Des conseils de lecture pour toutes les envies d'évasion littéraire...
Un matin, la police entre dans un collège de Stains. Huit élèves, huit garçons, sont suspectés de viol en réunion sur une fille de la cité voisine, Fatima. Leur interpellation fait exploser le quotidien de chacun des adultes qui entourent les enfants. En quoi sont-ils, eux aussi, responsables ? Il y a les parents, le principal, les surveillants, et une professeure de français, Emma, dont la réaction extrêmement vive surprend tout le monde. Tandis que l'événement ravive en elle des souvenirs douloureux, Emma s'interroge : face à ce qu'a subi Fatima, a-t-elle seulement le droit de se sentir victime ? Car il est des zones grises où la violence ne dit pas toujours son nom... Avec beaucoup de justesse, Gabrielle Tuloup aborde la question de l'abus sexuel dans notre société. Le lecteur, immergé dans l'intimité de personnages confrontés à la notion de consentement et aux lois du silence, suit leur émouvante quête de réparation.
Des conseils de lecture pour toutes les envies d'évasion littéraire...
Un livre court pour raconter l'impensable vécu par une jeune fille a l'école.
Un sujet difficile qui est malheureusement toujours présent.
Fatima va parler, va dénoncer ses huit élèves qui ont gâché sa vie, sa jeunesse, son insouciance.
Comme le dit le titre pourtant ce ne sont que des enfants, mais c'est arrivé et la police débarque à l'école.
Dans ce collège de banlieue c'est l'incompréhension et les copains défendent, rejettent la faute, jugent et condamnent
La professeur elle sous le choc s'identifie à tort, ce n'est pas la mème histoire, eux ne sont encore que des enfants et pourtant...
Un récit dérangeant qui nomme les choses et qui aide à la parole car oui cela ne répare pas mais ça aide et il faut que les choses soient dites et entendues.
Une analyse qui ne moralise pas mais qui fait réfléchir sur un sujet toujours aussi délicat.
C'est d'abord le titre qui m'a sauté aux yeux. le côté mystérieux mais également la forme grammaticale.
Très vite, sans même lire la quatrième de couverture, on sait, on sent qu'on ne va être dans un feel-good, que l'autrice nous parlera d'un sujet délicat. Et il en est bien entendu question ici car elle abordera un sujet ô combien épineux, le viol quand il s'agit d'adolescents sur une adolescente, ce que l'on appelle communément une tournante (et que ce terme est laid). Sujet casse-gueule car on peut vite tomber dans le dégueulasse (ça l'est) mais aussi dans le graveleux, le putassier ou le pathos. Et pour le coup, je trouve que Gabrielle Tuloup s'en est très bien sortie.
Avoir posé l'intrigue dans le milieu scolaire était très malin car les adultes jugeant de cette affaire ne sont pas seulement du milieu judiciaire mais également, et surtout, les professeurs qui, forcément, connaissent les gamins, notamment les agresseurs. Et j'ai trouvé que l'autrice avait réussi le tour de force incroyable de ne pas rendre ses personnages manichéens (ou en tout cas pas trop). Comme tout un chacun, j'ai mon avis, assez tranché d'ailleurs, sur la question, mais là elle permet de poser le débat, ce que j'ai beaucoup apprécié. Non pas qu'on ne juge pas l'acte ignoble mais quand on connaît l'agresseur, qu'on voit autre chose de lui que ce seul acte, on ne peut que se poser des questions. Je me demande d'ailleurs si ce ne serait pas un roman à faire lire à des lycéens, pour en parler avec eux ensuite.
Ce que j'ai beaucoup apprécié aussi est que la réflexion est poussée plus loin, lorsqu'on découvre la réaction d'une des professeure, qui jusque là aimait ces enfants, réaction épidermique mais qui s'explique sur la fin du récit où le titre prend d'ailleurs tout son sens.
Dans l'ensemble, ce fut une lecture appréciée, avec un sujet de fond compliqué mais bien traité. Je regrette juste une écriture qui ne m'a pas beaucoup plu.
