"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça. Bien sûr que nous voulions un changement. Mais nous n'avions qu'une silhouette vague sur la rétine. Pas cette dame en manteau rouge, pas une révolution socialiste. C'est seulement après, bien après que, pour moi en tout cas, la silhouette s'est précisée. » Cuba, juillet 1980. En cette veille de fête nationale, Haydée Santamaría, grande figure de la Révolution, proche de Fidel Castro, plonge dans ses souvenirs. À quelques heures de son suicide, elle raconte sa jeunesse, en particulier les années 1951-1953 qui se sont conclues par l'exécution de son frère Abel, après l'échec de l'attaque de la caserne de la Moncada.
L'histoire d'Haydée nous plonge dans des événements devenus légendaires. Mais ils sont redessinés ici du point de vue d'une femme, passionnément engagée en politique, restée dans l'ombre des hommes charismatiques. Ce premier roman offre le récit intime et pudique d'une grande dame de la révolution cubaine gagnée par la lassitude et le désenchantement, au seuil de l'ultime sacrifice.
Ce roman nous emmène à l’intérieur d’un groupe de jeunes révolutionnaires sur la période 1951-1953 à Cuba. C’est un livre qui regorge d’informations, je ne connaissais pas vraiment cette période à Cuba, un écrit vraiment très intéressant.
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Au-delà du récit historique, c’est aussi l’histoire d’Haydée Santamaria qui nous est retranscrit. L’exécution de son frère qu’elle admirait et dont elle ne se remettra jamais.
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Si l’histoire de Cuba vous intéresse, ce livre est fait pour vous !
Grâce à ce premier roman, je découvre une figure féminise emblématique de la révolution cubaine largement passée sous silence à la suite de son suicide jugé contre révolutionnaire par Fidel Castro. En 1980, Haydée Santamaría se souvient de tout. Elle sait déjà que sa vie va s'arrêter là, et revit avec nous les années les plus fortes de sa jeunesse. Son amour pour son frère Abel, pour le grand Boris, pour la révolution et la lutte. Mais aussi l'amitié, les amours, les combats, les deuils.
Ce personnage que l'autrice place adroitement au seuil de sa vie a du coup assez de recul pour nous en parler avec justesse, et pas comme cela aurait pu être avec la fougue de la jeunesse ou dans la violence du feu de l'action. Dans les années 50, les jeunes idéalistes se révoltent contre la dictature de Batista, arrivé au pouvoir en 52 grâce au soutien des américains. Haydée Santamaría est issue d'un famille relativement aisée. Avec son frère Abel, ils prennent part aux réunions, aux meetings qui ont lieu souvent dans leur appartement, au réveil révolutionnaire, et même créer un journal. Si sa participation est d'avantage issue d'une envie d'être comme les autres amis de son frère, de s'intégrer dans sa bande de copains, rapidement le souci d'égalité, la passion révolutionnaire s'emparent d'Haydée.
Viennent les soirées entre amis, le longue discussions, la rencontre avec Boris, la naissance d'un amour, leur relation plus intime, la présentation du fiancé aux parents circonspects.
Viennent surtout les préparatifs de l'attaque de la caserne de la Moncada à Santiago de Cuba, pour lesquels elle a une tache importante à accomplir.
Mais ce 26 juillet 1953 marque d'une pierre noire le destin d'Haydée, lorsque certain hommes sont arrêtés, torturés, exécutés. Boris et Abel seront de ceux-là.
C'est une femme meurtrie, amère, blasée, qui se retourne sur son passé et sa jeunesse au seuil de la mort. Les années ont passé, et malgré la vie qu'elle a eu depuis, les blessures ouvertes en 1953 ne se sont jamais refermées, et occupent toute la place en cette année 1980.
https://domiclire.wordpress.com/2022/12/26/laissez-moi-vous-rejoindre-amina-damerdji/
«La patrie ou la mort»
Dans un premier roman de bruit et de fureur, Amina Damerdji retrace les jours qui ont conduit Haydée Santamaria, une des rares femmes à mener la lutte, jusqu'à la révolution cubaine. Un récit documenté et émouvant.
