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C'est l'automne sur la mer Noire. Un homme jardine dans le parc de sa datcha. Il ne sait pas qu'il n'a plus que trente mois à vivre. Il est l'un des puissants de ce monde, il s'appelle Staline. Danilov, jeune peintre, est convoqué pour créer une fresque en son honneur. Il découvre alors l'étrange rituel du Petit Père des peuples : tous les jours, ce dernier s'allonge sur un divan et raconte ses rêves...
« Tu te souviens ? Je t'avais promis que toi aussi, un jour, tu respirerais le parfum de Staline... »
Pour son neuvième roman, Jean-Daniel Baltassat nous emmène dans une drôle d’aventure, nous faisant partager l’intimité de Staline, trente mois avant sa mort. "Le divan de Staline" ayant été adapté au cinéma (sorti en janvier 2017) par Fanny Ardant, cela a motivé la lecture de ce roman très bien écrit.
Nous sommes à la mi-novembre 1950, d’abord dans la datcha préférée de Iossif Vissarionovitch Staline, Guide et Petit Père du Monde Nouveau. Cette datcha, avec sa « vue sur la mer scintillante est une merveille. » Pourtant, il doit quitter ce lieu enchanteur pour rejoindre, toujours en Géorgie, près de la ville de Borjomi, la villa Likani, ancien palais du grand-duc Mikhailovitch.
C’est là qu’il retrouve Lidia Semionova, la belle Vedovia, qui lui lit des pages du « Charlatan viennois » pendant qu’il s’allonge sur un divan identique à celui utilisé dans le cabinet de Sigmund Freud. Avec beaucoup de détails, l’auteur montre l’incroyable déploiement de précautions pour assurer la sécurité de Staline. Celui-ci, devant quelques témoins, affecte une immense révérence envers Lénine mais l’auteur décrit bien, un peu plus loin, tout le ressentiment qu’il éprouve.
Au même moment, nous sommes au bord d’un troisième conflit mondial avec la guerre de Corée. Chou En-Laï réclame des avions russes pour contrer les offensives américaines mais Staline dit non, ce qui ne l’empêche pas de suivre de près les opérations.
Ce séjour dans le palais Likani est destiné à présenter à Staline un projet devant le rendre éternel, projet que doit mener à bien Danilov, peintre bien en cour au contraire de Kandinsky dont « les barbouillages de fainéant de l’abstraction » ne sont pas bien vus. Ce n’est pas de l’art, pas de la peinture…
Avec un constant souci du détail, l’auteur suit Lidia qui rend visite à Danilov pour l’encourager dans son projet idolâtrant un peu plus l’homme qui dirige d’une main de fer l’Urss. Les descriptions toujours très soignées nous apprennent que « Le camarade Staline est insomniaque. Tant qu’il est debout, personne n’a le droit d’éteindre les lampes ni de se coucher. »
Les noms de ceux qui ont accompagné Staline dans ses combats reviennent mais les qualificatifs sont sans pitié :
« la vipère erratique Béria et l’obèse Malenkov… l’arrogance de Trotsky… » Puisqu’il y a un divan, Staline confie des rêves à sa compagne pour « jouer au Charlatan viennois. » Ainsi, le passé remonte à la surface avec tant d’horreurs et de souffrances. Staline s’offre même une séance de cinéma avec des films américains !
Le général Vlassik interroge Danilov sans concession. Staline lui dit ce qu’il pense de son projet en lui faisant toucher le masque mortuaire en bakélite de Lénine : « voilà le vrai monument d’éternité. Ça et la momie d’Ilitch dans son tombeau de la place Rouge. »
Après ça, il lui confie un dossier confirmant les massacres de millions de déportés et révélant une vérité terrible avec d’horribles et d’inimaginables souffrances.
La mécanique du pouvoir totalitaire a quelque chose de fascinant. Louis XIV, Napoléon, Hitler ou Staline, tous ont plusieurs traits en communs. Tous ont posé des actes politiques forts ; ils ont transformé un état en une nation incontournable. Tous ont créé un univers, un mode de vie, un courant de pensée, et même une esthétique. Mais quel que soit le soleil, jaune, rouge ou noir, il ne serait rien s’il n’y avait aucune planète pour évoluer autour de lui … sans compter les myriades d’autres satellites, tournoyant dans la galaxie politicienne.
En réalité, ce livre de Jean-Daniel Baltassat ne parle guère de Joseph Staline, le secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique. Non, c’est plutôt une galerie de portraits de ceux qui tentent de profiter de sa lumière noire. Des admirateurs, des séides, des sicaires, des arrivistes, des opportunistes, un artiste également… sans oublier, non pas une femme, mais bien LA femme, celle qui l’accompagne depuis longtemps, l’amante éternelle, l’incontournable, l’indispensable, celle qui le connaît un peu mieux que les autres membres de cet aréopage.
En 1950, Staline est un vieillard ayant perdu de sa superbe, un dictateur paranoïaque, radotant, mégalomane, l’esprit complètement embrumé par le culte de sa propre personne. Rien, n’y personne ne trouve grâce à ses yeux : ni Lénine, ni Freud, ni même le Parti (dont il devrait être l’incarnation). Par contre, Dunhill, Hollywood, les produits de luxe et autres fantaisies occidentales, décadentes et onéreuses font partie de son quotidien. Le pouvoir isole. Le pouvoir sclérose. Le pouvoir ralentit. Le pouvoir érode doucement mais sûrement.
En réalité, il ne se passe presque rien dans ce texte, mais c’est ce « presque rien» qui fait la différence. Un « presque rien » bien souvent elliptique, aux accents de nouveau roman. Un livre exigeant qui demande une attention toute particulière.
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