"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Quand la science et la technologie avancent à pas de géant, l'éthique et la politique rampent derrière. » Depuis des mois, Baltimore ne respire plus. Un serial killer surnommé « le Cinéphile » assassine des femmes qu'il embaume, avant de les grimer en Grace Kelly. Mais tout s'emballe quand disparaît Maggie Exton, l'épouse du chef de cabinet adjoint de la Maison-Blanche.
Ils seront trois à mener l'enquête : Thomas Lynch, un flic qui compense sa mauvaise humeur par une consommation excessive de donuts ; Jack Miller, un ex du FBI trompé par sa femme et reconverti en détective privé ; Peter, un geek misanthrope à l'intelligence supérieure. Jamais ils n'auraient imaginé jusqu'où l'affaire les mènerait. Car à l'heure du Patriot Act, l'Amérique se noie. Surveillance de masse, guerre contre le terrorisme, cybertechnologies... La fin justifie les moyens et la CIA ne recule devant rien. Surtout pas devant l'innommable.
Maggie Exton, publié en 2019 par les éditions Stock puis en version poche par les éditions J'ai Lu en 2021, est sa première fiction. Le style est plaisant, fluide: "Thomas fit courir le faisceau lumineux de sa lampe, révélant le miroitement terni d'un téléphone en bakélite tenu par une main aux ongles soigneusement vernis. Plus haut, la lumière révéla des bras recouverts de manches en dentelle. Thomas remonta jusqu'à la découpe délicate d'une robe bustier rouge et approcha sa main au-dessus du fin pendentif doré." (Page 23)... Le ton est souvent sarcastique, un rien désabusé: "Avant même de sonner à la porte, sa femme l'avait soigneusement briefé: quoi qu'il arrive, quelle que soit l'énormité qui sort de la bouche de Richard, tu ne cries pas. Donc Thomas n'avait pas crié. Il avait stoïquement supporté le match de soccer coincé sur le canapé avec son beau-frère qui, entre deux gorgées de bière et une poignée de cacahuètes, invectivait chaque joueur à coups de "Mais cours! Bordel, cours! C'est payé des millions de dollars et ça court pas! Trop haut! Et voilà, il n'était pas sur ses appuis! Et l'autre qui bouge même pas. Ils ont quand même tous des gueules d'abrutis, non?" (Page 18).
Construction: partie 1, vendredi 8 janvier 2016: racontée au passé à la troisième personne selon le point de vue de Thomas mais également à la première personne du point de vue du détective privé =>Deux visions différentes de la même affaire. A cela s'ajoutent des passages à la troisième personne au présent consacrés au tueur =>Décalage par rapport à l'enquête.
Thèmes: surveillance de masse à outrance justifiée par la lutte anti-terroriste, interventionnisme américain, cyber surveillance, violation des droits fondamentaux: liberté d'expression, droit au secret de la vie privée et droit du citoyen à l'information dans les enquêtes dont il fait l'objet.; expériences menées par la CIA sur des enfants: caisson d'immersion, "centres de vacances" spéciaux pour enfants cobaye (cela me rappelle la très brillante série américaine "Fringe" qui aborde le même sujet)
Fil rouge: critique acerbe à peine voilée du "modèle" américain et de la politique américaine suite aux attentats du 11 septembre: "Comme Max me l'expliqua, l'Extraordinary Rendition Program consistait à faire disparaître de soi-disant suspects de terrorisme pour les faire torturer dans des pays alliés. La CIA avait organisé un vaste réseau secret de kidnapping et de détentions à travers le monde. Les personnes arrêtées étaient considérées comme disparues. Leurs arrestations n'étaient donc pas signalées. Elles ignoraient où elles étaient conduites, qui les détenait et où elles étaient retenues avant d'être interrogées hors de tout cadre légal." (Page 174).