«Je suis la camarade Haydée Santamaria, l'héroïne de la Moncada, la dirigeante politique, la seule femme qui a sa place au Comité central, et ce soir, je vous le promets, avant votre disparition, je vous raconterai tout.» Nous sommes à Cuba au début des années cinquante. Il n'est pas encore question de révolution, mais déjà d'engagement politique. La jeunesse et surtout les étudiants s'emparent d'idées nouvelles, cherchent une voie pour un pays que beaucoup voient à la botte des États-Unis, sous le joug de grands propriétaires terriens, sans autres perspectives que la corruption ou encore la prostitution.
C'est dans cette ambiance bouillonnante que Haydée va s'impliquer toujours davantage dans la lutte, même si au début elle suivait plus son frère Abel et cherchait d'abord l'évasion aux côtés de ses amis en allant danser tout en enfilant les cuba libre. Ses préoccupations tenaient alors davantage à la façon de s'habiller, de se faire belle - elle qui se voyait moche - et de ne pas se voir exclue du groupe. Jusqu'à ce que l'amour s'en mêle. Alors, avec Boris, l'employé de Frigidaire, elle va non seulement trouver un mari mais concrétiser leur projet commun, fonder un journal. Tiré à 500 exemplaires dans des conditions artisanales, cet organe de presse aura l'heur de plaire aux frères Castro, Raul et Fidel, qui déjà cherchent le moyen de rassembler le peuple contre la dictature qui s'installe. «Fidel, exultant, a plongé deux doigts sous sa chemise et s'est caressé le torse. Il ignorait quand, il ignorait comment, mais les Cubains finiraient par craquer, par exprimer leur rage. Notre travail, notre tâche politique, historique soulignait-il, était d'être prêts. D'appuyer. D'organiser. D'éviter le bain de sang et de renvoyer Batista en Amérique.» Haydée va alors raconter ces jours qui vont mener à la révolution, à ce 26 juillet qui deviendra par la suite jour de fête nationale. Une date glorieuse pour le pays, tragique pour elle.
L'habile construction proposée par Amina Damerdji, qui situe la confession d'Haydée le 26 juillet 1980, soit bien des années après les événements, lui permet tout à la fois d'avoir le recul nécessaire pour analyser les faits et montrer combien les plaies ouvertes à ce moment sont restées vives. Et que dans l'envolée lyrique de Che Guevara devenue le slogan de cette révolution, «la patrie ou la mort», on peut choisir la seconde proposition et oublier la patrie.
https://bit.ly/3ewx572
Ce premier roman a le grand mérite de mettre en lumière une femme à la trajectoire politique singulière, finalement méconnue, son suicide - jugé contre-révolutionnaire - l'ayant éjecté du panthéon des héros cubains. Haydée Santamaria a pourtant été, avec Melba Hernandez, une des rares femmes à être aux côtés de Fidel Castro dès le départ, elle a même, exercé le pouvoir au comité central communiste cubain et fondé la très influente institution littéraire La Casa de las Americas.
Amina Damerdji a choisi de se concentrer sur la période 1951-1953 de la vie d'Haydée Santamaria, c'est-à-dire sur les prémisses de la Révolution cubaine. Dans ce roman sur l'engagement, elle retranscrit parfaitement toute la vitalité et l'élan d'une jeunesse cubaine idéaliste qui se construit dans la lutte contre la dictature instauré par Fulgencio Batista après son coup d'état de 1952 accompli avec le soutien de la CIA. Les descriptions de l'effervescences de la Havane comme de la misère des campagnes sucrières, très vivantes et sonnent justes.
