"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Décor : Camp de concentration Kat Zet I en Pologne.
Personnages : Paul Doll, le Commandant ; bouffon vaniteux, lubrique, assoiffé d'alcool et de mort. Hannah Doll, l'épouse ; canon de beauté aryen, mère de jumelles, un brin rebelle. Angelus Thomsen, l'officier SS, arriviste notoire, bellâtre, coureur de jupons. Smulz, le chef du Sonderkommando ; homme le plus triste du monde.
Comment explorer à nouveau une des périodes les plus sombres de l'histoire sans reprendre les mots des autres ? Comment oser un autre ton, un regard plus oblique ? Avec ce marivaudage aux allures de Monty Python en plein système concentrationnaire, Martin Amis prend le risque. Une manière de caricaturer le mécanisme de l'horreur pour le rendre plus insoutenable encore.
Amis affronte l'inexplicable. Eric Neuhoff, Le Figaro littéraire.
Le livre d'Amis nous montre des hommes médiocres qui, de leurs petits bras, permettent à la Shoah d'avoir lieu. Oriane Jeancourt Galignani, Transfuge.
Le film de Jonathan Glazer ayant eté, pour moi comme pour beaucoup d’autres, une expérience étrange, je me suis dit que je pourrais lire le roman de Martin Amis pour essayer d’appréhender ce que je n’avais peut-être pas compris devant l’écran. Peine perdue car le film et le livre sont (très) différents. Au travers de 3 personnages, sur une période de 1941 à 1950 environ, Martin Amis dresse trois portraits de personnes prises dans le tourment de la seconde Guerre Mondiale, tous coupables à des degrés divers, de prendre part à la « Solution Finale ». Le roman est divisé en grosses parties et à chaque fois, les trois protagonistes interviennent, toujours dans le même ordre. D’abord il y a Angélus Thomsen, un bellâtre très soucieux de lui-même, de sa propre réussite et de son succès auprès de la gente féminine. Boursouflé d’orgueil, prêt à trahir ou à contourner toutes les règles pour peu que cela serve ses intérêts, ce neveu du funeste Martin Bormann tombe amoureux d’Hannah Doll, la plantureuse épouse du chef du camp de concentration. Les deux entament une sorte de marivaudage surréaliste, à deux pas des murs d’un camp d’extermination. Le deuxième personnage est Paul Doll, le directeur du camp. Alcoolique, cruel et versatile, nazi zélé et convaincu, Paul Doll est soucieux de bien faire son travail et semble obnubilé par les détails techniques de son œuvre : les commandes, le fonctionnement technique des fours et des chambres à gaz, la taille des convois, le traitement des objets (ou des dents en or, ou des prothèses…) récupérées sur les malheureux qu’il envoie à la mort sans sourcilier, il a totalement déhumanisé son travail. Le dernier protagoniste est un Sonderkommando, le triste Szmul, qui amène à la mort ses coreligionnaires, ses compatriotes, ses amis et même sa famille tout en sachant que son sort est de toute façon scellé. Le seul à avoir conscience de ce qu’il fait, le seul à être tourmenté par sa propre culpabilité. A part lui, tous les protagonistes de ce roman sont veules, pathétiques, cruels ou minables. Martin Amis montre, grâce à eux, que le nazisme est d’abord le triomphe de la médiocrité. Le style de l’auteur est particulier avec des partis pris déroutants : les pontes nazis ne sont quasiment jamais cités autrement que par des sobriquets infamants, certains mots sont en allemands sans traduction (les morts du corps, les mots du sexe), Doll ponctue ses phrases de « Ne » ou de « Nich » à tout bout de champ, comme un tic de langage. C’est peu dire que dans sa forme, le livre est déroutant, parfois un peu difficile à lire. Sur le fond, on est perpétuellement sur le fil entre le malaise et la fascination pour la bêtise abyssale portée au pouvoir. Je ne sais pas si cette lecture est pour tout le monde, Martin Amis prend un risque inouï en traitant la Shoah de cette façon, en jetant la lumière sur la médiocrité banale des bourreaux et sans jamais (ou presque) évoquer les victimes. C’est un roman étrange, forcément dérangeant, à réserver à un public avertit.
L'auteur nous plonge dans l'univers des camps de concentration en embrassant trois points de vue le commandant du camp, un officier nazi et un sonderkommando. L'auteur propose de nous décrire l'univers concentrationnaire de manière déjantée. Je trouve que Amis nous plonge bien dans l'horreur des camps. Néanmoins, il est difficile d'entrer dans l'histoire de part le lexique allemand qu'il utilise! Un peu hermétique je trouve. Mais passé cet obstacle, je me suis laissée embarquée par certains personnages tel le sonderkommando qui survit et nous raconte un peu du quotidien dans lequel il surnage. Le commandant du camp est affligeant de bêtises. Un roman inégal mais avec des fulgurances notamment dans la manière de nous présenter la manière de rester humain dans cette horreur.