Lu en juin 2021
Un court roman de 140 pages sur une affaire de viol en réunion perpétré sur une jeune fille par des adolescents de son collège de banlieue. Le sujet est intéressant mais à mon avis aurait mérité d'être creusé davantage, je suis restée un peu sur ma faim. Les deux autres parties du roman paraissent étranges dans un premier temps et sont très différentes, très travaillée littérairement pour la 2ème par exemple. Ce roman aborde aussi la question des violences faites aux femmes et notre rôle en tant que témoins.
Je mets la quatrième de couverture car je ne ferai pas mieux que l'éditeur pour résumer ce livre.
Un matin, la police entre dans un collège de Stains. Huit élèves, huit garçons, sont suspectés de viol en réunion sur une fille de la cité voisine, Fatima. Leur interpellation fait exploser le quotidien de chacun des adultes qui entourent les enfants. En quoi sont-ils, eux aussi, responsables ? Il y a les parents, le principal, les surveillants, et une professeure de français, Emma, dont la réaction extrêmement vive surprend tout le monde.
Tandis que l'événement ravive en elle des souvenirs douloureux, Emma s'interroge : face à ce qu'a subi Fatima, a-t-elle seulement le droit de se sentir victime ? Car il est des zones grises où la violence ne dit pas toujours son nom...
C'est un sujet délicat que l'auteure aborde : le viol. À l'heure où les violences faites aux femmes sont au coeur des discussions, des débats et des reportages, ce roman résonne particulièrement.
L'auteure aborde le viol en réunion de Fatima à travers une multitude de points de vue : les profs, le principal, les élèves, la mère de la victime, les parents des accusés... J'ai trouvé le ton très juste. Et j'ai trouvé qu'il était bien d'aborder les conséquences au sens large, l'impact sur l'entourage des victimes et des bourreaux. On est tour à tour atterré, révolté, attendri, perdu, désespéré et admiratif du courage qu'il faut pour parler.
C'est un roman fort, poignant, le genre de roman qui reste dans votre esprit bien après l'avoir refermé.
‘Sauf que c’étaient des enfants’. Oui, et alors ? Cela excuse tout ?
Avec un style qui semble léger, même sur un sujet dramatique, Gabrielle Tuloup signe, avec ce roman, une pertinente interpellation du monde adulte. Sans négliger Fatima, la jeune fille victime d’un viol en réseau par des petits cons du collège dont elle souligne le courage d’oser parler, l’autrice s’attache surtout à cerner les réactions, attitudes, croyances et questionnements du monde adulte. Les parents, les enseignants, la direction. Que n’ont-ils pas vu, dit ou fait qui aurait pu empêcher ce ‘fait divers’ qui porte tellement mal son nom pour la victime comme pour ses bourreaux ?
Avec son approche sensible, courageuse, intelligente, Gabrielle Tuloup dénonce les dysfonctionnements sans accuser les auteurs. Elle est au-delà de la vindicte populaire. Elle ne cherche pas des coupables, elle cherche des solutions, des manières d’éviter, de réparer l’irréparable.
Un texte qui ne laisse pas indifférent l’ancien responsable d’école que je suis, conscient que, plus que probablement, des élèves ont été victimes de ce type de harcèlement de groupe qu’il ne faut pas réduire à une lâcheté de quelques-uns mais qu’il faut saisir pour s’interroger sur ce qu’il convient de mettre en place pour prévenir cette négation profonde de l’être homme, victime ou bourreau.
"L'humain est un tissu qui se déchire facilement."
Christian Bobin, Un bruit de balançoire
"L'enfance a une date de péremption, pas la même que celle indiquée sur les paquets. Elle pensait qu'elle avait le temps de voir venir. On ne voit jamais rien venir."
Sauf qu'ils n'ont rien vu venir.
Sauf qu'en ce mardi 27 janvier 2015, rien n'aurait dû venir troubler le déroulement d'une matinée ordinaire au collège André-Breton de Stains.
Sauf qu'ils n'ont rien vu venir.
Ni le personnel enseignant ni le personnel administratif.
Ni le principal, Ludovic Lusnel.
Sauf que quand le téléphone sonne dans son bureau et que la voix du Capitaine Marnin de la brigade de protection de la famille lui annonce l'impensable en deux mots qu'accable une affreuse allitération "agression sexuelle", c'est la stupéfaction, la sidération, l'incompréhension.