On y suit la transformation profonde d'une jeune femme issue d'un milieu favorisé qui va s'engager passionnément dans la lutte armée, son éveil au militantisme, sa révolte contre les inégalités sociales qui rongent son pays et la corruption du régime Batista. L'émergence du désir révolutionnaire est très bien restitué, d'abord timide, né de préoccupations futiles ( admiration pour son frère, faire partie d'une bande avec ses histoires amicales et amoureuses ) avant de se fortifier au point de prendre les armes lors de l'attaque de la caserne de la Moncada à Santiago de Cuba. Ce 26 juillet 1953 est le déclenchement de la révolution cubaine, un échec avant la prise de pouvoir en 1959, de nombreux guérilleros sont arrêtés, torturés et assassinés ( dont le frère et le fiancé de la jeune femme )
Si toute la restitution de cette épopée est excellente, je suis moins convaincue par la narration du roman, construit comme une adresse d'Haydée Santamaria dans son appartement de la Havane au seuil de son suicide en 1980. Les chapitres alternent ainsi deux temporalités : celui du présent et celui des souvenirs qui filent de 1951 à 1953. L'idée de confronter la jeune Haydée guérillera passionnaria et celle de 56 ans pleine de dépit et de désillusion à l'heure de l'exode de Mariel qui vit près de 125.000 Cubains s'exiler en Floride après avoir reçu l'asile politique aux Etats-Unis. Terrible de passer sa vie à bâtir un Etat que les gens ne pensent qu'à fuir.
Mais l'ellipse temporelle est trop ample pour être bien maitrisée, quelques repères chronologiques à la fin du roman aurait été bienvenus. Il manque beaucoup trop d'éléments au lecteur pour parvenir à relier correctement ces deux périodes. Au final, cela donne un roman très intéressant par son sujet mais trop lisse, trop sage. le récit manque de cette folie nécessaire pour emporter dans le tourbillon de la vie de cette héroïne passionnante emplie de tourments et d'ambiguïtés qu'on ne fait qu'effleurer dans les explorer avec dans toute leur complexité et leur intensité.
La vie quotidienne dans un petit village cubain au milieu des cannes à sucre, la lutte armée, la férocité de la répression, les amours, les trahisons... : Amina Damerdji use d’une plume alerte et sensible pour évoquer la petite et la grande histoire qui se mêlent dans cette biographie romancée de la mythique révolutionnaire cubaine Haydée Santamaría, seule femme à avoir accédé au Comité central et amie de tous les grands personnages qui ont contribué à libérer Cuba de la tutelle américaine.
Le récit est plein de fougue et de nostalgie pour faire parler cette femme qui ne s’est jamais remise de la mort sous ses yeux de ceux qu’elle a aimé et qui, au soir de sa vie, s’interroge sur le tour pris par la Révolution, ses compatriotes cubains fuyant toujours plus nombreux vers les Etats-Unis.
Un bel exercice d’écriture, où le travail du temps et de ce qu’il fait aux espoirs et aux illusions est remarquablement mis en mots.
Lu dans le cadre des 68 premières fois, ce livre voyage auprès des lecteurs/lectrices engagé.e.s dans l'aventure
Pónganle a la suicida una hoja en la sien,
una siempreviva en el hueco del cuello.
Cúbranla con flores, como a Ofelia.
Los que la amaron se han quedado huérfanos.
Cúbranla con la ternura de las lágrimas.
Vuélvanse rocío que refresque su duelo.
Y si la piedad de las flores no bastase
díganle al oído que todo ha sido un sueño.
Ríndanle honores como a una valiente
que perdió sólo su última batalla.
No se quede en su hora inconsolable.
Sus hechos, no vayan al olvido de la yerba.
Que sean recogidos, uno a uno,
allí donde la luz no olvida a sus guerreros.
Ríndanle honores como a una valiente
que perdió sólo su última batalla.
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Mettez une feuille sur la tempe de la suicidée,
une immortelle au creux de son cou.
Couvrez-la de fleurs, comme Ophélie.
Ceux qui l'aimaient sont devenus orphelins.
