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Tchouang-tseu (Zhuangzi dans la transcription moderne pinyin) fut le plus grand penseur chinois de l'antiquité (IVe siècle av. J-C. env). Il vécut dans un siècle de bruit et de fureur et il y réagit avec une égale fureur en condamnant avec des accents à la J.-J. Rousseau toute autorité, toute hiérarchie, toute vie en société. Sa critique sociale déborde le terrain politique pour déboucher, à travers une condamnation de la conscience intentionnelle et de ce qui en est le produit et le support, le langage, sur une théorie de l'être et de la connaissance.
Ces thèses, le philosophe ne les exprime pas dans des développements discursifs, mais il préfère les exposer sous forme de dialogues, d'anecdotes et de fables. Non seulement le Tchouang-tseu s'exprime par la bouche de figures allégoriques ou historiques, mais ces figures reviennent de façon récurrente, modulant comme des variations autour d'un thème qui leur est propre. Se tisse ainsi la trame d'une philosophie, en même temps qu'à la faveur des apparitions intermittentes des figures auxquelles l'auteur prête sa voix et de leurs rencontres occasionnelles, se noue, au fil des pages, un réseau de rapports mondains, à la façon des romans de Proust ou de Balzac, voire de David Lodge. C'est en ce sens qu'on peut parler d'un " petit monde ", qui est aussi au demeurant " le monde en petit ".
Les systèmes philosophiques sont tributaires des formes sous lesquelles ils sont exposés. Il n'est pas indifférent que le Tchouang-tseu privilégie le dialogue, la fable, l'anecdote, plutôt que l'exposé didactique. Toutefois les spécialistes de Tchouang-tseu et de la philosophie chinoise ont négligé, la plupart du temps, cet aspect de l'oeuvre pour ne s'attacher qu'au contenu philosophique des discours proférés comme si le mode d'expression n'avait pas en lui-même une dimension philosophique.
C'est tout au contraire la perspective adoptée par cet essai : s'intéresser aux différentes figures mises en scène dans les dialogues et à leurs rapports comme s'il s'agissait de personnages de roman ; des personnages toutefois qui ne renverraient pas à des types humains mais à des questions philosophiques. Prendre les figures du Tchouang-tseu pour des personnages de roman permet d'opérer un changement de perspective novateur. Une telle approche correspond, sur le plan de la critique textuelle, au procédé du dépaysement en art. Il s'agit de regarder l'objet non pas à bonne, mais à mauvaise distance, de l'observer " par le petit bout de la lorgnette ", en adoptant un angle de vue inhabituel voire inapproprié ; la lecture à rebours se veut un moyen de parvenir à la structure intime d'une oeuvre, en la débarrassant du voile des interprétations convenues. Le Tchouang-tseu pourrait donc se lire comme un roman picaresque dont la figure centrale serait Confucius, lequel apparaît dans 43 anecdotes, loin devant Tchouang-tseu (27) et Lao-tseu (15); héros à la fois comique et pathétique, il aurait pour fonction d'illustrer la faillite de la morale sociale lettrée, un roman qui dès lors pourrait s'intituler : " Confucius ou les tribulations d'un maître " ou mieux encore, pour pasticher le marquis de Sade: " Confucius ou les infortunes de la vertu pédagogique ". En abordant la lecture du Tchouang-tseu à la façon d'une oeuvre de fiction, le présent essai tente de restituer au Tchouang-tseu sa truculence, son insolence, sa verve iconoclaste, qui en font le prix et aussi la modernité.
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