"Personne ne sait. On a demandé à Lusnel de rester discret, il n'en a même pas parlé à Isabelle qui s'étonnait de son air tendu au café du matin. le strict minimum à l'adjoint, rien à la secrétaire de direction. Un ballet en sourdine se joue dans son établissement. Les mouvements sont millimétrés. Tout se passe sans heurts, c'est bien huilé et sans répétition. le collège fourmille silencieusement. Il est malgré lui le coeur d'une toile qui se resserre. Il le sent. Il déteste ça."
Sauf qu'ils sont huit, huit élèves du collège à avoir violé en réunion la jeune Fatima de la cité voisine venue les reconnaître sur le trombinoscope. Huit collégiens dont un très jeune, presque encore enfant. Huit gamins dont la vie va s'arrêter avant même d'avoir commencé. Une toute jeune fille qui portera une marque indélébile, au coeur et au corps, une toute jeune fille a osé parler pour que le silence ne la déchire pas, une 2e fois.
Pour son 2e roman après "La Nuit introuvable", Gabrielle Tuloup s'empare à sa façon d'un sujet qui, ces derniers temps, a alimenté la plume de nombreuses autrices (je n'ai pas lu "Le Consentement" de Vanessa Springora) autant que celle des critiques, au point que l'on pourrait s'autoriser à penser que l'entreprise, une de plus, va jeter un énième pavé dans la mare, que certains vont crier à l'indigestion… Sauf que c'étaient des enfants.
"Le réel ne prend pas de gants."
Sauf qu'ils n'ont rien vu ni soupçonné.
Ni le personnel enseignant, ni le personnel administratif, ni le principal.
Ni les parents.
Dans un récit à la froideur factuelle, toute émotion et toute subjectivité chassées de la page, des documents trouvent naturellement leur place pour tenter de donner à voir ce pour quoi les mots manquent et pour nous aider à comprendre. Peut-être. Si cela se peut. Une fiche de cours sur le thème de la trahison, des bulletins de notes aux résultats en dents de scie mais guère alarmants, des rapports d'incident qui ne vont pas jusqu'à la punition ni l'appel aux parents, un compte-rendu de réunion avec l'association SOS Victimes où à la question de culpabilité se superpose celle de la responsabilité, celle des collégiens bien sûr, mais aussi celle des adultes qui n'ont pas su prévenir le drame. Ont-ils raté quelque chose ? N'est-il pas de leur responsabilité de veiller à ce que ces actes odieux ne se produisent pas ? Comment leur vigilance a-t-elle été prise en défaut ?
Dans le même temps, Gabrielle Tuloup nous place au plus près d'eux, enseignants et surveillants. On sent l'odeur de café qui flotte aux abords de la salle des profs, on ressent les tensions internes lors de réunions dont on se demande si elles ne sont pas vaines.
"Ça lui explose au visage. Ils ont fait ça. Ses mômes ont fait ça. Elle l'entend de nouveau, nettement, le rire collectif. Ils savaient donc, les copains. Et Nadir qui frimait, les yeux brillants, les épaules sorties. Nadir qui, d'habitude, s'arrête toujours au bon moment. Qu'on n'aille pas lui expliquer que ce sont des gosses, qu'ils ne se rendent pas compte. Leur foutue présomption d'innocence, ils peuvent se la garder."
Ce visage, c'est celui d'Emma Servin, professeure de français, c'est aussi celui de ses collègues, celui enfin des parents sur lesquels l'autrice reste, là encore, dans la retenue.
On pense à la mère de la victime
"Elle se sent brisée en chaque recoin de son être, on a souillé sa chair et chaque parcelle de sa peau de maman, par écho, réclame vengeance. Elle n'a aucune chance de riposter par elle-même. La vendetta nécessite des alliés, elle est seule. Elle s'est tournée vers la police plutôt que d'alimenter le système gangrené qui a démoli son enfant. Ce raisonnement est d'une implacable netteté dans son esprit, elle est pourtant incapable de tenir le même discours à Fatima. Dure comme peuvent l'être les femmes blessées, elle lui reproche d'"avoir cherché". La phrase reste en suspens. Cherché quoi ? Les embrouilles ? Ce n'est pas ainsi qu'on parle d'un viol. Les hommes ? Ils ont toujours su prendre ce qu'ils veulent sans qu'on ait besoin de le leur donner."
