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Une carte de l'Inde est dépliée sur le bureau. La voix volontaire de Marie Dorigny commente l'espèce de lecture en braille à laquelle ses doigts se livrent sur la partie nord-est de l'état du Bihar, s'efforçant de lire une géographie invisible tout en évaluant les possibles informations croisées en chemin. Tout grand reportage correspond à un lent déplacement dans le temps et l'espace, et chacune de ses escales à une micro-enquête, sorte d'abscisse journalistique. Lorsque l'on se rencontre au tout début de la préparation du sujet, le dialogue tient de la voyance éditoriale et de l'approche : veut-on refaire le voyage de Gandhi datant d'il y a quatre-vingt dix ans ? Préférons-nous travailler sur les vieilles solidarités féodales qui résistent encore à l'abolition du système des castes ? Ou allons nous faire découvrir aux lecteurs de Geo le fameux « corridor rouge » emprunté par le mouvement mao à travers l'Union indienne. C'est aux questions qu'il pose à son sujet que l'on mesure le degré d'engagement d'un photographe. Là aussi, il existe des terrains. Sans nul doute, celui qui concerne Marie Dorigny traverse le champ social. Depuis sa première commande pour le Bureau international du travail sur les enfants exploités en passant par l'esclavage domestique ou l'immigration clandestine, elle archive depuis plus de quinze ans les atteintes à l'intégrité humaine. Avec, en permanence, ce souci d'une information pas simplement sourcée ou vérifiée mais aussi racontée, ordonnée. Cette jeune femme d'origine grenobloise a commencé par écrire dans la presse régionale avant de photographier, d'où son désir de narration, d'avancer photo à photo comme on dirait mot à mot. Ses images ne captent pas simplement le réel, elles l'écrivent. La photographie de Marie Dorigny entretient une forme de dépouillement, d'ascétisme (revoir ce magnifique visage de femme cachemirie paru dans un reportage Geo en 2005) qui renforce une relation « compassionnelle », quasi littéraire, non à un sujet mais à des êtres, non à un simple baroud mais à des vallées, des montagnes ou des matins du monde. Nous sommes loin de la prise de vue héroïque, sorte de posture obligée entretenue par certains. C'est une photographe qui procède par disparition d'elle-même, par élégante dissipation. Et l'on se doute bien que le chemin la menant au coeur de ses images, a dû être long, semé d'embûches, et l'infinie patience, sa compagne de tous les jours. PAR JEAN-LUC MARTY directeur éditorial et rédacteur en chef du magazine Geo. Il est aussi écrivain et vient de publier chez Julliard un roman, Rumba.
Introduction par Agnès de Gouvion Saint-Cyr et Jean-François Leroy.
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