Couvrez-la de la tendresse des larmes.
Devenez la rosée qui rafraîchit son deuil.
Et si la pitié des fleurs ne suffit pas
dites-lui à l'oreille que ce n'était qu'un rêve.
Honorez-la comme une femme courageuse
qui n'a perdu que sa dernière bataille.
Ne la laissez pas dans son heure inconsolable.
Que ses actes ne tombent pas dans l'oubli des mauvaises herbes.
Qu'ils soient rassemblés, un par un,
où la lumière n'oublie pas ses guerriers.
Honorez-la comme une femme courageuse
qui n'a perdu que sa dernière bataille.
En la muerte de una heroína de la patria (1980), poème écrit par Fina García Marruz, en hommage à Haydée Santamaría et ma traduction
❝Je suis la camarade Haydée Santamaría, l’héroïne de la Moncada, la dirigeante politique, la seule femme qui a sa place au Comité central, et ce soir, je vous le promets, avant votre disparition, je vous raconterai tout. Puis, quand vous vous serez évanouis à l’horizon, quand vous ne serez même plus un point entre le soleil levant et l’eau, moi aussi je partirai. J’enroulerai un torchon autour du canon du pistolet et je déguerpirai comme vous. Discrètement. On me retrouvera dans quelques jours. Je ne serai pas belle. Mais peu importe. Il n’y aura pas de photographies ni de funérailles officielles. La Révolution interdit les suicides. Comme toute forme de départ.❞
Construit sur deux temporalités, les années 1951-1953 d’une part et les années 1980 en ce jour de fête nationale d’autre part, le premier roman d’Amina Damerdji, Laissez-moi vous rejoindre, est le récit intime, raconté par elle-même, d’Haydée Santamaría, compañera de la première heure des frères Castro, au moment du coup d’État (10 mars 1952) par le général Fulgencio Batista soutenu par les États-Unis.
Ce roman retrace la trajectoire inédite d’une femme que l’histoire n’a que peu retenue.
❝Une femme, cela passe inaperçu.❞
Je note au passage l'ironie de ce double-sens.
Haydée Santamaría est une femme de conviction, lucide sur qui elle est, sur ce qu'elle veut et ce qu'elle est capable d'entreprendre pour y parvenir.
❝Je déteste raconter des histoires. […] Je ne cherche pas à attirer la pitié. Je sais que pour beaucoup, je resterai cette dirigeante au cœur sec, capable d’expulser d’un battement de cils, et pour un mot de travers, un des meilleurs poètes d’Amérique.❞ (Il s’agit d’Allen Ginsberg invité au jury du prix de poésie 1965 de La Casa de las Americas fondée par Haydée Santamaría.)
Nous l’écoutons livrer tout ce qui fait une vie, alors qu’elle égrène ses souvenirs, de la genèse de ses engagements dans la révolution cubaine au début des années 1950 à son suicide à La Havane en juillet 1980, point à partir duquel « je » remonte le temps.
En 1951, Haydée, née en 1922, va avoir trente ans. Fille aînée d’une famille relativement aisée, elle vit avec son jeune frère, Abel, à Encrucijada, carrefour de la province de Villa Clara. Joaquina, sa mère, la voit déjà mariée à un beau parti et entourée d'une ribambelle d'enfants, mais Haydée, si elle ne sait pas encore ce qu'elle veut, sait ce qu'elle ne veut pas. Comment pourrait-elle se satisfaire de la vie oisive que lui dessine Joaquina quand elle voit la misère des travailleurs dans les champs de canne à sucre de cette région de l’île et les mauvais traitements que les propriétaires leur infligent. Le départ de son frère adoré la décide à se battre elle aussi contre la pauvreté et l’injustice, et à gagner La Havane.
