"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Après l'effondrement du second Empire et l'écrasement de la Commune de Paris, deux jeunes hommes quittent l'Alsace afin de rester français, et se rencontrent sur la route de l'espoir et du rêve. Voulant s'affranchir des conventions de leur temps, ils revendiquent l'héritage de certains pirates libertaires et rêvent d'une terre promise, Libertalia, tout en devant composer avec la réalité parfois amère de la IIIe République.
Arrivés à Paris, l'un intègre l'atelier de Bartholdi aux Batignolles, consacré à l'édification de la statue de la Liberté qui doit bientôt être livrée aux Américains, quand l'autre participe à toutes les aventures qui font vibrer la presse à grand tirage (canal de Suez, de Panama, Exposition universelle), grimpant les échelons de l'élite parisienne via les premières loges maçonniques. Trajectoire géographique, historique autant qu'humaine, Libertalia explore une époque où prend fin la Révolution et où naît la France d'aujourd'hui.
Découverte d’un moment d’histoire que je ne connaissais pas. Suite à l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, les alsaciens peuvent choisir de rester en Alsace et de devenir allemand ou partir en France pour rester français. C’est l’option prise par Baruch, juif alsacien de parents très orthodoxes, et Alphonse, fils d’industriel qui se rencontre sur la route. Ils cheminent vers la capitale se faisant matelot pour payer leur voyage. Nous sommes en 1872 et l’impression de lire le début du « Tour de France de deux enfants ». Dans ce livre, aucune revanche sur l’ennemi, le Teuton, l’envahisseur, non, juste une envie de réussir son rêve dans le bouillonnement de l’époque. Le rêve de Fons s’appelle Libertalia. Il l’explique à Baruch « Il y a deux siècles environ, Olivier Misson, capitaine de la Victoire, et son second, un prêtre défroqué nommé Carracioli, fondaient à Madagascar, au nord de Diégo Suarez, une colonie qu’ils baptisèrent Libertalia. Pour emblème, ils choisirent le drapeau blanc et pour but, la défense de la liberté à laquelle les lois naturelles leur donnaient droit contre les ambitieux qui la leur avaient ravie. » Comment ne pas souscrire à cette idéal que Baruch fit sien de suite, lui qui n’avait rien lu d’autre que le Talmud !
Arrivés à Paris, ils devinent que c’est un voyage sans retour « Tendus qu’ils étaient vers l’avenir et ses promesses, ils sentaient confusément que quelque chose d’innommable avait pris fin, mais sans savoir encore qu’il s’agissait de leur jeunesse. »
Baruch, devenu Bernard travaille sur la statue de la Liberté de Bartholdi. L’œuvre de sa vie, ce qui lui permet de se sentir vivant car, pour le reste, Bernard s’est marié, embourgeoisé, s’ennuie. Fons, devenu géographe, s’est essayé à une nouvelle « religion » où il pensait pouvoir trouver les idéaux de Libertalia : la franc-maçonnerie. Las, lors de son baptême, il a compris. Il utilisera donc les membres de la Confrérie pour essayer de trouver un lieu pour fonder cette nouvelle humanité.
La seconde partie de ce livre est la vie, la vraie au milieu du contexte historique et industriel florissant de cette époque. L’âge adulte est arrivé, les deux amis ont perdu beaucoup de leurs rêves, ils s’ennuient dans cette vie qui ressemble trop à celles de leurs parents. Cette question, ils se la posent alors qu’ils visitent l’Exposition Universelle de 1889 « -Est-ce qu’on a tout raté ? lui demande soudain Bernard. –Je ne sais pas, répondit Fons. Je ne sais vraiment pas. »
Ce très court roman parle de l’héritage parental, (à force de vouloir ne pas leur ressembler, ne les imite-t-on pas), du départ, de la quête d’un rêve, d’une inaccessible étoile déjà évoqués dans Notre-Dame des vents.
Le talent de Mikaël Hirsch ? Réussir en si peu de pages à créer une atmosphère, à nous brosser paysages, sites, personnages avec une grande précision. Je me suis promenée sur les boulevards de l’histoire de la fin du 19ème. De la fabrication de la statue de la Liberté en passant par le Canal de Suez, Panama... sans oublier l’Exposition universelle et donc, la tour Eiffel.
