Si certaines sont impressionnantes et effrayantes, d'autres sont drôles et rassurantes !
Mona, la patiente du jeudi, vient consulter un psychothérapeute car ses relations amoureuses sont des échecs successifs. Elle ne trouve pas la stabilité affective, elle est sujette à des crises d'angoisse inexplicables que ses divers amants ou amante sont bien incapables de gérer. Au point même qu'elle va devoir être hospitalisée.
Là, des enregistrements révèlent qu'elle parle une langue étrangère dans son sommeil. Même la jeune femme ne reconnaît pas cette langue. L'hôpital fait appel à un spécialiste qui révèle que Mona emploie des mots yiddish dans son sommeil.
Comment est-ce possible, elle qui a été élevée dans une famille sans aucun lien ni avec la langue yiddish ni avec le judaïsme ?
J’ai eu la chance de recevoir ce roman des Éditions de l’Antilope, premier roman de l’autrice Nathalie Zajde, merci encore à elles ! Les Éditions de l’Antilope sont spécialisées dans la littérature relative à l’identité juive, ce qui laisse entrevoir un champ couvert relativement vaste en matière d’histoire, d’espaces géographiques et de langues. Nathalie Zajde est ethnopsychiatre, spécialisée dans les traumatismes psychiques, de ces survivants victimes de génocides ou autres guerres, comme celles du Rwanda, du Burundi, et de la Shoah. C’est de ces traumatismes du génocide juif que l’autrice va traiter dans ce roman fascinant et en empruntant une figure de la mythologie juive.
Mona est journaliste, elle vivote de piges entre deux relations qui finissent systématiquement en eau de boudin, et a pour confident son meilleur ami Enzo qui ramasse les pots cassés de ces relations éphémères. Depuis quelque temps, Mona va mal, elle est prise de crises d’angoisse qui la paralysent et la mettent dans des états de tétanie, qu’elle occulte complètement par la suite. Mona va donc consulter un psychiatre, et dans ce cheminement à travers son entreprise thérapeutique, elle va découvrir que lors de ces crises, dont elle ne se rappelle ni le début ni la fin, elle parle le yiddish, cette langue hébraïque typique des juifs ashkénazes. Cette langue germanique, qui mélange allemand, hébreux et slave, aujourd’hui en voie de disparition, suite au génocide de la Seconde Guerre mondiale. Mona est totalement dépassée, d’autant qu’elle n’entretient aucun rapport de quelque nature que ce soit avec le judaïsme. En alternance, nous découvrons les histoires des deux amis, Moyshé Rozenberg et Avrum Finkelstein, depuis leur départ de Pologne en 1932 jusqu’à leur arrivée en France, séjour prévu transitoire jusqu’au Nouveau Monde. Mais on est à la veille de cette seconde guerre mondiale, le petit chancelier que l’on connaît est déjà au pouvoir, et la destination finale des deux jeunes exilés n’est pas vraiment celle prévue au programme initialement.
On suit le cheminement semé d’embûches de Mona vers les révélations sur son état, ses tourments, avec beaucoup d’intérêt et avec une interrogation encore plus grande : celle de comprendre le point commun entre les visions qui font brutalement irruption dans la tête de Mona et les vies des deux jeunes hommes qui ont fui leur Pologne natale pour tenter de bâtir leur vie. Le glissement des la vie des seconds dans le présent de Mona est déroutant, à l’exemple de cette scène d’une Paris occupée qui envahit le BHV ultra contemporain de la vie parisienne de Mona. On lit d’un côté la modernité d’une jeune femme indépendante, qui vit avec l’air du temps, au point de vue personnel et professionnel, hantée par des visions d’une autre époque, et le périple de deux jeunes hommes juifs d’à peine dix-huit ans, qui fuient l’antisémitisme en Pologne pour finir par le retrouver dans la capitale française. Le charme original de ce roman, c’est d’entremêler cette modernité à première vue laïque de la vie de Mona et le poids du passé à travers des traumatismes qui purulent encore dans des plaies jamais refermées et les croyances de la religion judaïque. Ces deux jeunes hommes démontrent aussi que le judaïsme n’est pas le reflet d’une communauté lisse et sans aspérité, mais un groupe lui-même divisé, ici, entre un rigorisme sévère, une religion vécue de façon très ascétique et une autre façon de la vivre, plus libérale et chaleureuse, qui laisse place à autre chose, au bonheur, au partage et à la joie, empreints dans la vie en communauté.
Je ne suis ni de religion juive, ni d’aucune autre religion par ailleurs, c’est de mon total athéisme que j’ai lu ce roman. Et c’est bien l’un de ceux que l’on lit d’après ses propres convictions spirituelles. Au-delà d’en apprendre davantage sur les mythes du judaïsme, ce que j’ai totalement apprécié, Nathalie Zajde aborde ici, peut-être sous la forme parabolique, la question des traumatismes, ceux qui n’ont ni eu le temps, ni l’espace pour être digérés, piégés quelque part dans des lignées familiales, qui n’ont trouvé que l’oubli, quand bien même factice, pour pouvoir avancer. Dévoiler le texte masqué
Dévoiler le texte masqué ce beau roman remet en exergue les non-dits et autres blessures passées sous silence, ces tentatives de réappropriation de la mémoire, cachée sous des noms de famille retouchés, Roze ou Collin, une façon de rappeler que l’on n’échappe pas à son passé, d’autant plus qu’il s’agit des événements tragiques qui ont fait prendre une toute autre direction à la destinée familiale.
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Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
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