En guise d’introduction, il n’est pas inutile de rappeler que la parution de ce vingtième roman de l’un des romanciers Anglais les plus adulés dans son pays a failli ne pas se faire, Gallimard – son éditeur traditionnel – ayant refusé l’ouvrage. C’est finalement Calmann-Lévy qui a accepté de proposer cette version française. Un choix judicieux à mon sens, même si cette une satire située dans un camp de concentration n’est pas d’un abord très facile. Le choix de parsemer le texte de nombreux mots allemands ne facilite pas la lecture, pas plus que la construction qui donne tour à tour la parole aux principaux protagonistes. Je vois d’abord l’intérêt de La zone d’intérêt, au-delà de la polémique sur son bien-fondé et ses qualités littéraires, dans la psychologie des personnages, leurs réflexions et leur quotidien. Car il ne s’agit plus ici de témoigner de l’horreur, mais de vivre la chose du point de vue des exécuteurs de ces basses œuvres.
Loin des Bienveillantes, on passe ici de l’incongru à la cruauté la plus extrême, de la froideur administrative à une romance très fleur bleue. Le choc que provoque cette confrontation donne mieux que des dizaines d’études et d’analyses historiques, l’image de la terrifiante réalité.
Prenons, pour ouvrir ce bal funeste, l’échange de correspondance entre le commandant du camp, Paul Doll, et la filiale d’IG Farben, chargé de la mise au point et de la fourniture du gaz pour les chambres de la mort. Dans son jargon administratif, la lettre qui suit prouve combien les juifs n’étaient plus considérés comme des humains, mais comme de la marchandise : « Très estimé commandant,
Le transport de 150 éléments féminins nous est parvenu en bonne condition. Cependant, nous n’avons pas réussi à obtenir des résultats concluants dans la mesure où ils ont succombé aux expériences. Nous vous demandons donc de nous renvoyer la même quantité au même tarif. »
Si le commandant hésite à répondre positivement à cette demande, ce n’est pas pour des raisons d’état d’âme, mais parce qu’il est pris entre le marteau et l’enclume : «D’un côté le Quartier Général de l’Administration Économique ne cesse de me harceler pour que je m’évertue à grossir les rangs de la main d’œuvre (destinée aux usines de munitions) ; de l’autre, le Département Central de la la Sécurité du Reich réclame l’élimination d’un nombre maximal d’évacués, pour d’évidentes raisons d’autodéfense (les Israélites constituant une 5e colonne de proportions intolérables). »
Szmul, le chef du Sonderkommando et ses hommes – les sonders – vont encore un peu plus loin dans l’abjection. Pour eux, il faut que « les choses se passent le mieux possible et vite, parce qu’ils ont hâte de fouiller dans les vêtements abandonnés et de renifler tout ce qu’il pourrait y avoir à boire ou à fumer. Voire à manger.» Puis « Ils accomplissent leurs tâches immondes avec l’indifférence la plus abrutie. » en arrachant les alliances et les boucles d’oreille ainsi que les dents en or, cisaillant les chevelures, broyant les cendres avant de les disperser dans la Vistule.
Alors que les uns dépérissent et meurent, les autres s’empiffrent, se divertissent et tombent amoureux.
L’officier SS Angelus Thomsen a, par exemple, jeté son dévolu sur Hannah, la femme de Doll, qu’il trouve trop belle pour son chef. A l’ombre des baraquements de la solution finale et dans l’odeur infeste des fours crématoires, il compte fleurette…
Apparemment, il n’y a pour lui aucune contradiction entre sa mission d’extermination et ses sentiments : «…liquider des vieillards et des enfants requiert d’autres forces et vertus : radicalisme, fanatisme, implacabilité, sévérité, dureté, froideur, impitoyabilité, und so weiter. Après tout (comme je me le dis souvent), il faut bien que quelqu’un se charge de la besogne. »
Hannah, qui ne supporte plus guère son mari, prend cette initiative pour une distraction bienvenue, même si elle pense qu’il lui faut tenir son rang et ne pas donner un mauvais exemple à ces deux filles.
La soif de conquête prendra-t-elle le pas sur la morale ? On comprend la dimension symbolique de cette question et on laissera le lecteur se faire son opinion.
http://urlz.fr/2WOy
Un camp de la mort en Silésie pendant la seconde guerre mondiale. Il y a ceux qui meurent, sans sommation parce qu’ils sont juifs, communistes, homosexuels, handicapés, tous déportés identifiés pour être exterminés ou soumis à des expériences dignes de la plus morbide des sciences-fictions. Et il y a ceux qui vivent. Officiers nazis, leurs épouses et leurs enfants, les habitants périphériques et privilégiés de l’enfer.