Un coup de cœur.
En préambule, je dois dire ici que je pense beaucoup de bien de Mikaël Hirsch. J'ai lu ses quatre précédents romans : Le Réprouvé, Les Successions, Avec les hommes, Notre-Dame des Vents et à chaque fois j'ai été enchanté. Libertalia ne déroge pas à cette règle et dès le début, je suis resté scotché par les phrases magnifiques de l'auteur ; la présentation de Baruch et d'Alphonse par exemple qui tient en deux paragraphes, simples :
"Il se prénommait Baruch, comme Spinoza dont il ignorait tout et se nommait Lehman, comme son père Nathan, marchand de céréales à Fegersheim à l'époque où celle-ci n'était pas encore une banlieue-dortoir de Strasbourg, mais une petite commune agricole des bords de l'Ill. Migrant vers l'intérieur, il traînait dans un grand sac de cuir quelques sauf-conduits rédigés en lettres gothiques et du linge immaculé que lui avait donné sa mère.
C'est en 1872, peu avant Belfort, sur une route accidentée et longeant une forêt de hêtres, à hauteur de Rougemont-le-Château, que Baruch Lehman rencontra Alphonse Muller, dit Fons. Celui-ci avait lu Proudhon, se disait anarchiste, avait exercé la profession de géomètre auprès d'un notaire de Mulhouse et se trouvait assis, au bord du chemin, sous un ciel changeant qui annonçait l'orage." (p.9)
Ainsi donc commence cet ouvrage. Comment résister à poursuivre et surtout pourquoi, puisque les phrases suivantes seront au moins aussi belles et tentatrices ? Un style littéraire hors du temps, une référence assumée -je pense- aux auteurs du dix-neuvième, juste un peu avant ou totalement contemporains à l'époque dont parle M Hirsch, Flaubert, Balzac et surtout Stendhal. Un réel plaisir, un régal assuré.
Et l'histoire maintenant ? Eh bien, à l'instar de Stendhal, elle se déroule lentement, sans cesse coupée par des descriptions splendides, des rappels historiques, et de multiples faits, toujours en lien avec la vie des deux héros. Baruch, devenu Bernard pour ne pas être doublement stigmatisé par ses origines alsaciennes et juives, devient l'un des principaux chefs de chantier de la Statue de la Liberté construite par Bartholdi avant d'être envoyée aux États-Unis. Il s'établira à Paris, épousera Rachel et fondera une famille. Fons deviendra géographe, franc-maçon, associé aux missions menées par Ferdinand de Lesseps avant le perçage du canal de Panama, ira partout dans le monde pour cartographier tel ou tel pays ou région. Mais chacun garde en tête Libertalia, cette colonie malgache.
Ce roman est celui de la quête éperdue de la liberté dans une époque en pleins bouleversements : l'avènement de la République, la reconstruction du pays après la guerre, la construction de quelques édifices importants (Statue de la Liberté, Tour Eiffel, le Sacré Cœur construit pour expier les crimes des communards, ...), la transformation de Paris (Haussmann vient tout juste de finir son travail commandé par Napoléon III), le désir des colonies : l'empire colonial français est quasiment à son apogée, il y a donc beaucoup à faire et à prendre dans ses terres lointaines, ...
"Et si la liberté n'était finalement pas une idée, mais bel et bien un endroit..." m'a écrit Mikaël Hirsch en dédicace, c'est exactement cela que Fons et Bernard vont chercher toute leur vie au risque de passer au travers de ce qu'ils vivent au quotidien, de ne pas y trouver leur bonheur -mais est-il un endroit lui aussi ?
Je pourrais encore parler de ce roman des heures tant il est dense : 140 pages qu'il ne faut pas lire trop vite, de peur de perdre le fil mais surtout pour ne pas rater un mot -aucun n'est superflu-, une phrase ou une tournure qui, personnellement, me font un bien fou et me plaisent de plus en plus à chaque livre de Mikaël Hirsch. Un auteur à lire absolument si vous ne l'avez point déjà fait ou à relire si vous avez déjà goûté à sa prose.
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