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Il est malaisé aujourd'hui d'évaluer ce que nous devons à l'oralité. Mais si l'on prend, par exemple, le Chjama è Rispondi, ancré dans la profondeur de la culture corse comme nulle autre expression orale, on pensait, il y a peu, que cette structure mentale, s'étiolant, allait périr. Mais il n'en est rien. Les nouvelles générations s'en sont emparées, y compris au moyen d'Internet !
Le fondement de cette structure mentale culturelle, héritage de plus de deux millénaires, est la connaissance complète de la langue corse et la pratique cadencée du vers octosyllabique. Ce vers est la marque de fabrique de la poésie corse. Dans ses Confessions, Saint Augustin le Berbère (354-430) évoque sa surprise d'avoir entendu, dans la basilique de Milan, l'hymne Deus creator omnium composée par Saint Ambroise. Augustin donne les caractéristiques de l'octosyllabe utilisé : trois accents toniques, sur les 3e et 7e pieds (accent fort), sur le 5e (accent doux).
De même que le berger poète dispose de la fattoghja/casgiaghja pour mouler son fromage et son brocciu, au moment du mireghju - pause de midi -, lorsque hommes et bêtes se reposent à la mi-journée, il se consacre alors à sa fabrique poétique en égrenant ses vers, en les chantant aussi. Cette fattoghja mentale, structure éprouvée, transmise de génération en génération, est son établi, vrai àstula - atelier - mobile du poète.
Cette façon de composer est d'autant plus familière au berger qu'il est le plus souvent chantre à l'église, les hymnes latines n'ayant aucun secret pour lui. Il les connaît, les aime, les répète, entre autres : Vexilla Regis prodeunt (Venance Fortunat, 530-609), Veni Creator Spiritus (l'auteur de ce chef-d'oeuvre reste inconnu), Pange lingua gloriosi que concluent les deux strophes du Tantum ergo Sacramentum (Saint Thomas d'Aquin, 1225/1226-1274) et, bien sûr, l'hymne national corse : Dio vi salvi, Regina.
Eh bien non « La mémoire n'est pas l'intelligence des sots », n'en déplaise à Henry de Montherlant (1895-1972), auteur de cette assertion. Elle est même une composante majeure de la vie tant individuelle que sociale. À plus d'un titre elle nous concerne, nous Corses qui avons tendance à cette heure, à perdre le fil de notre tradition orale pour nous livrer aux vents mauvais.
Mémoire et vie sont une seule et même chose. L'oublier, c'est se perdre.
Rinatu Coti
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