à celle d'un des garçons
"Elle ne dit rien, ne pleure pas. Elle n'est pas fière de ce qu'a fait son fils, elle sait que l'acte est odieux, mais elle est mère et pour l'instant il faut que son enfant survive loin d'elle. Inconditionnellement. Elle repasse dans la salle d'accueil, récupère son téléphone, son portefeuille et les gâteaux qu'elle n'a pas pu lui donner. Elle met au fond du sac, sous les habits sales, les petits bateaux sucrés. L'enfance a une date de péremption, pas la même que celle indiquée sur les paquets. Elle pensait qu'elle avait le temps de voir venir. On ne voit jamais rien venir."
Si une maman reste une maman, son enfant reste-t-il un enfant ?
"Lusnel se dit que ces enfants ne savent qu'ils sont coupables. Il repense à Fatima. Elle savait à peine qu'elle était victime, ces garçons ne comprennent pas qu'ils sont bourreaux."
Des circonstances qui ont rendu le viol possible, du viol lui-même, il ne sera fait aucune description. Des collégiens et de Fatima, non plus. Au lecteur de leur donner chair ou non, d'éviter les clichés ou non, rien n'est dit qui orienterait notre jugement. Ici, nous ne sommes pas dans le domaine du voyeurisme gratuit, mais dans l'évocation presque trop feutrée d'une situation à faire hurler.
Ce récit très distancié m'a fait me poser plusieurs questions : tout cela ne serait-il pas trop lisse ? Ne devrait-on pas avoir accès aux pensées de ces gamins pour comprendre ce qu'ils avaient en tête ? Comprendrait-on mieux ce qui, de toute façon, reste inconcevable ? Est-ce à nous de juger ?
J'en ai conclu qu'il est très habile de la part de Gabrielle Tuloup de n'avoir pas cédé à cette facilité que d'autres romanciers ont revendiquée à longueur de pages avant elle. Elle fait ainsi, dans le silence, une place légitime à l'inaudible, interroge aussi sur comment libérer la parole et consigner l'indicible.
"Deux poids, deux mesures. L'essentiel se jouait ailleurs. Il ne m'appartenait pas, à moi, de juger les responsables ou les victimes. Mais j'avais compris une chose : un acte est un acte. Et on avait le droit de lui donner un nom."
Et la vie de tous qui doit continuer, malgré tout, malgré le drame qui perfore leur quotidien, malgré l'effarement que nous partageons avec eux, malgré la béance que cet acte ignoble vient d'ouvrir chez Emma alors que je commence à tourner les pages de la 2e partie pour mettre mes pas dans les siens depuis qu'elle avance sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, sa mémoire allant elle à rebours et empruntant le chemin inverse.
Cette 2e partie, à peine une quarantaine de pages, est le domaine d'un "Je" qui a besoin de trouver sa place, son allure, sa respiration.
"J'ai avalé des kilomètres de sentiers de terre pour ne pas hurler. Je finissais par avoir un goût de cailloux sur les lèvres. Des pierres plein la bouche, une douleur minérale. Pas après pas, aux roulements de la hanche sous le poids du sac à dos, je disais à ma tête de s'aligner, bien droite, dans la perspective des chemins. D'arrêter ses méandres et ses replis sournois. Mon histoire se superposait à celle de Fatima et je n'avais pas le droit. On ne tire pas à soi la couverture du drame. Une adolescente de quinze ans avait été violée. Pas moi, pas comme ça. La vérité sonnait claire. Coup de gong, fin de partie. J'en demeurais KO."
Le viol dont Fatima a été victime a renvoyé Emma à son histoire personnelle, fait sourdre de vieilles souffrances qu'elle pensait avoir enfouies six pieds sous terre et la fait se livrer dans un portrait très intime au plus proche de ses pensées et de ses souvenirs.
"Sur le chemin de Saint-Jacques [...] on a emporté le minimum et ce qui pèse le plus lourd dans le bagage, on espère s'en délester."