Martin Amis a choisit délibérément de bâtir son récit à travers le prisme des vivants. Ce choix de décrire au quotidien les facéties, les histoires passionnelles, salasses ou insipides de ce petit monde préservé met d’autant plus l’accent sur l’horreur banale. Celle décrite par Hanna Arendt, ce mal qui se loge partout dans la plus horrible normalité.
Bien sur certains lecteurs pourront penser que l’on ne peut pas parler de tout et rendre absurde une situation aussi extrême. Mais ce que l’on ne pourra pas reprocher à Martin Amis avec ce roman, c’est de faire vivre au lecteur l’expérience des camps d’extermination (Voir « La liste de Schindler » ou « Le fils de Saul ») mais au contraire d’en démontrer l’horreur par le bourreau. Remarquablement intelligent.
La zone d'intérêt est un roman provocateur et qui déborde d'humour noir. Le récit alterne quatre voix, celles de trois hommes et d'une femme, qui ont en commun de vivre dans un même périmètre géographique, à proximité d'un camp de la mort, durant la seconde guerre mondiale. L'intrigue mêle les vicissitudes des uns et des autres, qui abasourdissent de par leur frivolité, eu égard à l'horreur que ces protagonistes côtoient. L'auteur joue de ce décalage, et n'hésite pas à tourner en dérision certains de ses personnages en accentuant leurs traits.
Un roman insolite et honteusement drôle!
Ma critique complète est ici : http://viederomanthe.blogspot.fr/2015/10/la-zone-dinteret-martin-amis.html
Bien. Ca faisait longtemps que je n'avais pas eu envie de balancer un bouquin aux orties. De l'abandonner avant la fin. Je mets un point d'honneur à terminer tout ce que je lis, ne serait-ce parce que, parfois, une belle fin rattrape bien des dégâts.
Ce n'est pas le point de vue "décalé", délibérement provocateur choisi par Martin Amis pour traiter du sujet de la Shoah, et en particulier de la vie à l'intérieur d'un camp de concentration du point de vue de bourreaux titillés par des affaires de coeur ou de libido, qui m'a dérangée. Tenter une sorte de Vaudeville intra camp, donc sous un angle forcément grinçant à 200 %, dès l'instant qu'en dessous il dénonce, témoigne, et surtout donne à réfléchir, pourquoi pas, on pourrait même dire que c'est courageux, et je veux bien être déstabilisée lorsque c'est fait avec talent.
Sauf que, tout simplement, c'est illisible, c'est incompréhensible. Au début tu te dis, "je ne suis pas concentrée, j'ai loupé un passage", mais non, les phrases n'ont ni queue ni tête, tu ne sais jamais qui parle, de qui/de quoi il est question. Chaque personnage aurait pu donner lieu à une exploration intéressante, ainsi le Commandant du camp est bien l'immonde bouffon qu'on imagine, si soucieux de rendement qu'il ne s'exprime que par chiffres (compassion maximale pour le traducteur qui a dû s'arracher les tifs). Le chef du Sonderkommando aurait pu donner lieu à l'une des plus bouleversantes introspections qui soient, mais il n'est qu'esquissé, comme s'il n'avait pas d'importance - de fait : dans le quotidien du camp il n'est qu'une marionnette vouée à la disparition. Des femmes également, et de leur rôle au sein de la machine infernale, il aurait été intéressant de dresser des portraits plus haut que la ceinture, même s'il est vrai que l'"endroit n'est pas fait pour les sentiments délicats".
J'ai entendu l'auteur expliquer dans une émission qu'il avait voulu décrire de façon réaliste la vie sociale qui continuait à Auschwitz, et se demander si l'amour pouvait survivre dans le pire des contextes imaginables. Ce n'est pas du tout le livre que j'ai lu.
Dans les dernières pages (oui, j'ai tenu bon !), il finit par lancer un débat intéressant - trop tard : "Sous le National-Socialisme, on se regardait et on voyait son âme. On se découvrait. Cela s'appliquait, par excellence et a fortiori (avec une violence incommensurable), aux victimes, ou du moins celles qui vivaient plus d'une heure et avaient le temps de se confronter à ce reflet. Mais cela s'appliquait également à tous les autres : les malfaiteurs, les collaborateurs, les témoins, les conspirateurs, les martyrs absolus (...). Nous découvrions tous ou révélions, désemparés, qui nous étions.
La véritable nature de chacun. Ca, c'était la Zone d'Intérêt."
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