Amina Damerdji donne à voir et à comprendre ce qui meut cette jeune femme, en mêlant souvenirs intimes et engagement pour un idéal, de son émancipation loin de sa famille à son éveil politique au moment du suicide d'Eduardo Chibas, chef du parti du Peuple ; de ses années au sein des jeunesses du Parti orthodoxe de Roberto Agramonte aux côtés de son amant Boris et d’Abel à l’éclosion d’une militante obstinée.
❝— Abel, je peux te poser une question ? […] Pourquoi le Parti du peuple cubain a-t-il deux noms ?
— Tu veux dire, pourquoi l’appelle-t-on aussi Parti orthodoxe ?
— Oui.
Il a ri.
— Parce que nous sommes des purs !❞
Si Haydée écoute et enregistre, elle sait aussi agir et plusieurs événements vont la conduire, elle et son amie Melba Hernández, seules femmes aux côtés de 150 hommes dont Fidel Castro, à participer à l’attaque de la caserne militaire de la Moncada à Santiago-de-Cuba en vue de renverser le dictateur Batista. L’échec sera cuisant, ses conséquences, terribles. Beaucoup mourront, d’autres dont elles deux seront retenus prisonniers plusieurs mois, Abel et Boris seront torturés et mutilés avant d’être exécutés. Ce 26 juillet 1953 restera comme le premier jour de la rébellion nationale qui aboutira à la création du Mouvement du 26-juillet (M-26) et, six ans plus tard, à la révolution de 1959.
Amina Damerdji en choisissant de faire d’Haydée la narratrice de son histoire nous place au plus près de ces jeunes gens qui voulaient changer la société, galvanisés par :
❝Rendez, rendez, rendez Cuba à son peuple ! Rendez, rendez-nous notre pays !❞
En choisissant la narration à la première personne, l'autrice nous installe au cœur de leur intimité. Nous sommes dans cet appartement obscurci par la fumée des cigares et lourd des vapeurs d’alcool. Nous goûtons un moment de calme au bord de l’océan et le jus de noix de coco. Nous entendons les klaxons et les réclames des marchands de rue de La Havane. Nous assistons aux réunions clandestines de cette bande d’amis, bien sûr nous sommes là le jour où Fidel présente le projet de son frère Raúl, un journal intitulé Son los mismos qui, s'inspirant du J'accuse de Zola, deviendra rapidement El Acusador. Nous sommes là aussi quand Haydée se rend chez la santera dans La Vieille Havane.
Ça vit, ça palpite, l’atmosphère bouillonnante de l’époque est puissamment restituée grâce au souffle romanesque de l'écriture, au dosage minutieux entre passages narratifs immersifs qui empestent le cigare et la sueur, exhalent le vin blanc de jerez, le rhum, le daïquiri parfois tempérés par le parfum doux de la rose ou du thym, gargouillent d’estomacs affamés, et dialogues où s’incarnent les doutes, les interrogations, les actes de bravoure comme les petites ou moins petites lâchetés, les épreuves personnelles et collectives, la douleur sacrificielle de blessures gravées dans la chair et que le temps ne saurait guérir. Renoncer n'est pas envisageable.
De Cuba, je savais ce que nous savons tous (le débarquement de la baie des Cochons en 1961, la crise des missiles un an et demi plus tard) et la plupart des événements relatés m’étaient étrangers. Ils forment un récit épique où la vie et la mort sont profondément liées dans une effervescence qui, pour une fois, est racontée du point de vue d’une femme mélancolique en deuil de ceux qu’elle aimait et, peut-être, de son idéal romantique.
❝N’oubliez pas que ces hommes que notre jeunesse découvre dans ses manuels, moi, je les ai aimés.❞
1980 est l’année de la désillusion. Depuis la fenêtre de son appartement plongé dans la pénombre, Haydée voit les embarcations prendre la mer.
❝Je vous vois ! Quatre hommes se glissent dans une barque. Elle se brisera. Elle éclatera en morceaux contre une vague, dans quelques kilomètres à peine, bien avant que vous n’aperceviez la terre américaine.❞
Ils sont nombreux - plusieurs dizaines de milliers - à tenter leur chance au péril de leur vie pour un ailleurs qu'ils espèrent meilleur sous les yeux de celle qui s’est battue pour eux et se dit peut-être à quoi bon.
