"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un voyage à Venise en cinq textes à résonnance européenne. Du grand Canal à la Giudecca, d'un vaporetto à l'autre, d'une église au musée de l'Accademia, des ruelles étroites aux places splendides, du fond de la nuit au grand jour. Avec un crochet par cette fresque de Tiepolo, à la Résidence de Wurtzbourg, en Allemagne, qui peignit le plus grand plafond d'Europe. On y trouve une dose de désinvolture toute vénitienne dans les qualités de la sprezzatura. On entre dans le tourbillon pictural et musical de la Sérénissime qui inspire toujours plus loin le voyageur dans un émerveillement sans cesse renouvelé comme devant une aquarelle de William Turner qui, lors de ses trois voyages au XIXesiècle, enflamma Venise et révéla ses reflets d'or sur la terre comme au cie
❝Venise est une passion, une passion libre, la plus libre de toutes. Elle signifie en latin "Reviens encore", Veni etiam.❞
Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais moi je vais toujours à Venise comme à un rendez-vous amoureux. ❝Avant de venir à Venise, on en rêve déjà❞. Je ne démentirai pas l'auteur qui propose 5 textes à la mise en pages aérée pour évoquer ce ❝trésor flottant❞ cher à Sollers et à beaucoup d’entre nous.
Dès la préface, il promet de nous faire découvrir Venise par les 5 sens. À la lecture, on s'apercevra qu'il s'agit plus de la vue que de tout autre sens ; plus de peinture que de tout autre art. Quoi qu'il en soit, ces mots donnés au début de l’ouvrage sont ce que l’auteur écrira de plus intime sur ce qui l’unit à cette ville vers laquelle il revient souvent, où ❝pour [se] retrouver, [il] commence à [se] perdre❞, expérience d'un abandon que nous faisons avec délice dès que nous posons le pied sur les pavés vénitiens. Nous perdre dans le labyrinthe des calli, descendre le Grand Canal, traverser le pont de l’Accademia vers le Dorsoduro, flâner à la fraîcheur des Giardini ou au soleil des Zattere, pénétrer l'ombre silencieuse des églises, quoi de plus exquis que la promesse qui nous est faite ? Aussi ai-je tendu une main confiante à ce ❝dilettante amoureux❞, guide a priori parfait pour découvrir non n’importe quelle Venise, mais la sienne, confidentielle. J’ai souhaité être comme ❝portée par les flots❞, presque clandestine pour aller à la rencontre d’une Venise insoupçonnée, le récit à la 1re personne garantissant ’une intimité qui n'aspire qu'à se livrer.
❝Venise reste difficile à dire et très belle à vivre.❞
Voilà qui résume bien la difficulté sur laquelle vient achopper ce recueil. Venise est difficile à dire — il ne se trouvera personne de sensé pour le contester — et celle de J.-H. Larché, malgré des pages envahies de "je", reste d'une froideur impersonnelle. La faute au choix d'une écriture en panne de liant : abondance de phrases courtes, souvent nominales ; excès de juxtapositions, d’énumérations font penser à des notes prises sur le vif et jetées dans un carnet par le voyageur qui, arrivé là ❝sans programme❞ (la meilleure façon qui soit, certes), ne se soucie guère de leur donner une forme dont on espère qu'elle viendra plus tard, sauf qu'ici, elle ne vient pas.
Partant, ces 5 textes respirent mal. Je soupçonne le souffle qui leur manque d’être resté prisonnier de la préface.
Le texte central, le plus long, Venise à Wurtzbourg, est consacré à Tiepolo et au grand plafond d’Europe peint, avec l'aide de Giandomenico et Lorenzo ses deux fils (ce qu'omet de dire l'auteur), à la Résidence des princes-évêques, au milieu du XVIIIe. Était-il besoin d'aller jusqu'en Bavière pour s'émerveiller du génie de ce peintre qui, de la chiesa San Stae au palazzo Labia, est partout à Venise en plus d'y être chez lui ? Dans le dernier quintet, l'auteur s'interroge : ❝Pourquoi aller chercher plus loin puisque tout est là ?❞ En effet, à mon tour de l'interroger : pourquoi ? Quel intérêt de faire le chemin jusqu'à Wurtzbourg pour donner d'un chef d'œuvre une description académique où perce trop rarement l’émotion ?
Le dernier texte, Turner à Venise, reste lui aussi privé de sang vif, se bornant à répéter ce que d’autres ont déjà fait valoir.
Signalons l’absence de représentation des tableaux qui oblige à avoir à disposition une reproduction pour repérer ce à quoi s'attache le regard de l'auteur.
Cela étant, les premier et avant-dernier textes pourraient faire exception, alors que l’auteur déambule dans la ville sans se soucier de savoir s’il a quelque chose de définitif à nous confier. Il donne alors à ressentir l'appel de Venise, celui qui fait prendre la voiture, seul, depuis Bordeaux pour gagner l'Italie dans la journée, saluant en route des écrivains connus — Montaigne, Rousseau, Bataille... À l'arrivée, Venise l'attend, magique, enveloppée dans un caigo laineux. Et l'auteur de se plaindre de ce cadeau inespéré et de me surprendre avec l'incongru anglais fog. De me surprendre encore en s'enfermant dans les musées, insensible à l'irréalité cotonneuse de Venise quand le soleil bataille avec la brume. La beauté fulgurante d'un rêve se refuse-t-elle ? Il semble que oui.
On a beaucoup écrit sur Venise, tellement écrit que le risque est grand d’être comparé à ceux qui ont précédé et d’avoir à en souffrir. Je regrette de n’avoir rien vu de nouveau ni d’intime dans la Venise de J.-H. Larché, dont je ne mets en doute ni la culture ni l’amour pour la ville. Mais je ne goûte guère les promesses non tenues ni l'impression désagréable que l'on a profité de ma crédulité. Au cours de ma promenade en sa compagnie dans cette ville où tout est invite, il m’a manqué la sprezzatura, ce ❝pas gagné dans le rire❞ et, à ce recueil bien trop impersonnel, il manque l'élan d'amour.
https://www.calliope-petrichor.fr/2023/02/20/quintet-pour-venise-jean-hugues-larché-serge-safran-éditeur/
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