"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En panne d'inspiration, un jeune auteur de BD décide de raconter le service militaire de son père dans le Sahara espagnol, à l'époque de la guerre d'Ifni qui opposa l'Espagne et le Maroc. Mais raconter cette histoire, c'est aussi raconter celle de la jeunesse de ses parents sous le franquisme, dans un monde régi par un ordre social entièrement soumis à la pression religieuse et militaire d'un État totalitaire. Une société à des années-lumière de l'Espagne d'aujourd'hui, que Jaime Martin ausculte à travers la mémoire intime de ses parents.
Entre récit historique et chronique familiale, cet ouvrage de l'auteur de "Toute la poussière du chemin" et de "Ce que le vent apporte nous plonge" au coeur des relations entre générations dans l'Espagne contemporaine.
Il est toujours temps de découvrir sur le tard de bonnes BD.
Ces « guerres silencieuses » (publication en 2013) s’inscrivent dans une trilogie et le hasard fait que ma lecture est une remontée dans le temps en ayant commencé par le 3 ème tome (celui de la génération de Jaime – l’auteur, dans les années 80 et après).
Ce deuxième opus, apporte des éclairages sur l’Espagne traditionnaliste et franquiste (des années du milieu du XX ème siècle) au travers de l’histoire des parents de Jaime : notamment sur les relations amoureuses, mais aussi sur un épisode méconnu d’une guerre contre le Maroc (de ces guerres « qui n’existent » mais qui font des morts, des blessés, des traumatisés, …).
La mobilisation comme réserviste du père de Jaime permet aussi de montrer la difficulté de ne pas être broyé, de résister à des ordres absurdes, la méchanceté de « cheffayons », la débrouille, etc… Avec le carnet que son père lui a confié, Jaime va tout d’abord mieux comprendre son père, mais aussi pouvoir développer cette BD en nous permettant de percevoir des spécificités historiques, mais aussi des thématiques universelles tant sur les sentiments que sur les guerres et les relations humaines.
C’est un ouvrage de qualité y compris avec des dessins et des colorations qui contribuent à emporter le lecteur dans cette remontée du temps.
A lire donc …
Souvent, les générations précédentes fatiguent les plus jeunes en ressassant le passé. La vie telle qu’elle a été vécue au cours d’une époque assez proche semble, pour ceux qui écoutent et débutent la leur, aussi éloignée que la préhistoire…
Jaime Martin, jeune auteur barcelonais, fatigué par les récits de son père, décide d’en savoir plus et découvre une guerre oubliée, celle que mena l’Espagne, dans le Sahara occidental, fin 1957 et dans les premiers mois de l’année suivante. Ensuite, les jeunes Espagnols furent envoyés faire leur service militaire, là-bas, à Sidi-Ifni. Précisons que ce n’est qu’en 1969 que l’Espagne rendit au Maroc cette colonie du Sahara occidental.
José Martin, dit Pepe, père de l’auteur, faisait partie de ces jeunes recrues emmenées sur le territoire africain. Il raconte les brimades, toutes les absurdités d’un conflit oublié où l’ennemi est partout et nulle part. Ses carnets de mémoire et les photos qu’il a ramenés, sont une aide précieuse pour restituer ce passé.
En même temps, Jaime Martin décrit la vie sous la dictature franquiste avec le poids des traditions et de l’église catholique. C’est la deuxième guerre menée toujours en silence, guerre intérieure qui a tant marqué ceux qui l’ont subie.
Enfin, sans ménagement pour lui-même, l’auteur décrit tout le combat qu’il doit livrer pour aboutir dans son récit. S’il s’appuie sur sa famille, ce n’est pas sans difficultés. Sa mère, Encarna, disparue depuis, joue un rôle fondamental et c’est un bel hommage que son fils lui rend.