Ce soir du 28 juillet 1980 est celui ❝des souvenirs [qui] gonflés par [le] silence éclatent dans le noir❞. L'obscurité est toujours propice à recueillir les confessions. Armando, avec qui elle a eu une fille et un garçon, a laissé une enveloppe avant de la quitter. Parti lui aussi. La voilà seule à regarder disparaître ce/ceux qu’elle aime, ce en quoi elle a cru et pour quoi elle s'est battue. Laissez-moi vous rejoindre. Qui Haydée implore-t-elle ? Ses chers fantômes ? Les Cubains qui fuient la dictature et la chasse aux sorcières ? Son geste ultime est-il une critique implicite des dérives du régime cubain par une femme qui ne connaissait pas la compromission ?
Je suis souvent très réservée quant au choix que font les auteurs de jouer sur deux temporalités. J'ai toujours la crainte que ce parti-pris narratif, au demeurant de plus en plus fréquent, ne soit qu’un effet de mode et que tout cela ne soit mû que par le désir d'être dans l'air du temps. Ici, je dois bien dire qu'il n’y avait pas mieux pour rendre compte de l’engagement d’une jeunesse portée par ses idéaux, et du désenchantement de l’âge mûr, pour écrire dignement ce que cette femme déchirée avait à léguer. Convaincant.
Lu dans le cadre de la sélection 2022 des #68premieresfois
https://www.calliope-petrichor.fr/2022/05/10/laissez-moi-vous-rejoindre-amina-damerdji-gallimard/
J’ai littéralement dévoré ce roman ! Merci aux fées des 68 premières fois d’avoir mis ce premier roman sur ma route que j’avais loupé lors de la rentrée littéraire 2021.
Amina Damerdji brosse le portrait d’une femme, Haydée Santamaria, « grande figure de la Révolution, proche de Fidel Castro ». Au seuil de sa vie, en 1980, elle se replonge dans ses souvenirs. D’abord en 1951, elle a 30 ans et elle habite encore chez ses parents. Sa mère essaye de la marier à un bon parti d’Encrucijada. Mais comme le projet de sa mère n’a pas abouti, elle part à la capitale rejoindre Abel, son frère adoré. Loin de sa mère elle va enfin pouvoir s’émanciper, s’épanouir. Elle fait la connaissance des amis d’Abel qui sont également des camarades de son parti politique. Petit à petit, au fil des discussions, elle va aussi s’engager et oser donner son avis. A la capitale, elle trouvera un emploi et aussi l’amour. La scène de demande en mariage au restaurant avec la mère d’Haydée est très drôle.
J’ai ressenti la chaleur de Cuba, la passion de ces jeunes révolutionnaires et je me suis prise d’affection pour Haydée, Abel, Melba, Boris, etc. Le titre fait référence aux dernières lignes du roman, très touchantes.
L’autrice se concentre sur les premières années de l’engagement d’Haydée. Le lecteur ne connaîtra pas toute la vie de cette femme. A la fin du roman, j’ai eu envie d’en savoir plus et de me renseigner sur elle. Bref une héroïne que j’ai eu du mal à quitter. Le récit est intime, écrit à la première personne. Haydée livre ses sentiments, se confesse en quelque sorte.
Je lis très peu de romans historiques et cette biographie romancée m’a permis d’en apprendre beaucoup sur cette période de l’histoire de Cuba, d’assister aux prémices d’une révolution avec les doutes et les choix d’Haydée
Amina Damerdji nous livre ici la biographie romancée de la révolutionnaire cubaine, Haydée Santamaria (1922-1980).
