"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Contempler les publicités qui, pendant plus d'un siècle, de la IIIe à la Ve République, ont mis en scène, sur les murs des villes et des bourgs de notre pays, les figures de proue familières de l'Histoire de France, donne spontanément le sentiment de feuilleter des souvenirs scolaires. De fait, le défilé des personnages historiques qui peuplent les supports publicitaires, affiches, étiquettes, emballages, pages de revues, s'assimile à première vue à la galerie de héros nationaux érigée dans les manuels d'autrefois, destinés à l'instruction des écoliers. Les dix dernières années du XIXe siècle et les dix premières années du XXe siècle, avant le développement du cinéma puis de la télévision, correspondent également à l'âge d'or de la publicité par voie d'affiches qui se développe parallèlement à la mise en place efficace d'une authentique dramaturgie scolaire commune désormais à tous les Français. Car, après la guerre de 1870 et la défaite de Seudan, l'esprit de revanche anime la fondation de la IIIe République et s'exprime par l'urgence de l'édification d'une mythologie nationale, avec la création d'un panthéon des grandes figures de l'Histoire de France.
Les galeries des célébrités des affiches publicitaires et celle des héros des manuels scolaires valorisent le plus souvent les mêmes personnages et partagent une égale mise en scène de l'Histoire à travers la représentation éminemment dramatisée, la similitude des formules et des attributs qui sont prêtés à nos ancêtres : les Gaulois reconnaissables à leurs braies et leurs casques à ailes, Charlemagne affublé d'une barbe fleurie alors qu'il était glabre, Du Guesclin, Jeanne d'Arc, Louis XI, François Ier accompagné de belles dames, le chevalier Bayard sans peur et sans reproche, Henri IV gascon jovial et débraillé , Jean Bart, Louis XIV hautain, auteur présumé de l'ineffable formule " l'Etat c'est moi ", Napoléon affublé d'une éternelle redingote grise et de son chapeau légendaire, probablement le favori de la réclame, sous la IIIe République.
Cependant, à la différence des manuels scolaires qui se doivent de récapituler pour leurs jeunes lecteurs l'ensemble de l'Histoire de France, les publicitaires peuvent se contenter d'instrumentaliser un nombre limité d'étoiles historiques, de sélectionner, à l'intérieur d'un très riche corpus, les personnalités les plus connues des Français. Le monde de la publicité propose une figuration spectaculaire mais volontairement épurée, aseptisée, du passé national, d'où divisions religieuses et politiques sont soigneusement bannies et où le récit en images valorise exclusivement bons mots, anecdotes grivoises et postures pittoresques. Là où les vignettes scolaires attisent les querelles, celles de la publicité doivent au contraire arrondir les angles et créer du consensus, si possible par l'humour.
La publicité ne se contente pas de recycler l'histoire pour assurer la promotion de produits de consommation courante, son propre discours est largement conditionné, tout au long du XXe siècle, par les aléas mêmes de la conjoncture historique. L'apogée de l'Empire colonial français, entre 1900 et 1940, est naturellement exploité par les affiches avec une bonne conscience qui nous heurte aujourd'hui à juste titre.
La réclame fait aussi un grand usage des célébrités politiques des années 1900-1940, les présentant dans des postures familières, voire ridicules, notamment les présidents de la République Emile Loubet (1899-1906) et Armand Fallières (1906-1913), mis en scène de manière fort peu protocolaire, en pantoufles. Durant l'Occupation, entre 1940 et 1944, il existe des campagnes de publicité sévèrement encadrées. Quant à la publicité pour des marques traditionnelles, elle n'échappe pas non plus à la récupération de la propagande de Vichy.
Pourquoi la publicité, qui, sous la Troisième République, a fait une grande " consommation " des plus éminents personnages de notre passé, a t'elle cessé d'avoir recours à eux ensuite, sauf dans la dernière décennie du XXe siècle ? Abus des figures du passé national, comme Jeanne d'Arc, notamment récupérés par le régime de Vichy ? Déplacement de l'intérêt vers les célébrités du moment, à l'ère de la société de consommation ? De fait, s'il était loisible de tourner en dérision dans les affiches, au début du XXe siècle, des figures méridionales sympathiques, mais dépourvues de toute aura, comme celles d'Emile Loubet et d'Armand Fallières, on imagine mal Charles de Gaulle et François Mitterrand, incarnations hautaines de l'exercice solitaire du pouvoir, servir de faire-valoir aux produits de la réclame. La sacralisation du pouvoir exécutif sous la Ve République ne favorise guère ces récupérations qui appartiennent à un passé révolu. La crise de Mai 68, en renversant par le mépris et l'ironie, les idoles de la société de consommation, a bouleversé de fond en comble les codes de la publicité et proposé d'autres voies pour la promotion commerciale.
Qu'en est-il de ces représentations aujourd'hui ? C'est timidement d'abord qu'à partir des années 1990, avec le retour en force du fait national à l'échelle européenne sous l'effet de la crise et de la place grandissante de la mémoire, caractérisée par l'inflation des commémorations, que tout à la fois les personnalités contemporaines et les héros nationaux redeviennent des valeurs sûres de la publicité. Jeanne d'Arc, François Ier, Louis XIV et Napoléon, par exemple, y occupent désormais de nouveau une place imposante, les candidats à l'élection présidentielle du printemps 2012, Nicolas Sarkozy, François Hollande, François Bayrou, entre autres, ont également prêté leur visage et leur nom à des opérations de dimension souvent humanitaire.
Le recyclage des héros de notre roman national est une histoire qui n'en finit pas de rebondir.
Un parcours récréatif de l'Histoire de France à travers quelque 150 images de publicités, parmi les plus spectaculaires et les plus belles, sélectionnées parmi les fonds d'affiches et de publicités de la Bibliothèque Forney, accompagnées de commentaires des images, des événements et des personnages selon le contexte de leur représentation.
L'ouvrage propose en première partie, une galerie de personnages historiques selon un ordre chronologique, depuis les Gaulois et les romains jusqu'à Napoléon et à l'Aiglon. La seconde partie du volume est consacrée à la représentation des événements et des célébrités de l'actualité contemporaine dans l'imagerie publicitaire, de la IIIe République à nos jours.
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