Suite à la réception d'un texto anonyme, le corps de Claire Spencer, disparue deux mois plus tôt, en novembre, est retrouvé dans un entrepôt désaffecté. Détail intriguant: alors qu'il pleut depuis dix jours, les enquêteurs ne relèvent aucune trace de pas. Il semble que Claire soit la quatrième victime d'un tueur en série qui sévit à Baltimore depuis quelques mois. Ironie de la situation: bien que Baltimore soit considérée comme la ville pionnière en matière de surveillance ne paraît pas gêner le tueur outre mesure qui dépose tranquillement le corps embaumés de ses victimes avant de prévenir la police par texto.
Le tueur, surnommé "le cinéphile", enlève ses victimes entre Washington et Baltimore, distantes de seulement soixante-neuf kilomètres. Elles ne se connaissent pas, n'appartiennent pas à la même catégorie socio-professionnelle, n'ont aucun fréquentations communes et n'habitent même pas dans la même ville. Dans ces conditions, il est difficile pour la police de retrouver sa trace.
Quelques heures après la découverte du corps de Claire Spencer, Maggie Exton, psychiatre renommée, disparaît. Enlevée par le cinéphile? S'agissant de l'épouse du troisième homme le plus important de l'administration américaine, d'importants moyens sont aussitôt mis en oeuvre: la police de Baltimore où le professeur Exton possède son bureau; l'agence du FBI de Washington est chargée de l'analyse des données techniques; Martin Exton, époux de la disparue, exige que le détective privé Jack Miller, le seul en qui il ait, confiance, dirige l'enquête. Décision qui fait grincer bien des dents, mais qui s'opposerait à un ordre émis par le chef de cabinet adjoint du président des Etats-Unis?
Il est rapidement établi que le docteur Exton a disparu entre l'université John-Hopkins où elle donne des cours, et son domicile. Elle a envoyé un texto à son mari pour le prévenir qu'elle passait au pressing avant de rentrer. Elle n'est jamais arrivée chez elle. Pas plus qu'elle ne s'est rendue au pressing. Plus personne n'a eu de ses nouvelles après 18h30.
De fausses pistes en impasses, d'absences d'indices et de témoignages en de multiples mobiles, l'enquête piétine. Aucune piste sérieuse. La police et le FBI sont sur les dents. D'autant que John Exton, septième plus grosse fortune américaine, adjoint au maire de New-York, favori aux prochaines élections municipales, fait pression. L'inspecteur Thomas Lynch et le détective Jack Miller ne réalisent pas combien cette enquête extrêmement complexe et délicate va les mener sur des chemins qu'ils n'auraient jamais envisagés.
Ce premier polar de Zoé Shepard présente les qualités qui font les romans policiers de qualité: des dialogues réalistes participant à l'ambiance; des scènes d'action cohérentes; des personnages humains, ni bons, ni méchants, mais flirtant sans cesse avec les limites imposées par la société, des enquêteurs aux prises avec les difficultés d'une enquête fédérale jointe à une enquête locale; bien que le ton ne soit pas polémique, des thèmes socio-politiques qui posent des questions cruciales, poussant le lecteur à s'interroger à propos des agissements de nos dirigeants, qu'ils soient américains ou européens.
Le +: façon simple et efficace de poser le décor et la situation tout en donnant de nombreux détails pour un ancrage dans la réalité plus prégnant, un peu à la manière des documentaires.
Un moment de lecture d'une grande intensité qui ravira les adeptes du genre. Divertissement et réflexion: combo gagnant pour ce premier titre du genre de Zoé Shepard.
Avec ce livre, pas le temps de s’ennuyer. En effet, les dialogues entre les différents protagonistes, assez épique à certains moments, et la progression de l’enquête en font une intrigue rythmée.
Tout d’abord parce que l’on suit l’histoire jour après jour, à des heures données ce qui permet de suivre la progression au jour le jour sans réel temps mort. De plus, le livre commence par une scène où Le Cinéphile, le fameux serial killer, est en plein préparatif pour sa prochaine victime. De là, le rythme est donné car juste après ce prologue s’ensuit la disparition de Maggie Exton, la femme du chef de cabinet adjoint de la Maison Blanche.
Débute donc une course contre la montre où la priorité est de la retrouver et d’arrêter Le Cinéphile.