L’auteur lui donne la parole en ce 28 juillet 1980, à 58 ans, juste avant qu'elle se suicide ; elle remonte le fil de ses souvenirs jusqu’à l’année 1951, à presque 30 ans, où elle décida de quitter ses parents chez lesquels elle vivait pour rejoindre son frère chéri, Abel. Elle mêle souvenirs intimes et de la lutte révolutionnaire. C’est par admiration pour son frère qu’elle commence à militer à ses côtés au sein des jeunesses du Parti Orthodoxe. Elle n’a pas vraiment de conscience politique à cette époque, est mal dans sa peau, peu sûre d’elle. Elle prend petit à petit de l’assurance au sein du groupe qui entoure son frère et où elle rencontre son grand amour, Boris.
En 1952, le coup d’état de Batista réveille la colère des jeunes et le groupe devient le fer de lance de la lutte organisée par Fidel Castro et son frère Raul. Le frère d'Haydée et ses amis créent alors et diffusent le journal politique « Son los mismos » dont le titre pas assez percutant, sera remplacé par « El Acusador ». Le 26 juillet 1953, Fidel Castro lance l’attaque de la caserne de la Moncada à Santiago qui est un échec. Haydée et une amie du groupe sont emprisonnées pendant sept mois mais Abel et Boris sont fusillés après avoir été torturés. Elle ne s’en remettra jamais.
Amina Damerdji a choisi de limiter son propos à la courte mais intense période 1951-1953 qui correspond à l’éveil politique et personnel d’Haydée mais aussi à la blessure qui ne guérira jamais de la perte des deux hommes qu’elle aimait le plus.
Ce roman nous permet de vivre de l’intérieur la genèse du mouvement révolutionnaire cubain et les premiers pas de ces jeunes qui voulaient changer la société et se battre pour la liberté. Dans la bouche d’Haydée, se dessinent les doutes, les interrogations, les jalousies, les lâchetés, les courages des militants individuels. A aucun moment, elle ne tente d'idéaliser, d'enjoliver, d'omettre ce qui peut entacher l'image de la révolution et de ses combattants. Elle nous fait découvrir les prémisses de la révolution cubaine que je ne connaissais pas et des militants importants que la personnalité écrasante de Fidel Castro a rejetés dans l’ombre. C’est un hommage vibrant à tous ceux qui ont permis à Cuba de se libérer du joug d’un dictateur.
Mais ce roman est aussi la biographie d’une femme engagée, qui a aimé et souffert et dont le combat est sorti renforcé des terribles épreuves qu’elle a subies. L’auteure nous la rend proche en mêlant habilement faits historiques et dialogues romancés. Elle nous fait ressentir la souffrance d’une sœur aimante et d’une femme amoureuse, la grande lassitude devant une vie qui ne présente plus d’intérêt et un combat dont l’aboutissement amer se résume à la fuite des Cubains vers des cieux plus cléments.
Amina Damerdji a éveillé ma curiosité sur cette femme et je me suis documentée plus avant sur Haydée Santamaria ; après sa sortie de prison, elle rejoint la direction du Mouvement du 26 juillet connu sous le nom M-26, elle crée en 1958, un peloton composé uniquement de femmes. Contrainte de s’exiler, elle a organisé les soutiens extérieurs du mouvement. Elle est rentrée à Cuba après la fuite de Batista en 1959 ; elle a, entre autres, fondé le centre culturel « La Casa de las Americas » et participé à la fondation du Parti communiste. Après son suicide, le 28 juillet 1980, aucun hommage officiel ne lui a été rendu car le suicide était « incompatible avec les valeurs révolutionnaires ».
J’ai un peu regretté que l’auteure ait semé quelques informations sur ce qu’était devenue politiquement Haydée après le 26 juillet 1953 mais pratiquement aucune sur sa vie de femme ; son mari, Amando, est mentionné très rapidement et rien sur ses deux enfants.
Une belle découverte de cette grande dame, féministe convaincue, à qui l’auteure redonne, par son roman, une place méritée au panthéon des femmes qui ont marqué l’histoire de leur pays.
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