Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
C’est dans la très courte nouvelle de Samuel Beckett intitulée « Cap au pire » «Worstward Ho » que l’on trouve la citation suivante :« Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better. » traduite ainsi: « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. » Si vous ne connaissez pas cette nouvelle incroyable, je vous invite à en lire un extrait ici: https://excerpts.numilog.com/books/9782707313966.pdf
Beckett tente une expérience de l’effacement (de la mort?). Le lecteur perd tout repère, il n’y a plus de personnages, plus de lieux, plus de temps et presque plus de mots. L’oeuvre s’annule et disparaît, comme si le romancier voulait atteindre une espèce d’anéantissement complet, une sorte de rien, de vide, de non-être (sans y arriver car il reste toujours des mots sur la page) et finalement, cette recherche de l’échec absolu (totalement désespéré), on le voit, produit du pur Beckett, du nectar de Beckett, du Beckett pur jus… (vraiment, allez y jeter un œil, cela vaut le détour!)
S’inspirant donc de cette citation, Claro nous parle dans son dernier livre de l’échec en littérature. Claro propose un texte multiforme : essai, pensées, fiction, réflexions, autobiographie, listes, définitions, pastiches, poésie, le tout agrémenté de jeux de mots, de clins d’oeil, de sous-entendus, de détournements de citations… Le texte est intelligent, brillant, plein d’humour et bourré de références… Il vaut mieux le lire à tête reposée tellement le raisonnement prend parfois des voies un peu tortueuses, voire discutables, mais toujours très stimulantes. C’est du Claro : ça pétille, ça fourmille d’idées et franchement, même si l’on n’a pas toutes les références, on s’amuse bien !
J’ai adoré la première partie où il est question de la traduction : Claro est traducteur et romancier, il sait donc de quoi il parle! En effet, traduire, selon Claro, c’est forcément échouer. L’échec serait le fondement même de la traduction : comment substituer une langue à une autre, un monde à un autre monde, une époque à une autre époque ? « Quand je traduis « bread » par « pain », je fais comme si le rectangulaire pain anglais avait le pouvoir de s’arrondir, s’allonger, se fendiller, et dorer pour prendre l’allure d’une sémillante baguette parisienne. »
Sans compter qu’un mot a un sens ET une forme. Que dire de Baudelaire qui traduit le mot tout riquiqui « dull » par le beau « fuligineux » ? Quelle erreur ! « « Dull » sent l’échec… on dirait que la bouche l’émet à peine… « fuligineux », lui, serpente, ... un peu prétentieux…. Il répand ses cendres avec panache. »
« Il existe entre les langues une faille infranchissable » conclut l’auteur.
Intéressantes aussi ses réflexions autour de la traduction du début de « Mile Zero » de Thomas Sanchez : « It is about water. » Comment traduire ce début ? Pas si simple !
Quant au titre « Under the volcano » de Malcolm Lowry, Claro en dit ceci : « Voulez-vous être « au-dessous » du volcan ou « sous » le volcan ? Invitation au débat...
Passionnante aussi sa façon de procéder lorsqu’il doit traduire une œuvre parue en 1960 mais dont l’histoire se déroule au XVIIe …
Et puis, ajoute l’auteur, il faudra un jour se résoudre à virer le lit de la chambre de Virginia Woolf... Mais oui, c’est vrai, pourquoi l’a-t-on reléguée dans une chambre alors qu’elle demandait une pièce entière, un lieu à elle? Je n’avais jamais pris conscience de cette traduction fautive ! « La room woolfienne n’avait rien d’un boudoir et l’on aurait pu s’en aviser un peu plus tôt. » s’exclame l’auteur !
Claro aborde ensuite le sujet de l’écriture. En effet, écrire, comme traduire, c’est échouer : on gomme beaucoup, on rature, on fait des brouillons et ça finit souvent à la poubelle ! Et c’est plutôt bon signe si l’on veut tenter d’échapper à « l’écriture pavillonnaire », l’expression est d’Éric Chevillard et elle désigne des livres qui se ressemblent et utilisent les mêmes clichés...
Écrire, c’est échapper à certains pièges : celui par exemple de vouloir DIRE. Le mieux serait même que l’écrivain n’ait rien à dire. Le « dire » oblige l’écrivain à « se plier au langage commun.» « Écrire serait donc ne pas dire mais contre-dire.» Bien dit !
Ainsi, échouer en écriture devient la condition même de l’écriture, fondée sur le principe du recommencement, de la correction, de l’effacement.
Il est question aussi de Kafka. (Peut-on dire qu’il a échoué pour la raison que son œuvre est inachevée, lacunaire, fragmentaire ? Je m’interroge...) Peut-être peut-on parler d’une œuvre en attente de fin, comme les personnages kafkaïens sont en attente d’un châtiment, d’une mort, d’un jugement. Ainsi le mot « fin » chez Kafka n’est-il pas vraiment opérant... Et l’échec (l’impossibilité d’en finir) prend tout son sens et donne à l’oeuvre toute son épaisseur...
Pessoa, l’homme aux nombreux pseudos, a échoué lui aussi (suite sur mon blog LIRE AU LIT - plus de place ici! 5000 mots maximum... )
Il n’est pas simple de suivre le raisonnement vagabond de Claro, dont l’esprit facétieux scrute avec malice les moindres pièges et chausse-trapes du langage, pour mieux balader le lecteur autour de la notion d’échec.
