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Voici une nouvelle dont la publication en 1956 fut l'un des événements littéraires du Japon d'après-guerre. Dans ce récit, dont une légende locale lui a fourni le thème, l'auteur imagine un village perdu au sein de montagnes sans fin, dont les habitants s'expriment, pour l'essentiel, au moyen de chansons allusives. Thème après thème, en une langue très rythmée et qui ne craint pas les répétitions, il dévoile, en même temps que le sens de chaque chanson, la vie de cette société dont le propre est d'être dominée par l'angoisse de la faim. Lois et morale n'y relèvent que de celle-ci et, pourtant, bien et mal s'y affrontent dans des personnages d'une stature antique. Douloureuse et, par endroits, très cruelle, l'oeuvre contient cependant aussi beaucoup de douceur. L'insolite histoire qu'elle nous conte n'est-elle pas, à bien la lire, celle-là même de notre destinée ?
Dans un Japon hors du temps, un petit village cerné de montagnes. La terre ne donne pas beaucoup, même le riz est une denrée rare et les villageois craignent la disette. C'est là que vit O Rin, entourée de Tappei son fils veuf et de ses petits-enfants. Comme toute la communauté, O Rin s'inquiète pour la nourriture et le fait qu'elle ait gardé toutes ses dents, grandes et saines, n'est pas pour la rassurer. Elle craint de passer pour une vorace et déjà des chants à son sujet circulent dans le village, lancé par Kesakichi, l'aîné de ses petits-fils. Mais c'est un tout autre chant qu'attend O Rin, celui qui appelle au pèlerinage vers Narayama, la montagne aux chênes. La vieille femme a déjà préparé son voyage dans les moindres détails. Le temps presse, elle entre dans sa soixante-dixième année, une nouvelle bru est arrivée du village d'en face pour tenir sa place auprès de Tappei et le ventre rond de Matsu-yan, la femme de Kesakichi est un signe évident. Au village, il n'est pas bien vu de bercer un arrière-petit-enfant, c'est faire la preuve qu'on s'accroche à la vie sans se soucier d'être une bouche à nourrir.
Si de prime abord, Narayama semble être un conte naïf, ponctué de comptines enfantines, à lire à la veillée pour s'imprégner de vieilles légendes, très vite, on se rend compte qu'il n'en est rien. Derrière la poésie se cache toute la cruauté du sort de l'être humain. Quand la faim creuse les ventres, quand la peur de manquer est dans tous les esprits, les caractères se révèlent. Certains vivent avec parcimonie, font des réserves et partagent le peu qu'ils ont car la solidarité n'est pas un vain mot au village. Mais d'autres préfèrent piller leurs voisins, sont pingres et suscitent une haine féroce et meurtrière. Châtier le voleur est une nécessité vitale. Pour les anciens, le pèlerinage vers la montagne aux chênes est une façon de soulager la communauté. O Rin s'y est préparée de longue date et elle espère bien qu'une fois arrivée au sommet, la neige sera sa compagne, signe de ''bonne chance''. Si son fils rechigne à l'accompagner, c'est parce qu'il est très attaché à sa vieille mère. Mais il ne peut se soustraire à son devoir filial...Chez les voisins, le vieil homme de la maison a peur de la mort et ne veut pas partir. Quand son fils l'y oblige, l'ascension se passe mal, la chance n'est pas avec lui. En comparaison, l'abnégation d'O Rin apparaît comme le geste suprême de l'amour et du respect des traditions.
Puisé, non pas dans les légendes japonaises, mais dans l'imagination seule de l'auteur, ce conte a des allures de Petit Poucet où l'on sacrifie des êtres chers au nom de la survie, mais trouve aussi une résonance avec les traditions inuits quand les vieillards sont abandonnés sur la banquise dès lors qu'ils ne peuvent pus participer aux campagnes de chasse et de pêche. La vie, la mort mais aussi le karma y sont évoqués avec toute la sensibilité et la dureté bouddhistes. Un récit court mais très, très émouvant. A découvrir.
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