Alors je vous préviens de suite, ne vous attendez pas à des poursuites toutes les dix pages ainsi que des retournements de situations de dingue. Oui il y a des rebondissements mais ce n’est pas ce qui représente le livre pour moi. Je situe ce livre dans le genre polar politique, malgré la présence d’un serial killer, le genre où il faut vraiment bien poser les bases pour en comprendre tous les aboutissants.
Ce qui semblait être une simple histoire de kidnapping est en fait bien plus complexe que cela…
L’histoire va prendre des proportions renversantes. Alors même si je vous dis qu’il n’y a pas d’actions à tout bout de champ, il n’en reste pas moins que ce livre se lit d’une traite pour plusieurs bonnes raisons dont les personnages.
Clairement, ce sont eux qui dynamisent le livre avec leurs discussions, leurs pensées, leur façon d’être. J’ai eu un réel coup de cœur pour chacun d’entre eux même si ma préférence va pour Peter.
Chacun à leur façon est touchant mais surtout incroyablement humains. Et même lorsqu’un simple flic collabore avec un grand du FBI, la fonction a toute son importance, il n’empêche qu’il ne se laisse pas faire et qu’il souhaite résoudre cette affaire à tout prix. Même s’il doit côtoyer des personnes aussi étrange que Peter, le geek par excellence.
Alors, oui j’ai trouvé qu’il y avait un petit côté caricatural du flic américain et son célèbre donut, en passant par le détective privé solitaire vivant avec un geek asocial mais qui est un pur génie. Mais vous savez quoi ? Ce n’est pas dérangeant du tout parce que cela apporte une touche de légèreté sur une intrigue qui pourrait être étouffante pour certains.
Et surtout à travers leurs dialogues, ils apportent une meilleure compréhension sur le système américains et les différentes juridictions. Le fait que la majorité du temps cela soit abordé, intégré dans la discussion permet d’éviter la sensation de s’appesantir dessus et surtout rendre le tout digeste et compréhensible. Etant la première à trouver les détails scientifiques ou autre un peu trop barbants, j’avoue que là, ça passe tout seul.
Et au-delà des personnages qui donnent le rythme, on retrouve également les ingrédients habituels. A savoir des chapitres courts, des points de vue différents, même si le principal reste celui de Jack, détective privé.
Mais surtout l’autrice ne s’attarde par sur les décors, l’environnement où évolue nos personnages.
En deux, trois phrases elle nous fournit l’essentiel et c’est bien assez. Pour le coup s’il y a bien un livre où ça n’apporte pas grand chose de savoir de quelle taille sont tous les bâtiments et de quelle couleur précise est le ciel, c’est bien pour un livre comme ça. Et en aucun cas ça ne gêne la lecture. J’ai trouvé au contraire que ça rendait le tout plus léger, et donc plus digeste.
En tout cas jusqu’à la fin j’ai eu du mal à lâcher le livre.
Notamment parce que j’y ai retrouvé des thèmes déjà abordés dans des précédentes lectures mais qui me passionnent tout autant aujourd’hui. Mais aussi parce que l’autrice a su captiver mon attention en parsemant ici et là quelques révélations bien senties et donnant un regain d’intérêt à ma lecture. D’une intrigue au prime abord simple, celui du Cinéphile, elle en devient plus complexe car d’autres enjeux sont au cœur de l’histoire. Mais ça je vous laisse le découvrir par vous-même.
En bref,
Je ne savais pas à quoi m’attendre, et entre nous je crois que je ne m’attendais pas à quelque chose comme ça, mais je suis sortie un peu des sentiers battus. J’ai étais agréablement surprise. Zoe Shepard a su aborder cela de sorte que ce ne soit pas lourd à lire pour le lecteur. Les personnages y sont pour beaucoup ainsi que l’absence d’un trop plein de détails. On a le minimum et c’est amplement suffisant. Un polar qui fonctionne par l’intérêt qu’il a suscité en moi et par sa construction narrative.
Encore une fois, je ne m’attendais pas à grand chose, d’autant plus qu’il n’a pas fait grand bruit à sa sortie. Et mon avis final est que c’est une très bonne lecture qui mérite d’être lu par un peu plus de lecteurs. Je ne peux que vous le conseiller.
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