implore restée côté, celui qui admire la lumière derrière l'étrange fascination des vivants envers ce qui n'est plus mais encore.
Le corps dépouillé découpé examiné sous les yeux puissants de ceux qui pensent à la place.
Les poètes sont des monstres révoltés, Claro est un maître.
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