S'alléger de sentiments refoulés, d'une honte encombrante, d'une rage mal camouflée qui souillent chaque journée tant que suppure la plaie.
Là encore, le talent de Gabrielle Tuloup est de n'avoir pas tissé l'histoire d'Emma à celle de Fatima dès la 1re partie, d'avoir offert un espace à chacune car, comme toutes les histoires, chacune est unique.
"La vérité, c'est que j'avais déjà compris en partant. Il allait falloir reprendre l'histoire dans l'ordre. Mais quelle histoire ? Celle des enfants ou la mienne ? Celle des enfants dans la mienne, percutant ma réalité."
C'est vrai que l' "On ne tire pas à soi la couverture du drame" et la construction du roman en est la parfaite illustration. On chemine aux côtés d'Emma, lentement, au rythme de ses pensées, de ses pas sur le chemin de Compostelle, flanquée de Béatrice et Gérard ses "deux veilleurs", Gérard et ses phrases à double-fond qui s'ignorent :
"Sous un ongle, une poche de sang s'était formée. Je sentais mon coeur pulser jusque dans mon orteil. "J'ai déjà eu ça, sur la portion espagnole. C'est classique [...] T'inquiète pas, tu vas percer et ça ira mieux après, je t'assure.""
Percer pour aller mieux après. N'est-ce pas un bon programme ?
Peut alors s'amorcer le retour vers ce qui s'est passé du temps où elle aimait, où elle croyait être aimée,
"[…] j'avais cru en cet homme comme on croit au ciel et à la mer, et qu'il avait peu à peu effacé l'horizon, brouillant les repères, gommant les points de fuite."
le retour sur ce qu'elle a "ravalé" ces dernières années en acceptant d'être avilie par un homme pervers et matois qui endormait sa vigilance,
"Il me blessait et venait poser le pansement que j'espérais. La mécanique était rôdée."
Peut alors se poser la question de savoir si elle aussi l'a bien cherché. Rester, était-ce une forme implicite de consentement ?
"Et on s'abîme à vouloir réparer. On s'érode encore et encore pour une miette d'intact. On s'essouffle à disperser la poussière, on ratte et griffe l'habitude pour retrouver l'avant et l'éclat. En vain, forcément."
Peut se poser enfin la question de la légitimité qui, quoi que lui en dise Béatrice, est bel et bien la sienne.
Emma se (dé)livre sans chercher à nous convaincre, n'argumente pas, ne force pas notre jugement et, d'ailleurs, ne le souhaite pas.
Fatima, une adolescente de 15 ans consciente d'éventuelles représailles, a brisé le silence, osé porter plainte et désigner ses bourreaux. Elle a montré la voie et ce qu'il faut de courage pour "retrouver l'éclat".
Alors peut commencer la 3e et dernière partie, très courte, de ce roman,
"À quinze ans, une presque enfant avait trouvé le courage, avec sa mère, de se tenir debout face à ses bourreaux, de les montrer du doigt. Elle avait déchiré le silence."
À Emma de reconquérir l'estime de soi et sa dignité. Je vous laisse découvrir comment.
La construction narrative de ce roman est un modèle du genre. En variant l'écriture - factuelle, puis intime, sèche enfin - et les points de vue narratifs en passant de la 3e à la 1re personne, elle casse toute homogénéité, car l'histoire de Fatima et celle d'Emma sont bel et bien différentes et ne peuvent se confondre, même si
"[...] un acte est un acte. Et on avait le droit de lui donner un nom."
En se gardant de surimprimer la violence de la narration à la violence vécue, Gabrielle Tuloup a fait un choix à contre-courant, celui de ne pas marteler, de ne pas inscrire dans l'excès ce texte bref et précis.
Une réussite servie par le beau travail d'édition de la maison Philippe Rey.
