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Cela a commencé par un jeu. Tout ne commence-t-il pas ainsi dans tous les domaines ? Quand j'étais enfant je m'amusais à imaginer des situations étranges : marcher les yeux fermés au cas où je deviendrais aveugle. Ne pas parler une journée entière (très fatigant au début parce que ça continue de parler à l intérieur de la tête). Ne pas me servir de mes mains. Marcher sur les genoux. Rester éveillée deux nuits de suite. Certaines de ces contraintes volontaires m ont servi, bien plus tard, et m amusent aujourd hui. Un jour que je relisais un poème écrit quelques années plus tôt, je remarquai qu'il ne contenait pas la lettre A. Et, qu'à cela ne tienne, il me vint l idée de continuer à écrire sans elle. À ma grande surprise, non seulement c'était faisable, mais cette petite contrainte m'a emmenée sur des chemins différents, un peu comme s'il y avait des travaux sur la route et que l'on soit obligé d'emprunter un autre itinéraire. Pendant un temps je me surpris même à parler sans utiliser de A. C'est devenu tellement naturel que moi-même, en relisant mes textes, oubliais que c'était un jeu. Il est vrai que la lettre A a cette particularité (avec la lettre O, je crois) qu on n a pas à l'écrire pour prononcer le son. La langue française est si riche en méandres et en chemins de traverse qu elle est là, comme un écho, même si on ne l'écrit pas. J ai pu ainsi l'oublier et continuer ma problématique de l'ombre, qui m'est si chère, sans difficulté aucune. L'ombre est projection immatérielle. On peut pourtant la photographier, même si elle nous échappe et part de nous, même si on ne la voit pas et le plus souvent l'oublie. Elle devient par-là objet de désir, aimée et oubliée dans un même geste. Un désir infini, « L infini désir de l'ombre ». Une centaine de poèmes, comme des gués sur le chemin étrange que je découvre avec eux, avec vous, et qui ne mène nulle part ailleurs que le chemin lui-même qui, comme le dit Antonio Machado : « Il n'y a pas de chemin. Le chemin se fait en cheminant ». Bonne promenade !
Elodia TURKI
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