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Adèm est allongé sur la plage, incapable de bouger.
Pour quitter son pays, il a payé très cher sa traversée.
Malheureusement, l'embarcation a fait naufrage. Où sont les autres ? Qu'est devenue sa soeur avec qui il se trouvait ? Attendant que le jour se lève et la venue peut-être des secours, il se souvient de toute son histoire.
Enfance insouciante dans la montagne, ombres de la dictature, disparition de son père enlevé par la milice, de sa mère partie le rejoindre. Puis la fuite avec sa soeur, les camps, l'espoir têtu d'arriver de l'autre côté de la mer, là où il est permis d'espérer un futur.
Les souvenirs et les pensées d'Adèm se mêlent au rythme des vagues. Il s'accroche à sa mémoire afin de conjurer la nuit qui menace de l'engloutir. On ne sait pas d'où il vient, ni quelle langue il parle, ni comment s'appelle son pays, mais ses paroles nous emportent en un long poème faisant écho à tous les exils. Au nôtre ?
Tenter de définir les raisons qui font que je n'ai pas aimé un roman est souvent un tantinet compliqué pour moi. D'abord parce que j'ai bien conscience que mes arguments sont forcément subjectifs et, ensuite, parce que je mesure chaque terme afin de bien rester dans le commentaire d'une lecture sans sombrer dans une critique stérile et dépréciative. C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit, comme ici, d'un premier roman. Alors ? Qu'est-ce qui a fait que je n'ai pas accroché à ce roman alors que sur une trame comparable j'ai été complètement empoignée par "Le petit garçon sur la plage" de Pierre Demarty (Editions Verdier) ?
Ce qui m'a frappée dès l'ouverture du livre c'est la densité de la mise en page : de longs paragraphes compacts, aux lignes serrées, sans respiration, sans dialogue, qui donnent une espèce d'uniformité étouffante au récit. Celui-ci se déroule selon le flux de pensées, de réminiscences, de questions, qui traversent l'esprit d'un jeune homme échoué sur une plage après un naufrage. Au rythme du ressac, il ressasse son histoire : un pays sous la dictature, les parents assassinés par l'armée, la nécessité de fuir, l'espoir de retrouver sa soeur et de s'installer avec elle dans un nouveau pays, la peur et le froid... Cette rumination mentale est traduite par la répétition des scènes passées et des sensations présentes, imposant une sorte de stagnation du récit qui elle-même correspond à la situation du personnage. La forme adhère donc parfaitement au fond. Si parfaitement qu'elle m'en a paru redondante car trop ostensiblement "signifiante".
Ce travail sur la forme m'est apparu trop visible et lisible, un peu comme si l'auteur balisait minutieusement la lecture et orientait le lecteur dans une direction qu'il aurait a-priori définie. Cette sensation de limite du champ interprétatif m'a énormément gênée et a pour beaucoup contribué à ma déception. Le contenu des "Lignes de suite" présentes en fin d'ouvrage ont amplifié cette impression contraignante, comme si, à mon avis, l'auteur voulait s'assurer d'avoir été "bien" compris (j'ai failli écrire "bien lu"). Dommage que ce soit cette perception qui ait prévalu lors de ma lecture car certains passages sont vraiment émouvants. Quoi qu'il en soit ceci n'est que mon ressenti et j'invite chacun à se faire sa propre opinion !
Une petite merveille que ce roman qui nous dit tout à la fois la singularité de chaque parcours de migrants et l'universalité de ceux-ci. Alain Giorgetti, funambule des mots, se tient en parfait équilibre entre le manque total de précisions de lieu, de temps ou de personne qui ouvre à l'universalité et le souci du détail qui, à tout moment, replace le lecteur face au personnage, à l'endroit et à l'époque des souvenirs, constats ou espoirs évoqués.
Avec une maîtrise parfaite du souffle respiratoire du lecteur, l'auteur lui donne d'accompagner Adèm dans les seules certitudes qui soient : le jour succède à la nuit et chacun doit se relever et faire face au paysage.
Non seulement, Alain Giorgetti nous parle d'un instant qui dure une nuit, moins même, le temps d'une marée qui vient mourir sur un rivage mais, en même temps, par ce roman, il nous raconte la vie entière, le quotidien d'aujourd'hui, celui d'hier ou l'espéré de demain. Derrière le visage d'Adèm, couché sur la plage, cet enfant devenu trop tôt presqu'adulte, qui a froid, dont les yeux se piquent de sable, d'écume et de givre, les membres s'engourdissent et les pensées filent d'hier à demain en tentant de comprendre aujourd'hui, il y a tous les visages, chacun unique, de tous ceux qui ont migré, qui se déplacent de nos jours ou l'envisageront demain. Ces trajectoires singulières ont toutes pour dénominateur commun l'appartenance à une Humanité qui se dérègle, dysfonctionne, retarde sur l'instant T à vivre et pousse les assoiffés d'espoir sur les routes de l'exil, de la soumission acceptée aux passeurs et vers des rencontres dont il faut toujours se méfier alors même qu'elles sont chaleureuses et profondément humaines … parfois.
Au coeur de l'horrible, ce livre touche avec délicatesse et poésie à l'intime et au collectif de l'Être. Il aborde le temps comme un temps à vivre. Un vrai bonheur, une interpellation de première nécessité !
Merci à Babelio et aux éditions Alma pour cette très belle découverte.
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