Roman lu pour la sélection anniversaire 5 ans des #68premieresfois
https://www.calliope-petrichor.fr/2020/09/07/sauf-que-c-étaient-des-enfants-gabrielle-tuloup-éditions-philippe-rey/?preview_sid=280799
Avec ‘Sauf que c’étaient des enfants’, Gaëlle Tuloup choisit de nous parler d’un sujet grave et qui fait souvent les gros titres de l’actualité : le viol. Pour cela, elle nous plonge dans deux histoires très différentes : celle du viol d’une adolescente par des collégiens d’un établissement situé en zone « difficile » et celle de la professeure de français du collège que cet évènement renvoie à sa propre histoire personnelle et à une relation passée de couple particulièrement toxique. Au travers de ces deux histoires, très différentes dans leur contexte mais reliées par le personnage de cette professeure de français, Gaëlle Tuloup décrit avec grande justesse les réactions de la société et de chacun face à ce type d’évènement, le mécanisme d’isolement qui se met en place autour des victimes de viol, la difficulté à dénoncer ces actes et les conséquences qui en découlent lorsque les victimes osent parler. Gaëlle Tuloup pose également la question du consentement et de la perception de l’attitude de l’autre, sujet qui est central dans ces affaires de viol.
J’ai aimé dans ce roman la justesse de perception des situations et cette démarche de nous exposer le point de vue de tous les protagonistes, sans jugement. ‘Sauf que c’étaient des enfants’ rend ainsi compte de la complexité de ces affaires et de la difficulté pour chacun de se positionner et de comment se comporter face à ces évènements.
Une matinée comme chaque autre au collège André-Breton de Stains. Les élèves sont dans les classes, les professeurs devant eux, les surveillants, le principal, la CPE, sont dans leurs bureaux respectifs. Oui, ce mardi 27 janvier 2015 avait commencé ni mieux, ni plus mal que les autres jours pour l'équipe et les élèves de cet établissement situé au milieu des "cités". Le déroulement ordinaire de la journée est perturbé par la visite au principal de la capitaine Marnin et de Fatima, une jeune fille de 15 ans, qui accuse huit élèves du collège de viol en réunion. Quelques jours après, les huit garçons sont sortis de leurs classes par les surveillants, interpellés par la brigade de protection de la famille et conduits en garde à vue.
Dès lors, l'univers du collège éclate et se recompose différemment : brutalement confrontés à leur cécité, les adultes vacillent entre sentiment de culpabilité, honte, incrédulité, questionnement et conflit avec le principal alors que les collégiens prennent fait et cause pour les suspects. Chacun se satellise plus ou moins autour de ce fait monstrueux : le viol d'une gamine de 15 ans par huit élèves que chacun côtoie quotidiennement. Emma Servin, la professeure de français, semble la plus atteinte par les évènements. Jusqu'à perdre le contrôle face à une élève qui accuse Fatima de l'avoir "bien cherché".
Concentrée sur les répercussions du drame, la première partie m'a saisie à la gorge jusqu'à m'en faire perdre le souffle. L'auteure n'occulte rien de l'onde de choc qui fracasse le collège, mais aussi les familles et la cité entière. L'écriture rend compte des faits, de l'imbrication du privé et du professionnel, de l'intime et du public, d'une manière précise, factuelle. Une écriture qui m'a sauté à la figure comme un poing.
La seconde partie, en revanche, m'a laissé un goût amer sans que je puisse précisément mettre le doigt sur ce qui m'a mise vraiment mal à l'aise. Les vacances servent de transition entre les deux et la focalisation se centre sur Emma Servin. Le courage de Fatima qui a osé dénoncer le viol dont elle a été la victime constitue une sorte d'électrochoc pour l'enseignante et la marche qu'elle effectue est aussi bien physique que psychologique.
Je crois que ma réserve vient de cette construction narrative et de la variation de l'écriture qui l'accompagne. Il m'a semblé assister à l'instrumentalisation romanesque du viol de Fatima dont la situation est plus ou moins occultée dans cette seconde partie. Tout se passe, pour moi, comme si l'auteure avait voulu faire "tenir" deux romans en un seul et que ses choix narratifs ne permettaient pas une parfaite homogénéité. Si bien qu'au lieu de gagner en puissance, la narration désunit le propos et en fragmente la portée.
Mais probablement aussi que l'intensité de la première partie, cette écriture concentrée, dense, sans compromis, a construit un horizon d'attente exigeant qui a été déçu par la suite. Il n'empêche que je regrette beaucoup que l'ensemble du roman n'ait pas été, en ce qui me concerne, de la même veine que ce que son début laissait entrevoir.
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