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« Il est permis de dire : l’art, c’est la mise à l’œuvre du plaisir de désirer. Entendons : de désirer donner forme et présence à ce qui dépasse toute présence et toute forme. L’œuvre qui en résulte, à la différence d’un ouvrage technique, tend d’elle-même vers plus ou vers autre chose qu’elle-même dans sa délimitation accomplie. Toute forme d’art – musique ou cinéma, performance ou poésie, danse ou architecture – porte les signes de cette tension dont il faut redire qu’elle excède toute intention et ce désir dont le plaisir ne se laisse pas assouvir (ni, donc, assoupir). Mais il est permis de considérer que le dessin représente de manière exemplaire la dynamique ainsi caractérisée. Le dessin – ce « dessin au trait » dont Matisse affirme qu’il est « la traduction la plus directe et la plus pure de l’émotion » - n’a pas d’autre intention que le geste par lequel une tension de cet ordre cherche à tracer son élan. Le dessin peut bien avoir été considéré comme la part la plus formelle et la plus intellectuelle, la plus représentative aussi, des arts visuels ; la signification du terme (designare, désigner, montrer du doigt, présenter, mettre au jour un dessein comme le dit le français qui a dédoublé le mot et le concept, tout en gardant longtemps cette seule orthographe pour les deux) peut bien avoir suggéré une nature intellectuelle ; le dessin peut bien aussi et de manière parallèle avoir été confiné dans la position de l’esquisse, de l’essai préparatoire, du schéma linéaire subordonné à l’œuvre pleine, parachevée en ses détails, sa texture, sa pâte et ses couleurs : le dessin n’en fait pas moins valoir à toutes les époques le privilège de la forme naissante et qui se plaît à son propre élan. Car avant de dessiner au sens de marquer les contours et de reporter les traits, il s’agit d’épouser un mouvement et d’en désirer l’allure, la lancée ou la levée – la « première pensée » comme le dit une belle expression technique des historiens du dessin. C’est le plaisir de cette pensée qu’on voudrait ici faire sentir, à même les œuvres. Celles-ci ne sont pas exposées pour illustrer un propos. C’est plutôt le propos qui est né des œuvres, de leur contemplation et du plaisir qui naît de leur attrait : le trait lui-même nous attirant et nous entraînant sur sa trace dans la profondeur du visible. » J.-L. Nancy
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