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Cultivés, ironiques, éloquents, les personnages de Michel Rio mènent une ronde de six éblouissantes conversations qui sont autant de manières d'interroger le monde tel qu'il va.
À l'origine de la première d'entre elles, la rencontre de hasard, sur un quai de Seine, entre un journaliste et un clochard. Pierrot Nassoulie - le journaliste - reconnaît, sous les traits dévastés du clochard, l'ancien numéro deux de la plus grosse banque d'affaires de la planète. Un an avant la crise mondiale, celui-ci avait eu le tort, lors d'une conférence, de dénoncer l'emballement du système financier : démenti de la banque, licenciement puis déchéance de son dirigeant. La conversation qui s'ensuit, exemples à l'appui, est un réquisitoire rigoureux et parfaitement documenté contre le cynisme de la petite poignée de ceux à qui profite la dérégulation générale de l'économie.
Laissant l'ex-dirigeant mondial avec la promesse de lui fournir régulièrement de l'excellente vodka, Nassoulie s'en va interviewer Monica de Velde, héritière d'une considérable collection de peinture flamande dont la totalité est exposée dans son hôtel particulier. Monica est également galeriste et... députée européenne. Tout fascine chez cette femme belle, intelligente et généreuse, et notamment son projet d'une Europe idéale : « un phare politico-écologique », dont les élus seraient, « sur le chemin de retour vers un pouvoir perdu, un véritable contre-pouvoir face aux puissances financières et à leurs valets institutionnels comme la troïka ».
Le journaliste congédié, elle poursuivra la conversation avec le romancier Jérôme Avalon, dans un cadre plus intime cette fois. Avalon y donne libre cours à la verve ravageuse - et désopilante - avec laquelle il s'attaque au paysage éditorial : prix littéraires, nouvelle critique et industrie romanesque en prennent pour leur grade.
C'est sur la vie éternelle, le catéchisme et la théologie que vont rouler, dans le chapitre suivant, les spéculations échangées entre Avalon et un cardinal mathématicien, particulièrement inspiré par les joints nombreux que lui roule, avec une libéralité non dénuée de calcul, son interlocuteur.
Le même cardinal, Michel Rio le met en scène alors qu'il prononce l'oraison funèbre d'un autre... cardinal, américain celui-ci, « trouvé mort peu avant dans l'alcôve et les bras parfumés d'une professionnelle ». Sa charge virulente contre l'American way of life semble porter, en tout cas sur sa cible principale, un sénateur républicain que l'on retrouvera, repenti, partageant avec le chef d'entreprise clochardisé « a swig of vodka ».
Impeccablement orchestrée, cette « course de relais avec passages de témoins de notre temps et du temps général » - telle que la définit Michel Rio - n'est pas seulement réjouissante par son intelligence crépitante, son humour froid et la somme des savoirs qu'elle synthétise. Avec une apparente désinvolture, elle remet tout naturellement la littérature au centre du discours intellectuel.
Ronde de nuit est exemplaire de la manière d'un écrivain qui, au fil d'une oeuvre majeure, a toujours conjugué savoir et imaginaire, aventures de la pensée et péripéties du corps, rêve et logique. Son « essai avec personnages » est un formidable pari sur l'audace et la curiosité de son lecteur.
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