«J’ai 47ans. À cette heure-là, je devrais être en famille, avec mon épouse et mes enfants. Je devrais m’efforcer d’être un père aimant et un mari productif. Je devrais faire et refaire l’épreuve de ce principe que je pensais fondateur de mon existence: “Dans la vie conjugale, il est plus...
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«J’ai 47ans. À cette heure-là, je devrais être en famille, avec mon épouse et mes enfants. Je devrais m’efforcer d’être un père aimant et un mari productif. Je devrais faire et refaire l’épreuve de ce principe que je pensais fondateur de mon existence: “Dans la vie conjugale, il est plus difficile et gratifiant de construire que de déconstruire.” Je devrais l’éprouver pour me sentir mieux, conforté dans le choix d’avoir évité les tentations. Je devrais refréner mon romantisme absurde et le diluer dans ma vie de couple. Sauf que je suis ici, avec Laura, l’amour de ma vie du bled, à déconstruire je ne sais quel mystère qui s’épaissit notablement.»
S'il existe un amour qui ne meurt pas, c'est le premier. Celui qui marque la fin de l'enfance. Celui qui, comme un rite de passage, vous offre tous les possibles. À la fois creuset de tous les fantasmes et rêve d'une vie idéale. Dans son «bled» Éric a la chance de côtoyer Laura, la fille au bikini rouge qu'il croise à la piscine et dont la beauté renversante met en émoi tous ses sens.
Dans une vie idéale cet amour emporterait tout. Parce que pur et absolu. Sauf qu'Éric est timide, sauf qu'Éric n'ose pas avouer sa passion brûlante, sauf qu'Éric est un gentil garçon qui ne peut rivaliser avec une horde de jeunes mâles entreprenants. Laura, quant à elle, s'est parfaitement rendue compte de l'effet qu'elle faisait et a décidé de jouer sur ses atouts pour se choisir un bon parti. «L'héritier», le fils du riche industriel pourra lui permettre de sortir de sa condition, de se construire un avenir à la hauteur de ses espérances...
Éric Chauvier a choisi de construire son roman sur deux époques, celle de cette jeunesse où tout était encore possible et de nos jours, soit une trentaine d’années plus tard, au moment où l'amoureux transi revient dans sa région natale et y retrouve Laura. L’occasion de revisiter le passé, l’occasion aussi de mettre en perspective les rêves d’alors et la réalité d’aujourd’hui. De retracer le parcours de ses camarades de classe, ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, ceux qui se sont rangés et ceux dont on a perdu la trace.
Pour Éric, Laura est restée toujours aussi belle et désirable. Aussi accepte-t-il volontiers de la suivre quand elle lui propose une virée du côté de l'usine. L’occasion rêvée pour lui avouer son amour, peut-être même de ne plus fantasmer et de passer aux actes. Après quelques verres d'un rosé en cubi et quelques joints d'une herbe dont Laura peut s'enorgueillir d'être la productrice, la conversation se fait plus ouverte, les langues se délient.
Éric raconte comment il est parti en 1989, s’inventant «des raisons qui font diversion» pour suivre des études de philo et d'anthropologie, qu'il a trouvé un emploi, s'est marié et a eu des enfants, partageant son temps entre Paris et la banlieue de Bordeaux.
Laura dit son mal-être après le départ de «l'héritier» qui a choisi de céder aux injonctions de son père qui refusait cette mésalliance et un mariage raté auprès d'un mari violent. Elle dit sa colère et son désarroi, mais aussi l'espoir que sa fille devenue «influenceuse» réussisse là où elle a échoué.
La force de ce court roman tient dans ce choc des cultures, dans le constat amer que la vie est passée et qu'elle aurait pu être toute autre, mais aussi dans ce désir aussi fou que désespéré de remettre les choses à l'endroit. Éric Chauvier, à l’instar de Nicolas Mathieu avec Leurs enfants après eux peint la France d’aujourd’hui, celle qui s’est résolue à essayer de s’en sortir mais qui n’a plus de rêves, celle dont l’avenir semble s’obscurcir à mesure qu’elle avance. Entre nostalgie et mélancolie, c’est à la fois triste et beau.
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