Avec un point d’ancrage autour de la littérature, la notion d’échec n’est pas abordée dans son sens premier, car qui oserait juger ratées les carrières de monstres sacrés comme Cocteau ou Kafka, dont la plainte en sourdine relève plus de la dépression que de l’échec à proprement parler.
Que dire de la traduction, (sujet que connait bien l’auteur), dont la trahison est une composante inévitable, approximation contrainte, absence d’équivalence mais qui peut aussi donner lieu à des fulgurances qui magnifient le texte original ?
Claro analyse également le processus même de l’écriture, mais aussi le devenir d’une oeuvre, dont la gloire posthume ou la disparition dans les limbes de l’oubli semblent dues à un ensemble de faits contextuels incontrôlables !
L’humour hante ces pages, comme celle de la liste des échecs de l’auteur, où les formules si répandues pour expliquer l’échec d’une lecture …
Un essai à lire dans le calme et lentement, pour mieux en apprécier toutes les références et les nuances.
Merci à Babelio et aux éditions Autrement
240 pages autrement 10 janvier 2024
Masse critique Babelio
Il est difficile de ne pas échouer. Alors autant s’atteler à réussir ses échecs du mieux possible.
Le titre de cet essai emprunte à une célèbre phrase d’un roman de Samuel Beckett : « Try again. Fail again. Fail better. » Claro s’attaque ici à l’échec en littérature. Et plus précisément au fiasco inévitable de toute tentative de traduction, d’écriture, et même de lecture. Pour démontrer ce systématisme, il utilise sa propre expérience de traducteur, d’écrivain et de lecteur. Il convoque également d’autres auteurs, dont il introduit les citations ainsi - comme s’il y avait urgence : « Vite, Kafka ! »
« Embrouilleur doublé d’un brouillonneur », Claro repère les failles du langage et s’en amuse. « La page est un échiquier sur laquelle l’écrivain avance des pions qui sont des mots. Mais ici, les blancs, c’est la surface, et les noirs, ce sont les mots. Combat inégal. Pas de reine ni de roi. Rien que des fous qui montent dans les tours et progressent cavalièrement. »
À chaque chapitre, on trébuche. On tombe sur des listes, une analyse de l’incipit de Madame Bovary, une anecdote de traduction ratée, une histoire de pont, de la poésie, un psaume. Avec autant d’autodérision que d’érudition, Claro tord la forme de l’essai et contorsionne l’écriture.
La « contrainte lipogrammatique » d’un texte, le défi que représente la traduction de « it is about water », le piège de la trouvaille - « mot fort laid qui semble né de l’accouplement contre nature de “trou” et de “travail” »… Les obstacles à franchir sont infinis. Mais les charmes de la faille également. À la fois fêlure et faiblesse, elle laisse passer la lumière. Elle libère un espace nécessaire à l’inspiration, et à la création.
Dérivé de la phrase d'ouverture du Livre de l'Ecclésiaste de l'Ancien Testament, Vanitas vanitatum et omnia vanitas (Vanité des vanités, et tout est vanité), souvent associé à la locution Memento mori (Souviens-toi que tu vas mourir), le terme vanité nous rappelle l’éphémère condition de l’existence. Parfois prétexte à de sévères positions moralisatrices dont on peut trouver un paroxysme dans le bûcher des vanités du moine Savonarole au XVe siècle, le thème a aussi de tout temps obsédé la création artistique, en particulier la littérature.
Nous entraînant, entre fascination et répulsion, des corps pétrifiés de Pompéi aux stupéfiants lithopédions - ces fœtus extra-utérins calcifiés dans le ventre maternel faute d’un terme possible à la grossesse - , des théâtres anatomiques aux peintures de vanités flamandes, enfin du film d’épouvante La Momie de Karl Freund à l’inconcevable mort de son père, Claro s’en empare à son tour, dans une exploration de notre rapport à la mort et de son influence sur l’écriture, en particulier la poésie.
De cette méditation résulte une mélopée en quatre longs couplets, se concluant chacun par leur « précipité », soit une suite obsédante de mots clés qui semblent le fruit d’une écriture automatique. Scandée sur un rythme poétique où les strophes déferlent en une vaste respiration, la prose s’écoule telle une rivière en une phrase unique, sans majuscule initiale ni point final, créant sa propre ponctuation comme pour mieux simuler cet infini passage de la vie dont chaque homme n’est qu’un maillon. Et comme il réinvente - à point on ne peut plus nommé - le jeu surréaliste du cadavre exquis en mêlant à sa logorrhée les vers d’innombrables de ses prédécesseurs, sa propre voix semble se fondre dans la clameur déploratoire de tous ces poètes depuis longtemps retournés à la poussière, avant que d’autres ne viennent à l’infini prendre le relais.
Indéniable et géniale prouesse littéraire, cet ouvrage bluffant que l’on se plaît à imaginer déclamé sur une scène de théâtre - en compatissant volontiers pour la mémoire du récitant -, nécessite aussi quelque effort côté lecture. Très peu conventionnel, parfois même assez hermétique, il pourra séduire autant que rebuter, mais n'en restera pas moins une expérience littéraire de qualité.
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