L’album est magnifique. L’histoire est découpée en chapitres et l’auteur joue bien de la couleur. Son dessin donne des visages très expressifs qui permettent bien de ressentir toute l’absurdité de cette vie de caserne, loin de tout. Ces jeunes avaient « faim, faim de sexe », faim de liberté. Là-bas, ils avaient été « reçus à coup de pierre et ils ont été renvoyés à coup de bâton. »
« Les guerres silencieuses » mêle avec bonheur récit historique loin de l’Espagne d’aujourd’hui et chronique familiale.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
A l'instar d'Art Spiegelman, le Catalan, Jaime Martin, a choisi de traiter en bande dessinée une partie de la vie de son père, tout en évoquant celles de sa mère, de ses grands-parents. Il se met en scène, en tant que dessinateur en panne d'inspiration, trouvant dans le journal intime paternel, le thème de son prochain album. Et de mettre en scène toute sa famille ainsi que son épouse. Une véritable mise en abyme.
Espagne, 1962. « C'était comme vivre au Moyen Âge ». L'enfance modeste avec ses plaisirs simples dans un quartier de Barcelone, sans oublier les amours adolescentes, a le parfum de la nostalgie d'un âge d'or à jamais révolu. Mais cette insouciance sombre désespérément lors du service militaire à Ifni. Ancienne province d'Espagne colonisée en 1934 et située dans le sud-ouest de l'actuel Maroc, sur la côte atlantique, ce territoire a été assiégé par la tribu des Ait Baâmrane, soutenue par l'Armée de libération marocaine. La « Guerre d'Ifni » a réduit la présence espagnole comme une peau de chagrin. Bientôt, seule la ville de Sidi Ifni reste espagnole alors que tous les autres postes de l'enclave sont évacués de force. Pourtant, la même année, le gouvernement franquiste transforme Ifni en province espagnole d'outre-mer. Dans un tel contexte politique, faire son service militaire de dix-huit mois, loin de ses proches, est une épreuve. Les pénuries (nourriture, hygiène, sexe), la promiscuité, la discipline, la loi du silence, tout cela exacerbe bien vite toutes les situations, les plus pénibles comme les moins agréables. Certains épisodes sont révélateurs de ce que fut l'Espagne de Franco, un régime totalitaire qui ne prit fin qu'en 1975.
L'absence des femmes conduit certains mâles à l'obsession. Heureusement que l'aumônier remet toutes ces hormones dans le droit chemin. « Quand tu parles des femmes, pense que la Vierge Marie et ta mère sont des femmes ». La religion pèse là également de tout son poids sur la solitude de ces hommes. Un autre épisode montre toute l'hypocrisie de cette situation. Sur un coin de plage, le père de Jaime surprend deux aumôniers au bain. Ceux-ci lui interdisent de revenir en cet endroit propice « aux amours interdites » entre hommes. Mais alors que font-ils, eux, là ? Cette période de plomb est également le moment des petits actes de résistance contre la bêtise des dirigeants, l'iniquité de certaines décisions, l'inutilité de ce casernement. C'est la débrouille dans tous les domaines. Et les Marocains ? Il n'y en a guère, ou alors un vieillard, un ou deux braconniers, sans plus. Reste l'ennemi. La propagande militaire voudrait que tout Arabe le soit. En fait, ces militaires sont prisonniers d'un « Désert des Tartares » à la Dino Buzzati. Ils attendent. Pour rien.
Une autre dimension de cette petite histoire dans l'Histoire réside dans ses aspects sociologiques. A la maison, le père est omnipotent (ou du moins le croit-il), modelant ses enfants à son images. Ainsi le grand-père, n'ayant que trois filles, les transforme en garçons manqués, poussant le bouchon jusqu'à les mettre à la boxe. En fait, l'autorité familiale se faisait l'écho de celle du régime. Pourtant, la phrase ultime est prononcée par l'épouse de Jaime, dans les dernières pages : « Ton père, il est comme le reste du monde, il fait tout ce qu'il peut pour ne pas regarder en face ce qui le dérange ».
Esthétiquement, ce livre est une véritable réussite. le graphisme, très ligne claire, de Jaime Martin prend des accents réalistes dans les moments de violence, physique ou psychologique, très intense. Les couleurs sont choisies selon la période traitée. Chaque chapitre du passé baigne dans des tons acidulés, ou assourdis, selon l'atmosphère, alors que le présent respire une plus grande liberté grâce à une palette plus étendue. La mise en page présente une originalité : l'insertion de documents de famille (de vraies photographies) complète la narration et la replace dans sa substance même. Il y a bien toute une dimension esthétique transcendant cet excellent document sur les conditions de vie des Espagnols, bien avant la Movida.
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