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" la rencontre décisive avec le jury avait eu lieu un matin de mai, avenue du général-guisan, au bord du lac léman.
Il s'agissait d'expliquer de vive voix ce qu'on imaginait écrire à partir du thème "récit de voyage". j'avais mis mon complet noir façon deutsche bank, brandi mes carnets de notes et dit que ce que je voulais, c'était partir! et, à l'occasion, rendre visite aux amies et amis vivant ailleurs, " dans le présent. ce port naturel de tous les départs" (char). je citais les gloires locales du genre, histoire de mettre immédiatement les choses au point et de respecter la hiérarchie.
Oasis interdites et usage du monde. chiffonnage de sa bribité. c'est qu'on ne s'improvise pas voyageur du jour au lendemain et je n'avais aucune philosophie pérégrine à promouvoir ou défendre. je ne serais donc pas un de ces "voyageurs qui écrivent" dont parle nicolas bouvier à propos d'ella maillart, mais bien l'un de ces écrivants en voyage, dont le maître de cologny n'attendait rien de profitable.
Tout ce que je savais, c'est que le voyage, dans ses bons jours, change tout. adieu, quotidien sédentaire, engoncé dans tes habitudes qui nous ratatinent comme des vieilles pommes oubliées à la cave quelques hivers de trop. partir, c'est renaître, se réveiller d'un sommeil dont le mouvement nous tire comme le baiser du prince la belle au bois dormant. aucun sens n'échappe à la démangeaison bienfaisante qui s'installe lorsque l'on prend la poudre d'escampette.
L'oeil se dessille, l'ouïe s'affine, l'odorat s'aiguise, le goût s'avive et le toucher se sensualise. les lassitudes de la vie deviennent indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire. l'idéation, immédiatement sensible à cette mise aux aguets généralisée, s'accélère démesurément. l'esprit n'est plus qu'engouffrement indistinct, bouillonnement fiévreux, effervescence grouillante, oú se croisent pêle-mêle curiosités, attentes, impatiences, visions en oubliances, ainsi que le souvenir d'autres départs.
A peine avais-je posé mes affaires dans ma chambre qu'elles étaient déjà recouvertes de la poussière du dehors circulatoire. une lettre de la banque m'indiquait que mon compte-voyage était vide. c'était en octobre 2003. je découpais ma carte visa, commençais à écrire les premiers jours en pologne et m'arrêtais au moment oú j'étais en train de rêver au bord de la vistule pour accompagner les enfants chez le dentiste.
En allant apporter mes films du japon à développer chez karstadt, je croisais max et antonia qui m'expliquèrent qu'ils allaient acheter du vinaigre en action. après plus d'une année privilégiée faite de voyages et de lectures, cela me remettait les pieds sur terre. mais comment boucler une boucle qui n'en est pas une ? vie qui spirale. mieux vaut parler d'aller et retour, de transit. quelques minutes plus tard, je recroisais max et antonia.
Ils avaient aussi trouvé des pâtes pour presque rien. " yves rosset.
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